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Critiques de Vincent Vanoli (52)
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Les Chevaux

L'amour brisé et la chute

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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première publication date de 2023. Cette bande dessinée a été réalisée entièrement par Vincent Vanoli, pour le scénario et les dessins. Elle comprend quatre-vingt-six pages. Il a été publié dans la collection Côtelette de l’Association.



Dans une vaste prairie légèrement vallonée, un cheval avance en toute liberté. Après avoir effectué un petit saut, il redresse la tête et se met à galoper. Il dévale ainsi une douce pente herbue. Il parvient à une petite mare. Il baisse la tête jusqu’au niveau de l’eau et il se met à boire. Le lieu est tranquille et totalement désert, sans autre animal visible. Le ciel se couvre et la luminosité baisse un peu, le cheval continuant à se désaltérer. Il finit par relever la tête et regarder autour de lui. Un détail retient son attention. Il remarque un peu plus loin dans la mare, un petit cheval à bascule en bois, pour enfant, incongru dans cette immensité naturelle. Il relève encore la tête, le museau pointé vers le ciel pour hennir. Il fait quelques pas dans la mare toujours en regardant le ciel, peut-être un vol d’oiseaux. Puis il reprend sa marche au pas, ou au trot, plus calmement en remontant une pente douce. Parvenu au sommet, il jette un coup d’œil alentour comme pour examiner le paysage. Il évoque une peinture rupestre de cheval, à la fois majestueux et énigmatique. Il recommence à avancer et se dirige vers l’orée d’un bois de pins, dépourvus de branche basse. Il se tient devant la première rangée d’arbres, immobile, sans pénétrer à l’intérieur du bois, entre les troncs. Il regarde devant lui, guettant peut-être un signe un mouvement entre les troncs. Il ne distingue rien, rien d’autre que ces troncs dénudés. Il finit par se cabrer dans un mouvement vers l’arrière, et il repart au galop dans la direction d’où il est venu, laissant le bois derrière lui.



Comme par enchantement, des créatures semblent sortir de derrière les troncs : des êtres humains nus des deux sexes, avec une tête de cheval montée sur un large cou. Ils marchent debout sur leurs jambes comme des hommes, se jetant un coup d’œil les uns les autres., posant parfois une main sur un tronc. Ils se mettent à courir d’un commun accord, en prenant la direction empruntée par le cheval. Ce dernier continue d’avancer au pas ou au trot, une mouette semblant le suivre à quelque distance. Il parvient à une zone dépourvue d’herbe, peut-être sablonneuse, sur laquelle se trouve une barque et un navire échoués. Le cheval ralentit l’allure et passe à côté. Il prend conscience d’une présence derrière lui, à quelques dizaines de mètres. Les hommes-chevaux l’ont suivi et se rapprochent à leur tour de deux bateaux échoués. Le cheval se tient immobile les regardant s’approcher. Ils n’ont pas perçu la présence d’une silhouette féminine en robe sur le pont du navire. Le groupe d’hommes-chevaux se tient face au cheval, cinq mètres les séparant. L’un d’eux met les mains en avant comme un signe vers le cheval. Celui-ci rapetisse jusqu’à ne plus faire qu’une dizaine de centimètres de hauteur, devenu un cheval miniature.



Un ouvrage bien curieux qui sort du moule, déjà par sa taille, moitié moindre que celle d’une bande dessinée classique. Ensuite, il est entièrement dépourvu de mots, si ce n’est pour trois unes de journaux vers la fin de l’histoire. Ensuite pour sa mise en page : chaque page comporte deux cases de la largeur de la page, souvent de même taille, parfois une un peu plus haute que l’autre de quelques millimètres. Il n’y a pas d’introduction, ni de texte sur la quatrième de couverture : tout est laissé à l’imagination du lecteur, à l’exception de ces trois titres de journaux. Par ailleurs, le récit commence manière naturaliste en suivant ce cheval qui semble tout à fait ordinaire, pas de capacité physique inattendue, pas de degré de conscience humaine. Et il prend rapidement une tournure fantastique avec ces créatures humanoïdes à tête de cheval, pas des centaures. Le lecteur ne peut pas s’y tromper car des centaures apparaissent à partir de la page trente-quatre, respectant la forme classique d’un tronc, de bras et d’une tête d’être humain sur un corps de cheval. Une dizaine de pages avant, une femme totalement humaine fait son apparition dans le récit, vêtue d’une robe et d’un chapeau d’une autre époque, avec un sac et un parapluie comme accessoires. Elle prend le car à une station-service moderne, et arrive dans une maison isolée où logent des personnes de petite taille. Entre onirisme et fantasmagorie cryptique.



Il est vraisemblable que le lecteur ait été attiré vers cet ouvrage, soit par le créateur dont il a déjà pu apprécier d’autres œuvres, soit par la collection Côtelette dont il sait qu’elle s’écarte des sentiers battus. Dans les deux cas, il est servi, en particulier pour emprunter des chemins narratifs peu fréquentés. Il retrouve aussi certaines caractéristiques des dessins de Vincent Vanoli : des traits de contour semblant parfois mal assurés, des cases qui peuvent sembler chargées, soit par les nuances de gris omniprésentes un peu estompées par un chiffon, soit par une forte densité d’informations visuelles. Ainsi le cheval galope sur la plaine : les nuances de gris dessinent ses formes, le volume de son ventre, complètent l’espace entre les traits qui figurent la forme générale de sa crinière et de sa queue, rendent compte de l’éclairement et des zones d’ombres. Les hautes herbes sont représentées par des traits de crayons plus ou moins rapprochés, à la consistance également renforcée par des zones grisées plus foncées que les parties du cheval au soleil. Dans le lointain, le lecteur distingue des petites montagnes, plus foncées que le cheval, mais plus claires que l’herbe, et dans la partie supérieure de la case le ciel grisé en dégradé, plus clair que la robe du cheval. Certaines cases peuvent également présenter un grand nombre d’informations visuelles, telle celle consacrée à l’intérieure de la gare routière. Dans une seule case, le lecteur y distingue une dizaine de personnes, entre celles debout appuyées sur une table haute pour boire une boisson chaude, la serveuse avec un plateau à la main, un voyageur qui arrive en portant sa valise, un ruban de fanions accroché au plafond, des tabourets hauts pour prendre place au comptoir, etc.



Dans un premier temps, le lecteur connaissant cet auteur se trouve fort surpris qu’il n’ait pas affublé ses personnages de ces nez à la forme si caractéristique évoquant la trompe enroulée d’un papillon. À peine l’artiste a-t-il allongé quelques nez des voyageurs dans l’autocar, même pas ceux des personnes de petite taille. La narration visuelle s’avère fort facile à suivre, avec des liens de cause à effet évidents d’une case à l’autre. Pour commencer, le récit se déroule dans un ordre chronologique du début jusqu’à la fin, avec des cases qui se succèdent à quelques secondes, certaines à plusieurs minutes d’intervalle ou quelques heures, toujours avec une continuité de lieu, ou d’action d’un personnage. La progression du cheval dans ce milieu naturel se déroule de manière linéaire, chaque déplacement s’enchaînant avec le précédent, chaque attitude du cheval se déduisant organiquement de celle de la case précédente. Le lecteur l’observe en train de bouger, se prêtant au jeu. L’absence de mots, la nature animale du personnage incitent le lecteur à s’interroger sur ce qui lui est montré, sur la raison pour laquelle l’auteur lui montre cette séquence, sur l’interprétation qu’il doit en faire, sur les éléments signifiants à retirer de chaque case, de leur succession. N’ayant que le titre pour le guider, il ne sait trop que penser de ce qu’il lit, et il accorde plus d’attention à chaque image pour ne pas rater un élément signifiant. La présence du cheval à bascule pour enfant l’incite à y voir soit un élément onirique, soit la manifestation d’un souvenir, soit encore un objet mis au rebut donnant une indication sur l’environnement. L’apparition des hommes-chevaux oriente son interprétation vers l’onirisme, car rien ne semble pointer vers un mythe ou de la science-fiction. Il s’amuse alors à imaginer des lectures possibles pour ces êtres, mais faute d’indice il se laisse porter par les actions. Il lève les sourcils encore un peu plus quand apparaît le premier personnage pleinement humain, cette femme avec un accoutrement d’un autre temps, son sac à la forme caractéristique, et son parapluie révélateur : un hommage littéral à Mary Poppins, en provenance du film de 1964, réalisé par Robert Stevenson (1905-1986). Le lecteur sourit en découvrant que cette femme, jamais nommée, prend le car, un mode de déplacement déjà évoquant une similaire quand Vincent enfant prend le bus dans [[ASIN:2844148085 La grimace]] (2021).



