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4.46/5 (sur 13 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Montreuil-sous-Bois , 1969
Biographie :

Virginie Gautier étudie aux Beaux-Arts puis mène un travail artistique en réalisant des sculptures, photographies, vidéos, et des œuvres in situ dans le paysage.
Elle développe une pratique autour des questions d’espace, de perception et de déplacement, qu’elle poursuit aujourd’hui en écrivant.
Elle enseigne les Arts Plastiques en Seine-Saint-Denis.

Les yeux fermés, les yeux ouverts est le deuxième livre de Virginie Gautier, après Les zones ignorées (vu par Gilles Balmet), paru aux éditions du Chemin de fer en 2010.


Source : http://www.chemindefer.org
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Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
Si j’ai pris la plume, ce n’est pas pour parler de mon devenir mais plutôt de celui de mes enfants et petits-enfants. Parce que j’ai cru et je crois encore en un devenir possible. Tout n’est pas aussi sombre que certains voudraient nous le faire croire. Combien de marches blanches pour la vérité ? Combien de marches pour que les manipulations cessent et que la paix revienne ? Mais comment entendre la vérité, tant les cris de haine et les mensonges sont forts ?
J’ai une pensée, au moment de conclure, pour toutes les personnes qui subissent des violences infligées par une frange de notre société, et qui se sentent bafouées et outragées quand on encense des délinquants : Adama devient un héros pour les jeunes, Bagui un grand frère remarquable et les forces de l’ordre des « monstres » et des brebis galeuses.
Dans un amalgame impossible, tout est prétexte à tenter de faire plier une justice qui fait son travail comme elle peut, parasitée par des médias trop friands de sensations et visiblement inexpérimentés !
Personne ne parle des insultes permanentes que subissent les forces de l’ordre ni des coups reçus. Toutes les « affaires » en banlieue sont-elles des bavures ? Je ne peux y croire, moi, la mère d’un gendarme élevé dans le respect des autres, moi, la militante au Mrap et à Amnesty International, moi dont la maison est ouverte à tous. Que ferais-je si l’un de mes proches était assassiné ou séquestré, roué de coups, violé, volé ? Serais-je capable, comme le font certains parents, de dire que je pardonne ?
L’uniforme représente le respect mais surtout il représente la dernière barrière face à l’anarchie et au « grand n’importe quoi » ! Je sais que je vais faire sourire avec mes phrases candides, mais quand un fils ou une fille, un père ou une mère, un oncle ou une tante, un mari ou une épouse rentre après une journée de travail, il lui faut un certain temps pour décompresser, faire la part des choses. Un gendarme n’insulte pas, mais il est insulté toute la journée.
Face à lui, parfois, des jeunes des cités armés (poings américains, matraques, revolvers, kalachnikovs, fusils à pompe, barres à mine…), cagoulés, casqués, portant des lunettes pour qu’on ne les reconnaisse pas. Et on voudrait mettre en face, pour rétablir l’ordre, des gendarmes sans protection et munis de fraises Tagada ?
Les hommes naissent égaux en droit et la France est un pays de droit. Oui, il y a une justice pour tous, quelle que soit la couleur de peau. Y compris pour les gendarmes. Sous ces uniformes il y a un sacré mélange de couleurs. Dans l’équipe de mon fils, il y a des hommes d’origine subsaharienne, algérienne, un Guadeloupéen, un Martiniquais : tous français, fiers de leur uniforme et de leur métier.

Moi, le produit des quartiers populaires, ayant vécu une grande partie de sa vie en HLM, moi qui ai vu les derniers bidonvilles être détruits en bordure de Caen, je me dis que nous avons raté notre devenir. Nous avons raté l’intégration. Les bidonvilles sont revenus… Les cités HLM de mon enfance, où tous se parlaient, où l’on s’entraidait, sont devenues de véritables ghettos où je ne me retrouve plus !
Mais, au nom de ce « ratage », devons-nous pour autant dire et faire n’importe quoi ? Parce que l’on est un personnage célèbre, doit-on émettre une opinion sans connaître le fond du dossier ? Croire les réseaux sociaux qui nous intoxiquent ? Une presse qui prend pour argent comptant ce qu’on lui donne ? C’est tellement facile de faire passer les forces de l’ordre pour de sales Blancs racistes… Qui creuse un magnifique chemin à l’extrême droite ? Le comité Adama. La majorité des Français n’adhère pas à ses histoires. Avant qu’il ne soit trop tard, j’aimerais tellement que les choses reprennent leur place !
En tant que citoyenne française, je demande que la haine envers les forces de police et de gendarmerie cesse. Je voudrais savoir qu’à un simple contrôle d’identité, mon fils ne risque pas de prendre un poing dans la figure, ou pire. Si notre police se doit d’être exemplaire, ceux qui sont en face doivent l’être aussi !
Je voudrais que tout le monde vouvoie systématiquement les forces de l’ordre. Je suis pour que chaque policier et gendarme soit muni d’une caméra lors de ses interventions. Les gens verraient la réalité, ils entendraient ceux qui ne cessent de traiter de « sale fils de pute, bâtard, enculé de ta mère, enculé de ta race… » les représentants des forces de l’ordre. Je voudrais que chaque journaliste, chaque people, chaque intello ayant conspué la BAC ou le Psig passe quelques jours avec leurs membres sur le terrain afin de prendre la mesure du quotidien vécu par les forces de l’ordre. Ils comprendraient peut-être pourquoi les policiers et les gendarmes, à une écrasante majorité, ne voient aucune raison d’assouplir le régime juridique du port des armes et de leur usage. Je suis d’accord avec eux, parce qu’en face d’une violence quotidienne, il faut mettre les moyens de s’y opposer.
Je voudrais terminer cette lettre en disant combien je suis fière. Fière d’être française et de l’histoire de mon pays, quelles que soient ses déviances, car c’est au travers de cette histoire que je me suis construite, que j’ai pu expliquer à mes enfants d’où l’on venait, ce qui s’était passé, les choses à ne pas faire et celles à continuer. Celles surtout à ne pas répéter et celles à cultiver ! (...)

Je remercie tous les policiers et les gendarmes qui, malgré la volonté de certains de vouloir les faire passer pour des gens violents et racistes, continuent à exercer leur métier avec bienveillance.
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Très vite, quand l’affaire a démarré, j’ai tenu une revue de presse, sans bien savoir pourquoi. Je ressentais un besoin incontrôlable de surveiller la Toile, les journaux, les infos télévisées. Je me faisais mal. J’avais mal. J’étais seule dans cette veille obsessionnelle, qui m’a très vite amenée à repérer les incohérences des médias. Pendant des années, j’ai suivi la construction progressive d’une icône, Assa Traoré, devant laquelle s’inclinaient des people, tous plus ignorants du dossier les uns que les autres. De juillet à décembre 2016, un torrent d’articles est paru dans la presse. À une écrasante majorité, ils prenaient, sans aucune distanciation, le parti de la famille Traoré.
J’ai tout lu. Et me suis infligé la lecture d’un nombre de bêtises hallucinantes. Affligeantes même.
La France qui discrimine, la France raciste, la France oppressive… Mais Assa Traoré en connaît beaucoup, des pays où on peut s’exprimer ainsi sans risque ?
La dette morale collective envers les « racisés » ? Je n’ai aucun esclavagiste dans mes ancêtres. Des serfs, oui. Je ne me sens pas responsable de l’histoire de l’esclavage en France. Je peux comprendre, admettre la faute qu’a constituée l’esclavage, mais je n’y suis pour rien.
Le « privilège blanc »… mais lequel ? « J’ai travaillé pour payer mes études, mes enfants aussi. Je n’ai pas eu de logement social avant les autres parce que j’étais blanche. Il y a longtemps de cela, je me suis retrouvée au chômage, en interdit bancaire, avec trois enfants à charge. J’étais tellement déprimée que je me souviens m’être arrêtée devant une épicerie fine et, sans savoir pourquoi, avoir senti des larmes couler sur mes joues en regardant la devanture, moi qui n’avais pas de quoi acheter des gâteaux ou du chocolat à mes enfants dans la supérette près de notre domicile. « Privilège blanc », tu parles…
Pendant les quatre premières années de l’affaire Traoré, je n’ai rien dit. Je n’ai jamais écrit à une rédaction pour protester, pour rétablir la vérité, ou même pour relever des incohérences flagrantes. Les vœux d’Assa Traoré invitée par Mediapart le 31 décembre 2016, les papiers complaisants en une du Monde, les articles de L’Obs… chaque fois j’avais le sentiment de recevoir une grande claque, et de ressentir une contradiction terrible. Tous ces médias qui se disent « de gauche », qui sont de gauche, m’obligeaient à lire la presse de droite, moi qui ai toujours voté socialiste, pour y lire une autre version de l’histoire, plus juste, plus vraie, à quelques détails près.