Le lecteur quitte presque à regret cette succession de scènes déconcertante avec des moments également déconcertants : la présence du cheval à bascule, l’existence des hommes-chevaux, le cheval qui rapetisse, la transformation en centaure, le franchissement d’une rivière par un canot servant de bac, le voyage en autocar, une dame baissant sa culotte pour faire pipi dans un champ… La solidité du fil narratif principal permet au lecteur de se mettre dans un état entre la lecture automatique et la transe pour favoriser les associations d’idées, pour sortir d’une lecture purement réfléchie et rationnelle, générant un ressenti très agréable, sensiblement différent de l’expérience d’une lecture classique. Dans le dernier quart du récit, il découvre le sens concret de cette balade au fil de l’eau (ou du galop), les faits concrets qui ont suscité cette rêverie. Il y perçoit un hommage à une forme bien particulière de divertissement, peut-être à un artiste spécialisé dans cette forme de création. Puis, il se dit que le plaisir qu’il a pris à laisser son esprit vagabonder était bien réel, et que cette révélation ne l’obère en rien. Voire il reparcourt tout ou partie du début du récit en se rendant compte qu’il peut faire fi de son ancrage dans l’histoire personnelle d’un individu, et y prendre à nouveau autant de plaisir.



Un titre succinct, une image de couverture cryptique avec ces deux créatures chimériques. Une lecture facile et rapide car dépourvue de mots, avec un fil directeur très solide et des liens de cause à effet immédiats d’une case à l’autre. Des dessins qui invitent à la rêverie, qui la stimule et la nourrit, mettant le lecteur dans un état d’esprit inhabituel, entre lecture ludique et rêverie éveillée. Une fin qui apporte un sens concret à la balade, sans gâcher son onirisme, sans invalider le plaisir de la fugue.
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La grimace

Les animaux eux ne mettent jamais de masques.

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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de tout autre, d’inspiration autobiographique. Sa première édition date de 2021, et elle compte 70 pages en noir & blanc. C’est l’œuvre de Vincent Vanoli, auteur complet, scénario et dessins. Il s’agit de sa quarantième bande dessinée, la précédente étant Le promeneur du Morvan parue en 2019. Elle se termine avec une postface de deux pages en petits caractères.



La rue Thiers. À la fin des 1970, en Meurthe et Moselle, à Mont Saint-Martin, la famille de Vincent habitait rue Thiers. Si ses souvenirs de ce temps-là sont si incertains, c’est parce qu’il alors était trop occupé à faire face à la grimace. Occupant l’espace resserré entre les bords de la fenêtre et les rideaux, le voilà dans le temps arrêté de la rue Thiers, comme elle s’appelait à l’époque des usines, aujourd’hui silencieuse et vide, quand elle était la plus passante et la plus bruyante quand autobus et autres poids-lourds faisaient vibrer la maison elle-même. Impression. Il se tient immobile comme devant le miroir et son reflet. C’est cette rue immuable qui lui donne l’impression qu’il est toujours le même, ou plutôt que celui qu’il est contient encore une part de celui qu’il était.



La grimace. Soudain des silhouettes fugitives font irruption dans la rue. Qu’est-ce que c’est ? Qui sont-elles ? Ce sont ses camarades du passé. Ils sont là exprès : ils ont dû guetter son retour et ils reviennent pour lui faire la Grimace, pour qu’elle se réactive. Et il devient le reflet de ce qu’il voit. La case-fenêtre ne le protège plus et il se déforme. Voilà qu’à son tour maintenant, il refait la Grimace. Dehors ses copains font des grimaces d’enfant et il en fait de même par mimétisme. L’usine. L’adulte se souvient qu’enfant il sentait une odeur envahir parfois les rues : une des odeurs de l’usine qui s’immisce silencieusement, un rappel qu’elle est bien là. Le tabac. Vincent adulte se retrouve dans la chambre qui apparemment est la sienne, mais qui devrait normalement être celle du dessous, celle qui possède une terrasse. Ce n’est pas grave, de celle-ci, il voit le bois de peupliers d’un peu plus haut. Elle est peut-être seulement un peu plus basse de plafond. Quelqu’un est venu pour préparer son lit. Son tabac sent bon et il en aime l’odeur, mais elle est détestable quand il est fumé. C’est pour ça qu’il aurait préféré la chambre d’en-dessous, pour pouvoir aller sur la terrasse. Il doit descendre : passer du sommet de la maison, zone symbolique dédiée à l’imaginaire qui y déploie ses ailes, à sa base stabilisant et maintenant l’édifice par son enracinement dans la terre-mémoire. En descendant les escaliers. Grâce aux escaliers qu’il emprunte, il va rejouer malgré tout la mélodie du passé. Ils sont une portée musicale dont les notes sont des creux dans le bois de la rampe ou les défauts particuliers de vieilles marches. Arrivé en bas, il voit sa mère qui l’attend avec sa petite sœur habillée et le manteau sur le dos, avec son cartable : c’est l’heure d’aller à l’école.



Dès la première page, le lecteur découvre ou retrouve les particularités graphiques si prégnantes de l'auteur : des dessins avec une forte densité de noir et de gris dans chaque case, une minutie dans les détails marquée d’une forme de naïveté dans certaines représentations, un gauchissement des formes et des perspectives, une représentation des personnages qui fait qu’il n’est pas possible de les prendre complètement au sérieux, à la fois du fait d’expression parfois ridicules ou simplettes, et de leur nez en trompe de papillon recourbée. Sur la planche 3, il voit aussi les cases biseautées, en trapèze pour introduire une forme de désordre. En bas de cette même page, l’artiste utilise une déformation en œil-de-chat. En planche 6, il réalise une savante construction de page : dans la partie gauche de la planche, Vincent descend l’escalier, étant représenté à trois niveaux différents, chaque palier desservant une pièce différente dans la partie droite de la planche, sans bordure de case entre les deux, avec les cloisons séparant les pièces en vue de dessus, une construction savante et complexe, parfaitement lisible. Le premier phylactère n’arrive qu’en planche 7. En planche 8, il réalise un dessin en pleine page, avec à nouveau Vincent représenté à trois endroits différents, ayant progressé en marchant. Planche 10 : seulement deux cases muettes racontant un accident de camion transportant des cochons. Planche 18 : une case centrale en insert sur des cases disposées en deux bandes. Planche 29 : des cases de la largeur de la page pour montrer les joueurs répartis sur la largeur du terrain de football. Planche 54 un dessin en pleine page montrant l’extérieur de la maison de la famille des Vanoli, et trois inserts pour montrer ce que fait chaque membre dans une pièce différente. La planche 67 est un dessin en pleine page, repris à l’identique pour la couverture qui a bénéficié d’une mise en couleur en bleu.



Cette forme de diversité dans la construction des planches, et de pointe de caricature dans la représentation des individus (le nez en trompe de lépidoptère, leurs membres parfois un peu caoutchouteux, la position pas toujours très naturelle de leur main) n’empêche en rien un niveau de détails élevé. Le lecteur s’en rend compte dès la première page avec la vue générale de la rue Thiers : chaussée, trottoirs, poteaux électriques, pavillons à l’architecture différente (toiture, rambarde, persienne, forme des fenêtres, cheminée, porte de garage), arbres d’alignement. De page en page, le lecteur apprécie cette qualité descriptive, cette représentation des environnements quotidiens de Vincent enfant : son pâté de maison, le grand jardin, sa chambre, l’entrée de la maison, la cave, la chambre de sa sœur Catherine, le grenier, la buanderie, le terrain de foot, les rues alentour, la chambre du fils de la propriétaire avec sa collection de masques, la passerelle au-dessus du complexe industriel, la vision des cheminées des hauts fourneaux, etc. Il lui suffit de regarder le dessous de caisse du camion renversé en bas de la planche 10, pour voir le savant mélange d’éléments techniques précis et réalistes, et d’éléments fantaisistes maîtrisés venant accentuer l’impression : mine de rien, l’artiste fait œuvre d’une reconstitution historique minutieuse et bien fournie. Dans la postface, Vanoli explique que dans son enfance, chaque fois que lui ou un de ses camarades émettait une fantaisie, surtout une qui ressemblait à se donner de l’importance, ou avoir une trace de prétention, il était tout de suite moqué. Il fallait toujours se faire remettre à place, et l’humour et l’ironie avaient vite fait de leur rabattre le caquet, leur faisant avoir honte d’avoir pu se croire plus malin. C’est pour ça que ses pages seront toujours noires, et sûrement aussi à cause de cet état d’esprit de moquerie permanente d’alors que les facéties grotesques y occuperont toujours une place.



Dans cette même postface, l’auteur explique également qu’il se représente sous les traits d’un adulte archétypal car c’est celui adulte qui raconte et revit les scènes, alors quel intérêt de se redessiner enfant ? Cette bande dessinée relève donc des souvenirs d’enfance, entre 1975 et 1981, c’est-à-dire quand l’auteur avant entre 9 et 15 ans. Il explicite son objectif : une volonté nostalgique de faire revivre cette période. Mais tout s’est donc transformé dans son esprit et surtout pendant la conception car c’est bien au moment de dessiner les planches que lui viennent toujours les idées précisées, les solutions, les prises de position esthétiques : les choses qu’il écrit ou qu’il imagine avant se transforment quand il dessine sa page. De fait, le lecteur découvre bien des souvenirs d’enfance, en ayant conscience qu’ils ont été transformés par la mémoire, et retranscrits avec une pointe de dérision. En vrac : une expression étrange utilisée par sa mère pour saluer ses connaissances dans la rue (Pour rien, bonjour Madame), aller chercher le lait à la ferme, l’accident du camion transportant les cochons, le plaisir intense de boire la crème du lait, aller jouer au sous-sol, la crainte diffuse de la fermeture des usines, aller jouer dans le grand jardin, les après-midis d’automne passés à s’ennuyer dans le jardin, le père qui organise une aventure pour aller dans le grenier, un match de football interclasse, le souvenir de s’être perdu à quatre ans pour aller à l’école ménagère de sa mère, le visionnage du film Le cuirassé Potemkine, les pollutions nocturnes, le paysage industriel, sa mère restant debout lors d’un repas chez la belle-famille en guise de protestation, etc. Ce sont des petits moments de l’enfance, des expériences universelles dans ce qu’elles apportent, et totalement spécifiques à l’enfance de l’auteur.



Ces souvenirs sont aussi une reconstitution historique avec des artefacts culturels : Chéri Bibi (1976, 46 épisodes, 13mn), Croc-Blanc (1906) de Jack London (1876-1916), Capitaine Fracasse (1863) de Théophile Gautier (1811-1972), Pink Floyd, le Muppet Show, le cuirassé Potemkine (1925) de Sergueï Eisenstein (1898-1948), une représentation avortée des Fourberies de Scapin. En filigrane, c’est la perception inconsciente d’une réalité sociale, celle de l’industrie de la sidérurgie dans le bassin Lorrain à la fin des années 1970. Il est question de l’ampleur du bassin industriel, des usines qui composent le paysage, de la menace de leur fermeture dans une mesure non quantifiée et donc du chômage comme une épée de Damoclès. Les deux souvenirs les plus vivaces de l’enfant sont celui de marcher sur le dos de la bête, c’est-à-dire l’usine avec son odeur, son grondement qui se transmet au corps, ainsi qu’une journée où tout s’est arrêté (planche 55) où toute la population avait d’abord voulu s’isoler, comme honteuse d’avoir été frappée et trahie, avant d’oser sortir à nouveau pour réagir. Le lecteur en déduit qu’il s’agit du 19 décembre 1978, journée Ville morte, puis manifestation de vingt-cinq mille personnes. Cette planche (numéro 55), comme toutes les autres, présente un titre en haut : Silence (2), ce qui renvoie par rapprochement à la page intitulée Silence (planche 24) où Vincent contemple la partie potagère du jardin, en silence.



L’ouvrage se termine de six pages, au cours de laquelle l’auteur parvient à s’évader. Le lecteur comprend que Vincent est entré dans l’âge de l’adolescence où il s’émancipe, devient plus autonome et construit sa personnalité adulte avec ce qu’il a été enfant, ce qui a été transmis par ses parents et par son environnement, et ses expériences sans eux, avec d’autres individus. Finalement, il n’aura presque pas parlé de sa sœur. Pour autant, le lecteur a découvert avec curiosité ces souvenirs d’enfance, transcrits par une narration visuelle aussi élégante et sophistiquée, que potentiellement déroutante par son esprit de dérision et de fantaisie. Il a fait l’expérience de l’universalité de certaines prises de conscience, de la manière dont l’environnement géographique, familial, socio-culturel façonne l’enfant et l’adolescent en devenir, avec une forme aussi personnelle qu’affective à sa manière.
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Le méchant petit Poucet

Le dessin de Vanoli semble réalisé avec une craie grasse noire et des motifs sont alors grattés directement dans la pâte. Cela donne un aspect de gravure, le trait est expressionniste, brut et agressif, très contrasté. Certains décors de la forêts sont fantastiques, les cimes des arbres se terminant par des flèches, la déambulation dans la page suit des un chemin plein de volutes, le noir et le blanc se confrontent semblant figurer la lutte entre Poucet et son père. Tout cela s'accorde parfaitement à l'histoire qui est racontée comme un conte ancien. CePoucet vit seul avec ses parents, le père, ancien bûcheron n'a plus de travail, et du coup, il boit et bat sa femme et son fils, celui-ci doit aller chasser toute la journée dans la forêt, et gare à lui s'il revient bredouille. C'est un conte sous forme de drame social, une histoire de haine, de vengeance, la morale n'y est pas toute blanche, elle est cruelle, comme le sont souvent les contes anciens qui ne sont pas passés à la moulinette Disney. le graphisme fait tout, d'une beauté juste, sans concession, sans effets superflus, il rend l'aventure dramatique lyrique et violente, noire...
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L'attelage

Un grand merci à notre fille aînée qui nous a offert L’Attelage de Vincent Vanoli, sans doute parce que mon mari et moi-même pratiquons cette discipline équestre.



Un univers sombre, monochrome…

La campagne anglaise située grâce à quelques noms de lieux, à une époque indéterminée, peut-être le XVIII ou le début du XIXème siècle …

L’errance d’un personnage solitaire, menant un attelage de quatre chevaux… Une façon de mener bien particulière, à la Daumont, le meneur étant en salle sur le timonier de gauche.