Quand j’ai vu tomber la lettre « J’accuse » d’Assa Traoré, la nature de la claque a changé. Cette fois, c’était comme si on m’avait asséné un coup de poing dans la figure. Traoré et Dreyfus, même combat ? Une comparaison folle ! Désolée, non, ça n’a rien à voir.
Mais les médias marchaient. Quel était leur problème ? La stupidité, le parti pris, le manque de courage ? On pouvait pourtant rester honnête sans renier ses convictions. François Ruffin l’a fait. Il a été hué lors d’une réunion publique au Havre pour avoir refusé de porter le T-shirt « Vérité pour Adama », lui qui voulait d’abord se forger une opinion, refusait tout simplement de prendre pour argent comptant la prétendue vérité vendue par le comité Adama1.
En juin 2020, la garde des Sceaux Nicole Belloubet a proposé de recevoir la famille Traoré au ministère. L’idée m’a horrifiée. Scandalisée. Mais, comme ses membres ont refusé l’invitation, je me suis dit que c’était finalement la ministre qui se trouvait humiliée, voire ridiculisée. J’imaginais déjà Emmanuel Macron allant mettre une rose sur la tombe d’Adama Traoré. L’espace d’un instant, j’ai pensé contacter Brigitte Macron pour tenter de faire passer un message. De femme à femme. De mère à mère. Et ne l’ai pas fait, ignorant comment m’y prendre. Je me sentais seule, prenais tout dans la figure sans le moindre filtre.
Je n’en pouvais plus, de toute cette violence, de tous ces mots incontrôlés et incontrôlables, de tous ces discours insoutenables.
Alors, un jour, j’ai craqué. À l’été 2020, j’ai appris par les journaux que le maire PCF de Stains (Seine-Saint-Denis) Azzédine Taïbi avait inauguré une fresque « contre le racisme et les violences policières », représentant George Floyd et Adama Traoré, en présence d’Assa Traoré. C’était trop. Un élu prenait pour argent comptant ce que racontait le comité Vérité pour Adama et, ciseaux à la main, content de lui, validait l’invalidable, au nom de la République. Justifiant son acte comme étant la « dénonciation des violences quelles qu’elles soient », cultivant un paradoxe qui est de porter aux nues un homme condamné dix-sept fois pour trafic de stupéfiants, extorsion de fonds par violence, vol avec violence… J’ai eu honte, avec la conviction que des millions de Français avaient honte comme moi. Et je me suis dit, ce jour-là, que l’extrême droite n’avait plus rien à faire pour arriver au pouvoir, il lui suffisait de laisser parler Assa Traoré, leur meilleur agent électoral, convaincue que les propos qu’elle tenait faisaient finalement monter le racisme d’une manière insidieuse.
Je me suis mise à mon clavier et une longue lettre est sortie d’un seul jet, comme un cri du cœur. Je l’ai intitulée : « J’ai honte », en écho au « J’accuse » d’Assa Traoré. Mais ce n’était pas ma réponse, car je ne m’adressais pas à elle. En dénonçant la fresque de Stains et la démagogie du maire, je me tournais surtout vers les journalistes.
Extraits de cette lettre : « J’ai honte quand je lis tous les articles de presse qui relaient les informations et les communiqués fournis exclusivement par la famille Traoré et leurs avocats sans chercher à savoir si ce qu’ils relaient est exact ou pas. Les trois gendarmes n’ont pas tué M. Adama Traoré, mais vous les avez déjà condamnés dans un élan populiste et populaire rendant la vérité inaudible ! […] J’ai honte, honte comme des millions de Français, que vous ayez oublié tout ce qui faisait que votre métier est magnifique. Vous vous cachez derrière “Nous avons pu nous procurer… nous avons eu accès… les informations que nous détenons…”, faisant des interprétations plus que douteuses, à partir d’informations parcellaires, traînant dans la boue des hommes et des femmes sans jamais avoir, par la suite, à vous en excuser ! J’ai honte de la manière dont vous traitez les informations ! Avec votre aide, mesdames et messieurs les journalistes, la thèse d’une vengeance personnelle est relayée ! […] S’il vous plaît, relisez ce que vous avez publié depuis quatre ans sur l’affaire Traoré. Combien de versions différentes sur l’arrestation de M. Adama Traoré sa famille nous a proposées depuis le début de l’affaire ? Les avez-vous comptées ? Combien de menaces de mort ont été portées à l’encontre de tous ceux qui ne disaient pas ce que la famille Traoré voulait entendre ? Les avez-vous comptées ? Combien de plaintes ont-elles été annoncées par la famille Traoré depuis juillet 2016 ? Les avez-vous comptées ? Combien de plaintes annoncées ont réellement été déposées ? […] L’important n’est pas que la plainte soit déposée ou qu’elle aboutisse, l’objectif est d’utiliser le magnifique espace médiatique que vous offrez à la famille Traoré ! Vous avez condamné les trois gendarmes, j’allais dire presque unanimement… Nous l’avons, hélas, bien compris. Regardez où nous en sommes aujourd’hui ! La violence dont font preuve les frères Traoré est indiscutable, mais dans une logique terrifiante de gommer et de niveler leurs “erreurs”, les actes commis sont appelés des broutilles, les condamnations du harcèlement et, dans un raccourci magnifique et une volonté amnésique de votre part, les frères Traoré sont présentés comme des prisonniers politiques. […] Avez-vous peur qu’on vous taxe de racisme parce que vous oseriez faire honnêtement votre travail ? Est-ce trop tard maintenant que vous vous êtes fait piéger pour oser dire la vérité ? Est-ce plus vendeur de condamner les gendarmes que de dire la vérité sur l’affaire Traoré ? (…)