Un parcours sans but particulier, des arrêts à la poursuite de souvenirs, des rencontres, des bonnes et des mauvaises actions, au gré d’une humeur indéfinissable…

Una ambiance fantastique… J’ai pensé à la dame de Shalott, poème de Tennyson et représentations préraphaélites…

Un récit à la première personne, sorte de monologue à la fois onirique, mystérieux et introspectif. Qui est cet homme : un voleur de grands chemins, un fantôme, un déserteur… ?



Un graphisme en noir et blanc.

Une belle maîtrise du dessin pour mettre en valeur les chevaux et les paysages. Les physionomies humaines sont intéressantes avec des nez proéminents, des expressions vides et hallucinées.



J’ai lu sur le site de l’auteur (http://vincent-vanoli.fr/bio.html) que l'idée de départ de « l'Attelage » vient d'une vieille image sous cadre trouvée dans un vide-greniers à Brighton. Redessinée, elle constitue la première case du récit.



J’ai aussi lu ici ou là que Vincent Vanoli est considéré comme un auteur phare de la bande dessinée alternative, que les nez déformés sont une signature dans sa manière de dessiner, une forme en mouvement peu réaliste et non définitive qui lui correspond.



L’univers de Vincent Vanoli m’interpelle et je compte bien m’y plonger davantage. Encore merci à ma fille pour cette belle découverte !


Lien : https://www.facebook.com/pir..
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Simirniakov

Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2019. Il a été écrit, dessiné et encré par Vincent Vanoli, auteur de bande dessinée ayant commencé sa carrière en 1989, ayant déjà réalisé plus de 35 histoires complètes en 1 tome, dont la précédente est La femme d'argile parue en 2018. Ce tome comprend 60 pages de bande dessinée en noir & blanc, avec des nuances de gris.



En 1853; en Russie, Simirniakov se lève et ouvre les rideaux de sa grande chambre au premier étage de sa riche demeure de propriétaire terrien. Il regarde les gens s'affairer en bas : étendre le linge, s'apprêter à aller travailler aux champs. Il part faire le tour de ses terres, sur son cheval Vladimir. Toujours en selle, il écoute les informations d'Oboïeski, celui qui administre son domaine : le risque de l'abolition du servage, la possibilité de l'anticiper en créant une forme de représentativité au sein des moujiks, les travaux de réparation de clôture à programmer. Simirniakov continue son chemin et croise des paysans qui lui disent qu'il faut construire une digue pour éviter les inondations. Ils se mettent à faire des mines pour se conformer à l'allure de moujiks que le propriétaire attend, et il demande à Kolia de faire son numéro de vol dans les airs (ce qu'il fait). Simirniakov promet de demander à Oboïeski de faire construire une digue et il poursuit son chemin. Le lendemain matin, Simirniakov s'est assis sur le bord de son lit et il observe l'extérieur à travers la fenêtre. Sa femme toque à la porte pour l'exhorter à se lever et à s'occuper de son domaine qui en a bien besoin, Oboïeski ne pouvant pas s'occuper de tout.



Simirniakov finit par sortir faire un tour à cheval et passer au milieu des champs où travaillent les moujiks, mais sans s'arrêter. Il rentre chez lui où il est attendu par son personnel de maison et sa femme, car il a des invités pour le repas. Au milieu des banalités échangées, sa femme lui rappelle que ses filles reviennent à la maison le lendemain, et qu'elle partira en voyage en Europe avec elles en septembre. Sitôt le repas terminé, son fils Nounourskine indique qu'il sort faire la fête ce soir même. Il sort sur le pas de la porte et appelle le cocher André pour qu'il amène le tarantass. Arrivé au village, Nounourskine demande à André d'aller chercher des tziganes pour qu'ils jouent de la musique, et il retrouve son ami Sarvoskine pour faire la fête dans une auberge, avec leurs potes. Déjà bien éméchés, ils décident de poursuivre leurs libations dans les bois. L'un d'entre eux trouve une bonne idée de mettre le feu à l'isba qu'ils viennent de quitter, ce que fait Nournourskine. Le lendemain, Siminiakov fait l'effort de se lever et d'aller jusqu'à son balcon. Il se fait héler par sa femme qui lui dit que son cheva Vladimir ne veut pas être attelé. Elle prend un autre cheval. Une fois prêt, Simirniakov sort et harnache Vladimir pour aller se promener jusqu'à la Cabane aux Corbeaux. Chemin faisant, ils discutent sur la langueur qui s'empare souvent de Simirniakov.



En choisissant cette bande dessinée, le lecteur ne sait pas trop à quel genre de récit s'attendre, si ce n'est qu'il sera raconté de manière très personnelle par l'auteur. Il comprend rapidement qu'il s'agit d'une sorte de roman mettant en scène un riche propriétaire terrien, et ses relations avec sa famille, ainsi que ses états d'âme sur son existence. En termes de narration personnelle, il est servi dès la première page. Sur le plan de l'histoire, Vincent Vanoli utilise les outils classiques du roman. En termes de narration visuelle, le lecteur est tout de suite frappé par les idiosyncrasies. Il voit que l'artiste a choisi un rendu global plutôt dense, qui peut aller jusqu'à donner une impression générale de fouillis par endroit. La première case est de la largeur de la page, et il n'y a quasiment aucune surface blanche, du fait de nuances de gris appliquées sur presque toutes le surfaces pour apporter une impression de texture aux murs, au sol et aux meubles. L'avantage est que la cellule de texte à fond blanc ressort bien. La quatrième case occupe plus d'un tiers de la page et comporte elle aussi de nombreuses informations visuelles : la façade de la demeure à étage où toutes les poutres sont dessinées avec leur nervure, les 2 femmes en train d'étendre le linge, et un groupe de 8 paysans avec 2 chevaux en train de se houspiller.



Le lecteur s'immerge donc dans un monde étrange. Les personnages sont affublés de nez difformes au-delà de toute plausibilité morphologique. Il suffit de regarder les nez pour s'en rendre compte. Celui de Simirniakov mesure bien 15 centimètres de long avec une extrémité enroulé comme un escargot. C'est le modèle arboré par la plupart des personnages. Le lecteur peut aussi trouver des nez bien droits dont la longueur ferait rougir Pinocchio, et des nez bien ronds empruntés à Obélix et compagnie. S'il se livre au même examen pour les visages, il découvre des formes possibles d'un point de vue morphologique, des ronds parfaits, des oreilles aussi grandes que la tête, des visages trop étroits au niveau de la mâchoire supérieure, des sourcils qui ressemblent parfois à des bouts de coton collés au-dessus des yeux, des implantations capillaires impossibles, des barbes défiant la gravité, des vêtements souvent informes (sorte de grande robe unisexe très évasée vers le bas). Le lecteur sent que le dessinateur s'amuse bien à donner une apparence incongrue à ses personnages, avec un degré d'investissement incroyable au vu du nombre de personnages qu'il dessine, étant tous différents.



Avec les deux premières scènes, le lecteur s'immerge dans une forme de conte : l'enjeu n'est pas une reconstitution historique visuellement authentique (même si l'année est précisée : 1853) et il y a quelques remarques qui introduisent des éléments anachroniques. Il s'agit donc plus d'un regard décalé sur l'histoire d'un riche propriétaire terrien lassé de jouer son rôle. L'auteur promène le lecteur dans différents endroits : la demeure de Simirniakov, les champs, un bar, les écuries, le monastère du starets, une gare, un quartier populaire urbain, une maison servant de salle de réunion pour l'agitateur. À chaque fois, l'artiste effectue des représentations minutieuses pas forcément exactes, bourrées de détails, et s'amuse même avec un effet fish-eye. Dans un entretien, Vincent Vanoli a indiqué qu'il s'était inspiré des tableaux de Pieter Brueghel l'Ancien (1529-1565) pour la composition de certaines pages. Un peu dérouté au départ, le lecteur s'adapte rapidement aux idiosyncrasies visuelles de la narration, et n'en fait qu'à sa guise : consacrant plus de temps à telle case ou telle page pour en apprécier les facéties visuelles, passant moins de temps sur d'autres trop accaparé par l'intrigue ou la comédie.



Vincent Vanoli introduit également des références littéraires explicites, un personnage nommant Ivan Tourgueniev (1818-1883), Anton Tchekov (1860-1904), Léon (Lev Nikolaïevitch) Tolstoï (19828-1910), immédiatement suivi par une touche de dérision : mon préféré Tostoïevski. De la même manière, l'auteur incorpore également des références à de vrais faits historiques comme la guerre de Crimée (1853-1856). Certains personnages font également référence à des événements pas encore survenus comme l'abolition du servage en Russie en 1861, ou encore la révolution russe en 1917. D'autres se mettent à fredonner des chansons des Beatles. Le lecteur comprend que l'intention de l'auteur est de composer une histoire à la manière d'un roman russe, tout en y incorporant une bonne dose d'absurde et des facéties tant visuelles que dialoguées, ramenant au principe d'un conte haut en couleurs, à la vraisemblance malmenée, mais à la logique interne rigoureuse. Effectivement, cette bande dessinée peut se lire comme un roman russe (ou une parodie de roman russe) : une riche famille, un père à l'âme tourmentée par une remise en question, des paysans sous le joug du servage, une épouse uniquement préoccupée par ses obligations sociales, un fils aîné uniquement préoccupé de jouir de la vie sans égard pour les conséquences de ses actes, trois filles dont la présence réchauffe le cœur du père… et un cheval qui parle pour permettre au père d'énoncer tout haut ses états d'âme et à l'auteur de rabrouer son personnage principal par la voix de son cheval.



Vincent Vanoli réalise également le portrait d'une société, ou d'un système économique avec un regard moqueur : le riche propriétaire qui souhaite se libérer du fardeau de diriger son exploitation, le régisseur qui qui fait son travail consciencieusement et pallie les manquements de son maître sans chercher à le supplanter, les moujiks conscients de la forme d'exploitation qu'ils subissent sans chercher à se révolter pour autant. Au travers de ces 3 positions sociales, l'auteur en profite pour évoquer l'âme russe, en tournant en dérision ce mélange de résignation et d'envie de changement. Vincent Vanoli ne s'en tient pas à une simple fable caustique sur un système social : à plusieurs reprises, il pousse la réflexion plus loin que le simple constat. Le lecteur se rend compte que l'évocation anachronique des bouleversements sociaux à venir fait ressortir avec force l'obsolescence du modèle en place, mais aussi le manque de discernement des protagonistes persuadés de l'immuabilité de ce modèle et de sa pérennité. Avec un regard pénétrant, Vanoli décortique aussi bien l'avantage pour les patrons de mettre en place la libre concurrence entre les individus qui s'écharpent entre eux pour des miettes plutôt que de s'unir contre les patrons, que la docilité et la tiédeur des ouvriers qui préfèrent la sécurité d'un système de classes éprouvé plutôt que l'incertitude de l'inconnu, l'arnaque sans nom de la théorie du ruissellement (passage très savoureux), le lyrisme romantique de Simirniakov à l'abri du besoin matériel, ou encore discrètement la religion en tant qu'opium du peuple, tout ça avec une verve sarcastique piquante, sans être cynique.



S'il connaît déjà cet auteur, le lecteur est assuré de découvrir une bande dessinée atypique, et ce n'est rien de le dire. Sous des dehors de roman russe, Vincent Vanoli effectue la description d'une société de manière facétieuse que ce soit par les dessins comprenant diverses exagérations et déformations tout en conservant la priorité à la narration visuelle, ou par l'usage d'anachronismes choisis avec soin pour leur capacité révélatrice. Le tout forme un récit cohérent et savoureux, drôle et critique, intelligent atypique.
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La femme d'argile

Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il est paru en mars 2018. C'est l'œuvre de Vincent Vanoli qui a tout fait, scénario, dessins, lettrage. C'est un auteur de bande dessinée, qui a commencé à publier en 1989 chez L'Association, ayant une trentaine de BD à son actif.



Un homme vit dans les bois ; il n'est qu'une silhouette blanche sans caractéristique, sculptant de petites statuettes aux formes improbables, auxquelles il ajoute des brindilles et qu'il laisse dans la nature. Un jour, alors qu'il mord dans le cou d'une perdrix, il observe un paysage parfaitement symétrique, autour de l'axe d'une cascade. Il passe de l'autre et dans son esprit quelque chose change. Il ne souhaite plus revenir en arrière, et il décide de sortir du bois. Au bout d'un champ, il découvre un monsieur qui semble l'attendre, qui lui tend des vêtements pour couvrir sa nudité, qui le rase et lui coupe les cheveux, en lui indiquant qu'il est prêt pour rejoindre la civilisation. Frédéric se dirige alors vers la ville, en passant au travers d'une casse automobile, où les marginaux qui s'apprêtaient à le détrousser, le laissent passer sans dommage. Arrivé en ville, il devient un anonyme dans la foule et ses pas le guide mécaniquement jusqu'à son pavillon avec jardin. Il a la clé de grille dans ses poches. Il rentre chez lui.



Frédéric pénètre dans la pièce qui lui sert d'atelier de sculpture et il est submergé par les souvenirs ou les sensations que déclenchent en lui ces formes. Il ouvre grand les fenêtres et les volets pour aérer la pièce et dissiper les mauvaises odeurs. Il se tient sur la terrasse et voit le soleil, d'un bleu éclatant, se lever. De l'autre côté de la rue, il est observé par une femme qui fut son modèle. Elle a déjà revêtu sa tenue de serveuse et après avoir accusé le coup du retour de Frédéric, elle se rend à la brasserie pour prendre son service. Après une journée de travail ingrate, elle rentre chez elle. Elle se déshabille et ne se vêtit que d'un châle jeté sur ses épaules. Elle recommence à observer le sculpteur à la dérobée, et elle note ses interrogations et ses angoisses dans un carnet. Elle est, elle aussi, observée à la dérobée par un vieux monsieur qui prévient la police et qui énonce à haute voix ce qu'elle est en train de marquer dans son carnet.



S'il a lu le court résumé accompagnant l'ouvrage sur les sites de vente, le lecteur connait déjà tout de l'intrigue… et pourtant il est complètement pris au dépourvu par la première séquence, avec cet individu qui n'est qu'une silhouette blanche, vivant comme un sauvage dans les bois, et s'adonnant à une forme d'art primitif. Il découvre des dessins réalisés au pastel noir, faisant parfois ressortir le grain du papier, avec une approche mêlant description précise de la flore, et approche naïve pour la silhouette de l'homme, ou pour celle de la perdrix. Il regarde des cases chargées en traits, un horizon fermé par les arbres, une nature touffue, sans être inquiétante ou menaçante. Il voit littéralement le personnage s'incarner sous yeux, une fois qu'il a traversé le ruisseau, un homme nu à la chevelure hirsute, à la barbe négligée. Il avance sans difficulté, sans souffrir de l'absence de chaussure, sans ressentir la fraîcheur. Les cases deviennent plus sombres quand il est sorti du bois même si l'horizon s'est élargi, chaque surface étant chargée du noir déposé par le crayon.