Dans cette lettre, je remerciais les quelques artistes qui n’ont pas cédé à la facilité consistant à dénoncer les « violences policières » sans rien connaître au dossier. Car il y en a eu. J’ai aussi apprécié le coup de gueule du réalisateur Olivier Marchal contre les artistes « qui chient sur les flics ». J’ai aimé la « Lettre à un jeune Français prénommé Youssef » de l’entrepreneur Rafik Smati : « Tu imagines donc que le racisme, le rejet de ton origine ou de ta religion pourraient être l’explication de toutes les épreuves que tu traverses. Je crois sincèrement, mon cher Youssef, que tu te trompes. Bien sûr, il y a du racisme en France […]. Seulement, il est de mon devoir de te partager ce qui est pour moi aujourd’hui une certitude : la société française n’est pas raciste. Tu trouveras dans le monde peu de peuples aussi ouverts, tolérants, fraternels que le peuple français. » L’interview de l’ancien champion du monde de boxe thaï Patrice Quarteron a aussi été une bouffée d’oxygène. Il y dénonçait les attaques ahurissantes contre des policiers de banlieue « coupables » d’avoir utilisé leurs armes contre une voiture forçant un barrage à 120 km/h et conduite par un jeune sous cocaïne. Lui-même noir, il parlait sans détour du racisme antiblanc dans lequel il avait baigné étant jeune et refusait, courageusement, de s’associer au mouvement américain Black Lives Matter.
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Le docteur Rambaud trouve chez Adama Traoré un « trait drépanocytaire », des « lésions d’allure infectieuse de type miliaire touchant les deux poumons et le foie » et une « cardiopathie hypertrophique ». En langage profane, Adama Traoré souffrait d’une maladie héréditaire, la drépanocytose (…)
Adama Traoré, enfin, avait un cœur très gros, ce qui n’est pas synonyme de bonne santé. L’hypertrophie du muscle cardiaque peut au contraire perturber son bon fonctionnement. « Ce type de pathologie est susceptible de donner lieu à une mort subite par le biais d’un trouble du rythme, détaille le docteur Rambaud dans son rapport, qui a fuité dans la presse. La survenue d’un trouble du rythme est favorisée par l’augmentation de travail du cœur, comme cela se voit dans les situations de stress ou encore d’exercice physique ou d’infection. (…)