Après cette entrée en matière très déstabilisante, le lecteur découvre ce que lui promet le court texte promotionnel. Il plonge dans une monde très charbonneux, avec des formes à la perspective étrange, distordues parfois pour accentuer les ombres et les angles, évoquant l'expressionnisme allemand et M le Maudit (1931) de Fritz Lang. Les dessins donnent l'impression de décrire une ville de moyenne importance dans une France des années 1930 ou un peu plus, même si la modèle indique qu'elle a pris des jours de RTT et si un figurant utilise un téléphone portable. L'observation des tenues vestimentaires conforte le lecteur dans cette impression d'une histoire se déroulant au milieu du vingtième siècle, malgré ces 2 anachronismes, dans la partie pavillonnaire d'une ville assez importante pour se constituent des foules de badauds qui se croisent sur les trottoirs sans se connaître. La narration visuelle présente une forte personnalité, avec ces bâtiments aux verticales un peu de guingois, ou penchées, les visages un peu anguleux avec des traits de contour parfois un peu hésitants, pas peaufinés.



L'artiste n'utilise donc que des crayons noir pour détourer les formes, et représenter les ombres portées, souvent exagérées, étirées. De manière déconcertante, il utilise avec parcimonie la couleur bleu pour figurer la lumière du soleil, et aussi une forme d'énergie ou de beauté intérieure. La bande dessinée se déroule sur 74 pages dont 30 sont dépourvues de tout texte. Vanoli accorde donc une place significative à une forme de narration uniquement visuelle. Dans ces pages silencieuses, la déformation des décors joue à plein. L'absence de texte incite le lecteur a plus concentrer son attention sur les dessins pour en distinguer et en assimiler les éléments d'informations visuelles. Certaines cases peuvent être construites sur un ou des axes directifs de la composition, aboutissant à un dessin rapidement lu et interprété. À l'opposé, certaines cases peuvent être proches de la technique de collage, avec des éléments visuels disposés les uns à côté des autres, et ne provenant pas de ce qui pourrait être une seule photographie, mais de différentes prises de vue. Le lecteur détecte d'abord la sensation de surcharge cognitive ; puis il détaille un élément après l'autre. Il ressent alors l'état d'esprit dans lequel se trouve le personnage à devoir gérer une surabondance de stimuli. Par exemple c'est ce qui se produit la première fois où Frédéric se retrouve à marcher dans des rues au milieu de la foule. S'il se montre assez curieux et un peu patient, le lecteur découvre des détails inattendus, comme un café restaurant à l'enseigne de Chez Tintin. Le lecteur est également complètement pris par surprise lorsque la couleur bleu s'invite sur la page pour un effet féerique, évoquant le pouvoir de la création artistique et ses effets émotionnels.



Dans un premier temps, le lecteur peut trouver certaines scènes un peu longues (la traversée de la ville quand Frédéric rentre chez lui), voire inutiles (le prologue dans les bois, le mime racontant ce qu'il sait déjà). L'intrigue ne présente pas grand intérêt puisqu'il semble acquis dès le départ que Frédéric a bien commis un meurtre. Le personnage du vieux monsieur formulant à haute voix, les phrases que le modèle est en train d'écrire dans son carnet apparaît comme un dispositif totalement artificiel, sans rien apporter au déroulement de l'histoire. D'un autre côté, le parti pris expressionniste fonctionne parfaitement pour rendre compte du trouble mental de Frédéric, et la scène où il se met à courir dans la ville comme pourchassé par son double blanc fantomatique est un hommage extraordinaire à la fuite d'Hans Beckert dans M le maudit. À plusieurs reprises, le lecteur perçoit qu'un des enjeux du récit est d'ordre psychologique : à commencer par la culpabilité de Frédéric qui s'exprime par sa peur de ses propres statues, mais aussi sa mémoire défaillante, suite à un blocage produit par un traumatisme psychique.



Une fois cette prise de conscience opérée, le lecteur se rend compte qu'il peut aussi envisager plusieurs éléments du récit sous une forme métaphorique. La scène d'ouverture dans les bois peut se voir comme un retour à l'état naturel, mais aussi comme une perte des fonctions supérieures du cerveau, ne laissant plus que les fonctions de survie. L'activité manuelle de pétrir de la boue pour fabriquer des statuettes des formes improbables n'est pas tant automatique, qu'un lien avec une occupation antérieure de sa vie normale. Les statues de son atelier sont autant d'artefacts de sa vie avant le traumatisme, l'incarnation physique de ses souvenirs, de ses accomplissements passés. Avec ces idées en tête, le monsieur âgé à lunettes qui énonce les propos de la modèle prend des allures de stéréotype de psychanalyste dont l'apparence doit beaucoup à Sigmund Freud. Le lecteur peut même imaginer que les créatures difformes sous cloche de verre dans son salon sont les différents troubles psychologiques qu'il a extrait de ses patients pour les neutraliser. Cet individu devient une sorte d'avatar de l'auteur triturant ses personnages, mettant à nu leur psyché.



Une fois envisagé le point de vue psychanalytique du récit, chaque scène prend sens. Lorsque Frédéric assiste à un spectacle de mime avec un autre acteur fournissant les éléments narratifs pour expliquer ce qui est mimé, le lecteur comprend qu'il s'agit de son inconscient qui s'exprime de manière imagée (le mime) alors que sa conscience travaille à interpréter ces signaux. Le lecteur se rend compte que cette scène constitue également un bel hommage à la scène de la pièce Hamlet (1603) de William Shakespeare, quand Claudius est le spectateur d'une pièce de théâtre racontant un meurtre identique à celui qu'il a commis. Même de petits détails prennent sens. Le lecteur avait remarqué que le tapis de la chambre de la modèle porte de curieux motifs : ceux du Yin et du Yang, mais sans le point noir au milieu de la goutte blanche, et le point blanc au milieu de la goutte noire. Il y a là une forme d'incomplétude qui fait miroir à la relation qu'elle entretient avec Frédéric. Elle est incomplète tant qu'il ne la prend pas comme modèle, tant qu'elle ne devient pas forme sculptée, qu'elle ne s'incarne pas dans statue à l'épreuve du temps, tant qu'il ne l'a pas fait s'incarner.



Alors même que s'il renseigné sur cette bande dessinée avant d'en faire l'acquisition, le lecteur a l'impression de découvrir une histoire qu'il connaît déjà de bout en bout, il se rend compte aussi que la narration le déroute au début. Vincent Vanoli a choisi un parti pris marqué pour sa mise en images, celui de l'expressionnisme allemand, et plus particulièrement de Fritz Lang pour son film M le Maudit. Le cumul de certaines remarques finit par lui faire prendre conscience de la nature psychanalytique du récit, donnant du sens à de nombreuses bizarreries narratives. Il referme la bande dessinée encore sous le coup de la passion égocentrique éprouvée par la femme désirant parachever son rôle de modèle et d'amante, et par l'impression tenace que le sculpteur est autant un meurtrier, qu'une victime d'un système créatif qui lui a dicté son comportement dans une large mesure.
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La femme d'argile

Je n’ai pas aimé ce roman graphique (on ne peut pas le classer parmi les BD). Il aborde des thèmes assez classiques : les profondeurs de la psyché, la création, les rapports passionnels des modèles avec l’artiste, le théâtre comme révélateur de la nuit intérieure (j’ai fortement pensé au « loup des steppes » de Hermann Hesse), la culpabilité, le double, le meurtre, symbolique ou réel, l’amnésie traumatique, la psychanalyse…



Ce qui fait son originalité et sa puissance, c’est le graphisme énergique et sombre, de facture expressionniste.



Pourquoi n’ai-je pas aimé ? Le thème est archi connu et traité avec des longueurs. L’auteur a voulu aborder un trop grand nombre de questions, le spectre est trop large et cela finit par ressembler à une (excellente) dissertation.



Les amateurs d’art apprécieront la beauté visuelle de cet album.
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Objets trouvés

Un recueil que je qualifierais de sans véritable valeur ajoutée. C'est d'un ennui mortel sur de simples constatations séquentielles et d'une forme de poésie urbaine dilatoire qui fait un peu bobo. Voilà, c'est dit.



Pour le reste, le dessin réaliste tout à fait appréciable ne permet pas de sauver la mise finale. C'est comme au poker, cela passe ou cela casse et quelque fois, il vaut mieux se coucher.

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Le méchant petit Poucet

Derrière les contes racontés à nos enfants comme le petit Poucet, il y a d'autres réalités bien plus dures et cruelles qu'on tait volontairement quitte à enjoliver le tout. Ce petit Poucet vit dans la misère la plus absolue et cela pousse le père à faire des choses qui ne sont guère convenables. Le petit garçon essaye tant bien que mal de faire face à cette situation. Cela le conduira dans des sentiers assez inavouables.



C'est un détournement qui n'est pas des plus classiques. le dessin reste enfantin bien que le public visé soit plus mâture. Il est clair que vis à vis de nos enfants, on préférera l'autre version. Mais bon, celle-ci existe également et il nous faut bien la connaître pour être conscient de la réalité des choses en ce monde. Un conte noir pour un univers bien oppressant. A réserver aux plus grands bien entendu.
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Rocco et la toison

Rocco, un jeune conteur, entame un voyage d'apprentissage d'une année sur les route de France afin de raconter et collecter des histoires. Ce jeune homme naïf sillonne les chemins en craignant l'ombre de la grande peste qui ravage les villes. Avec ce récit Vincent vanoli replonge dans la période qu'il avait abordé 20 ans auparavant dans une adaptation du Décaméron de Boccace. Il compose une fable drôle et originale en s'attachant à ce jeune homme pas très malin qui subit de plein fouet la violence du monde. Vanoli en fait une farce cruelle. Mais Rocco et la toison est aussi un livre qui parle de la fonction du conte, qui n'est pas qu'un simple divertissement (comme il l'était chez Boccace, les histoires ne servant qu'à passer le temps en attensant que la peste ne passe, quitte à les utiliser pour moquer l'ordre du monde).

S'éloignant de la structure traditionnelle de la planche Vanoli opte pour de pleines pages représentant le chemin que parcourt Rocco, ne reprenant une mise en place classique en cases que pour les contes qui émaillent le récit. Ce procédé insiste sur le cheminement physique et intérieur du personnage. le dessin mélange aussi le style très reconnaissable de Vanoli avec des influences de peintres comme Giotto et Bosch. Les planches en deviennent de vrai plaisir pour les yeux, regorgeant de détails qui invitent à s'attarder sur chaque page. Un très bon cru du toujours très bon Vincent Vanoli.
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D'une île à l'autre

Carnet de voyage? Carnet de croquis? Récit? Impressions et états d'âme?

BD sur l'errance et la mélancolie? On ne sait de quoi il s'agit, et le rapprochement entre ces deux iles qui n'ont rien de commun laisse dubitatif.

Trop de texte qui vient empiéter sur les cases, alors que les dessins devraient suffire à traduire la pensée de l'auteur. Ou alors trop de dessins qui noient le texte et le rendent décousu et mal ficelé. L'ensemble est maladroit, malgré quelques passages qui parviennent à nous faire partager les émotions du voyageur. Mais on sent bien qu'il ne fait que passer, que sa vie est ailleurs. Que les habitants de cette bourgade perchée de Corse seront bientôt oubliés, et qu'il y a quelque chose de pourri au Royaume d'Angleterre. Finalement, figatellu ou fish and chips, on se sent emprisonné sur les Iles de la Désolation, et on a hâte de repartir par le prochain ferry, et de retrouver le Continent.
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L'attelage

Long et ennuyeux : voilà les deux adjectifs qui me viennent à l'esprit après lecture de ce voyage dans le Pays de Galles à bord d'un attelage. Il y a certes des rencontres au milieu de cette lande qui respire la noirceur et la mélancolie soulignée d'ailleurs par le trait noir. J'ai d'ailleurs bien aimé ce graphisme mais cela ne me suffit pas pour apprécier l'ensemble.



Je pense que la narration est diablement trop lourde ce qui fait qu'on décroche assez rapidement. Cela ne doit pas être si mauvais dans le fond mais il y a des bds qui ne captent absolument pas mon attention. Celle-ci en fera malheureusement partie et cela ne sera pas la première, ni la dernière.
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Le contrôleur de vérité

Je n'ai pas du tout aimé le trait épais et noirci de cette bd. Dès lors, c'est avec un gros inconvénient qu'on se force à lire ce récit un peu étrange. Il est question d'un contrôleur de vérité au nez très crochu.



Tiens donc ! On n'a pas intérêt à mentir sur son passage. La vérité et rien que la vérité. La vertu dans toute sa splendeur presque biblique ! Il se définit d'ailleurs lui-même comme le cavalier blanc de la vérité, le Saint-Georges qui dépècera le dragon cracheur de la flamme du mensonge. Rien que ça !



On sent bien qu'il s'agit d'une fable ou un conte moral. Il sera intéressant de voir ce que le destin réservera à ce contrôleur de vérité qui brisera des vies au nom de cette recherche.



Doit-on forcément trancher la tête de sa bien-aimée pour savoir si on l'aime encore ? Cela me fait singulièrement penser à la question pratiquée par l'Inquisition religieuse. Si on meurt, c'est qu'on a dit la vérité. C'est clair que dans ces conditions, il vaut mieux mentir quelquefois...
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Le promeneur du Morvan

Je ne connaissais pas très bien le Morvan. C’est un massif de basse montagne dont le point culminant est à 901 mètres. Pas très haut mais suffisamment pour avoir un climat d’influence montagnard.



C’est situé non loin de la région parisienne (à peu près à 200km) mais plus précisément en Bourgogne. Cela fait partie intégrante du Massif Central dans sa composante Nord-Est. Le Morvan s’étend à cheval sur plusieurs départements : la Côte d’or, la Nièvre, la Saône et Loire et l’Yonne. Je me dis que cette contrée aurait pu être à elle seule un département. Il y aurait eu une certaine cohérence.



L’auteur nous emmène dans un parcours qui nous fait découvrir ce territoire sous différentes facettes : la géographie mais également la culture mais également à travers la rencontre de ses habitants. Personnellement, cela ne m’a pas trop donné l’envie d’y aller. C’est sans doute bien pour aller se ressourcer dans le cœur de la France profonde. Il y aura aussi certains inconvénients que l'auteur ne nous cachera pas. On appréciera cette démarche d'honnêteté qui rend ce témoignage plus authentique.



La lecture demeure assez sympathique comme un carnet de voyage mais près de chez nous. Après tout, pourquoi courir le monde alors que nous avons des endroits plutôt agréables en France ? Notre pays est d’ailleurs la première destination touristique au monde et ce n’est pas pour rien.
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Rocco et la toison

J’avais découvert le style singulier de Vanoli avec sa relecture du Décaméron : on replonge dans le contexte de la Grande Peste et un trait qui rappelle Jérôme Bosch et les gravures du Moyen Age, non dépourvu d’humour. D’une grande beauté !

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L'attelage

Cet attelage est conduit à vive allure par un curieux personnage solitaire, qui détrousse son prochain, à travers les paysages d'une Angleterre au XIXe. On ne sait qui des chevaux ou de l'humain mène cet attelage, ni vers quoi ...

Le dessin, très sombre, envoutant, nous conduit aux frontières du rêve et du conte.

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Sentiers battus

Avec Sentiers battus, Vincent Vanoli revient sur son enfance et son adolescence à travers quelques anecdotes choisies. Le ton est volontiers contemplatif, par exemple lorsqu'il raconte une randonnée à vélo lors d'une colonie de vacances.

Vanoli parle de ce besoin de s'arrêter, de profiter, de se fondre dans une forme de méditation. Le propos est épuré à l'extrême, en accord avec la volonté de Vanoli de parler de cet abandon. Une fois de plus, simple et touchant.
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Rocco et la toison

Avec "Rocco et la Toison", Vincent Vanoli démontre que la bande-dessinée est un art médiéval ; en effet, peu d'auteur maîtrisent comme lui la manière de raconter une histoire en bande-dessinée, genre littéraire qui a ses codes propres ; or cette manière s'épanouit dans le décors moyen-âgeux.



Au-delà du style, V. Vanoli dans "Rocco et la Toison" suggère quelque chose de plus profond : la proximité entre notre époque moderne et le moyen-âge, si ce n'est sur le plan du costume, du moins sous l'angle de la mentalité.



Le personnage de saint Roch de Montpellier dont Vanoli nous narre le voyage, ô combien pittoresque et mouvementé, à travers le midi de l'Europe, sous la menace terrifiante de la peste, ce personnage paraît très proche de nous, de notre culture, à travers ses questionnements et son cheminement mystico-initiatique.



Cette animation du célèbre saint, vénéré dans une bonne partie de l'Europe catholique (Italie, France et Pologne en tête), que Vanoli fait ainsi descendre de son piédestal d'icône religieuse, est-elle pure affabulation de l'auteur ? On pourrait le croire ; l'histoire scolaire ne nous persuade-t-elle pas que nous sommes les dignes héritiers du progrès et des philosophes des Lumières, affranchis de l'obscurantisme du moyen-âge ? Néanmoins V. Vanoli esquisse un moyen-âge crédible, aussi succinct soit-il ; il ne s'agit pas d'une défense du moyen-âge, comme l'historien Jacques Le Goff a produite, mais de la mise en scène d'une époque contrastée, voire ambiguë, qui ne se laisse pas résumer facilement.



On sait que cet auteur a illustré naguère une partie du "Décaméron" de Boccace (1313-1375), qui dépeint les moeurs légères de la bourgeoisie de son temps, ainsi que du clergé catholique. La satire de Boccace montre un moyen-âge éloigné à la fois de certaines représentations idéales, comme du repoussoir conçu afin de consolider la thèse du progrès. Le moyen-âge de Vanoli dérive en partie de celui de Boccace, tout en empiétant sur le XXIe siècle.



La peur contemporaine de l'islam révolutionnaire, ou bien d'une catastrophe écologique, engendrent un climat de psychose analogue à celui provoqué par la menace de l'épidémie de peste noire dans l'Europe de la fin du moyen-âge (seconde moitié du XIVe siècle), qui décima la population. Une telle psychose est plus favorable aux plaisirs furtifs qu'à un bonheur plein et large.



Rocco, bien que très jeune, a du recul sur toute cette agitation propice à la superstition, au fanatisme et aux mouvements de foules ; "thaumaturge", capable de soigner la peste, Rocco sera proclamé saint par acclamation populaire, avant d'être atteint par la maladie à son tour, puis miraculeusement soigné. Vanoli semble faire un parallèle entre le saint et l'auteur de bande-dessinée, dont la vocation est assez indéfinie. Quel peut-être son rôle dans une époque troublée ? Divertir, c'est abrutir, et par conséquent un auteur de BD peut-il s'en contenter ? La quête mystique du saint catholique et celle de l'auteur de BD semble se confondre.



On pense aussi parfois au roman de Diderot, "Jacques Le Fataliste", dans lequel Diderot scrute le pouvoir de l'écrivain de créer la fiction, cette antimatière aussi fascinante que futile. Vanoli joue avec l'histoire de saint Roch, qui part de faits bien réels, en même temps qu'elle a des aspects légendaires : il donne sa propre partition, retranchant ici, ajoutant là, tout en conservant la trame du récit.



C'est encore un pont qui relie le moyen-âge à notre époque moderne : ce rapport quasiment religieux à la littérature ; le foisonnement de cette dernière, jusqu'à former un monde imaginaire auquel la BD et les séries télé contribuent, a son point de départ dans ce temps apparemment reculé où l'Europe était encore recouverte par d'épaisses forêts. Désormais l'Europe est enfouie sous des livres, sans que l'horizon s'en trouve éclairci. L'avenir vers lequel tout tend n'est lui-même qu'une fiction.
Lien : http://fanzine.hautetfort.co..
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Le promeneur du Morvan

En résidence artistique pendant un mois au sein du parc régional du Morvan, Vincent Vanoli commet un carnet de croquis comme témoignage intimiste des impressions ressenties. Sorte de journaliste humaniste en « terra incognita » qui s’effacerait devant son sujet, Vanoli s’approprie la topographie des lieux comme la rudesse accueillante des quelques autochtones.



Alternant les planches muettes et d’autres plus bavardes, cet opus s’agrémente de très beaux dessins charbonneux à la technique graphique variée et plaisante. La structure diversifiée des planches reproduit délicieusement le chaos des carnets de croquis

Impressions de permanence, notion de temps suspendu, parenthèse évanescente.



Entre parcours touristique et étude anthropologique, Vanoli s’étonne, s’émerveille, se questionne au contact de gens simples, très souvent attachants, au parcours de vie parfois chaotique.



Reste à constater le vide social que les périodes automnales et hivernales rendent d’autant plus angoissant. Nombre d’habitations et de commerces abandonnés dans ces petits hameaux granitiques témoignent des vagues d’exode rural mal maitrisées. D’autres maisons restent volets clos, comme en hibernation, en attendant le retour furtif de leur propriétaire citadin expatrié. En attendant cette transhumance estivale, les habitants permanents domestiquent la solitude, le silence, le temps long.



Devant la multitude des petits bâtiments ruraux à l’abandon, Vanoli se questionne sur la sauvegarde de ses témoignages d’un passé rural suranné : « Faut-il toujours vouloir préserver le passé ? Le passé, le présent, le futur. Le futur, c’est le possible et pour rendre possible un avenir faut-il nécessairement garder le passé? Garder encore, comme si l’on craignait que le futur ne puisse plus rien nous promettre. Sauvegarder pour comprendre ? »



Notre promeneur prend conscience, à travers ces divagations dans le Morvan, de la déshérence dramatique et silencieuse des campagnes françaises.
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La Boucle

De larges vignettes libres ou enserrées, partagent les planches à la calligraphie savamment irrégulière. D’un superbe dessin charbonneux transparait une fragilité exacerbée, une sensibilité affleurante que le quartier du Bas-Chamiers met en exergue. La magnifique couverture bicolore rehaussée d’un rouge vaporeux par Louise Collet, renvoi tel un clin d’oeil, aux dessins de Lolmede, ancien pensionnaire du lieu.



Entre mélancolie et nostalgie d’un passé revolu, Vincent Vanoli y dépeint une douce misère sociale matinée de bonheurs simples. Nostalgie d’une période ouvrière révolue, d’une présence américaine que l’on imagine jadis opulente, d’un habitat autrefois plus dense avec des barres HLM maintenant disparus. Lové dans un méandre de l’Isle, aussi préservé qu’isolé par sa situation géographique pourtant proche de Périgueux, Chamiers cultive ses racines ouvrières.



Les rails de chemin de fer qui enserrent le quartier comme les immenses ateliers de réparation SNCF signent encore maintenant cette appartenance sociale. Les petits jardins ouvriers s’immiscent au milieu de pavillons coquets maintenant décatis, retranchés derrière des clôtures plus ou moins hautes. Chacun semble s’être retiré dans son cocon familial. L’auteur y décrit ses difficultés à rencontrer des habitants soustraits des espaces communs. Les rares rencontres décrivent des habitants attachants.

L’économie sociale et solidaire s’épanouie dans cet environnement économiquement appauvrit.

Cette résidence d’artiste, « Vagabondage 932 », a accouché d’un superbe témoignage doux amer. Un instant de vie comme en apesanteur
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