La justice, à ce moment précis, connaît un autre raté, d’ailleurs bénin. Il y a un dossier médical au nom d’Adama Traoré dans une association locale d’insertion du Val-d’Oise, réalisé par la médecine du travail en 2014 à l’occasion d’une mission effectuée par le jeune homme. Les enquêteurs n’ayant pas pensé à chercher de ce côté, il sera demandé par les juges seulement en 2021. Ce dossier est couvert par le secret médical, mais le témoignage d’une conseillère en insertion de Pôle emploi dans le Val-d’Oise donne peut-être une idée de ce qu’il contient. Elle explique aux enquêteurs, lors de son audition le 24 mars 2021, qu’elle a été frappée par le contraste entre l’allure athlétique du jeune homme, taillé comme un boxeur poids lourd, et son manque d’endurance : « Il y avait un décalage entre son physique et cette donnée d’essoufflement. » C’était l’encadrant d’une association d’insertion employant occasionnellement Adama Traoré qui lui avait signalé le problème. Adama avait été assigné aux travaux de déménagement, mais très vite il était « essoufflé, il avait des vertiges, il n’arrivait plus à monter et descendre les escaliers avec des meubles », raconte la conseillère. Il avait donc « été mis sur un chantier plus cool, le paysagisme »… Cette témoin souligne spontanément qu’elle n’a pas compris pourquoi les enquêteurs avaient attendu près de cinq ans pour l’entendre : « J’ai été surprise que la mission locale et l’association n’aient pas été contactées, car elles étaient souvent en lien avec Adama Traoré. Je pensais que je serais moi-même entendue plus tôt. » On peut parler d’un raté de l’enquête, mais un raté que maître Bouzrou [avocat de la famille Traoré] n’exploitera, pour une fois. Il faut dire qu’il ne va pas dans le sens de sa théorie : Adama était un athlète en pleine forme, dont la mort a forcément été provoquée par des violences.
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Quiconque a fréquenté les partis politiques à l’échelon local pourra le confirmer : attirer des jeunes est un défi et attirer des jeunes des quartiers est la quête du Graal. Loin de mépriser et d’« invisibiliser » les postulants issus de l’immigration, les partis leur ouvrent les bras et les poussent sur la scène, toutes tendances politiques confondues. Taha Bouhafs le sait, comme ses amis Youcef Brakni et Anasse Kazib. C’est une ouverture non dénuée d’arrière-pensées électorales. Traditionnellement, les cités sont abstentionnistes. Tous les profils susceptibles de faire voter les quartiers sont donc recherchés.

Assa Traoré fait-elle partie de ces profils ? Si on pense à une légitimité construite sur un lent travail de terrain à la maille la plus fine, fait de réunions de quartier et de porte-à-porte militant, la réponse est clairement non. Comme expliqué plus haut, l’ancrage du comité Adama dans les quartiers est inexistant. Ses manifestations contre les violences policières attirent un public qui se réduit lorsque le comité s’éloigne du cœur de Paris ! Assa Traoré peut compter sur cinq cents sympathisants place de la République et cinquante à Beaumont-surOise, schématiquement. À l’époque des réseaux sociaux et des campagnes-événements par médias interposés, néanmoins, elle peut faire illusion. Le compte Twitter « La Vérité pour Adama » fédère 55 000 abonnés ; Sihame Assbaghe en a 100 000 ; Taha Bouhafs 120 000… Même en tenant compte des doubles et triples abonnés, c’est considérable, sachant que JeanLuc Mélenchon a raté le second tour de la présidentielle en 2017 pour 600 000 voix seulement (et 400 000 en 2022 !). C’est peut-être la raison pour laquelle Danièle Obono, député LFI, se disait « ouverte » à ce qu’Assa Traoré rejoigne la liste du parti pour les européennes de 2019. Cela ne s’est pas fait et Assa Traoré, de son côté, n’a jamais manifesté publiquement une quelconque intention de s’engager. Le fait que l’on pense à elle n’en est que plus significatif. Cela marque une réelle victoire du comité Vérité pour Adama : fédérant sur un simple nom des militants n’ayant jamais connu celui qui le portait, privé de relais dans la population qu’il prétend représenter, il s’est néanmoins imposé comme un lobby avec lequel il faut compter, jusqu’à l’Assemblée nationale.
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Virginie Gautier
les passagers referment des romans-fleuves
plus souvent que des textes-rivières
ou de la poésie-ruisseau
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« Ce qu’il y a de scandaleux chez toi, c’est que ton discours ne correspond en rien à ton parcours. On n’a jamais vu en France une victime de “racisme systémique” être aussi libre que toi, Assa Traoré. Dans les vraies dictatures, dans les vrais régimes oppressifs, les victimes n’ont pas la parole, elles ne font pas la une des journaux, n’organisent pas de manifestations illégales, ne sont pas régulièrement invitées par les médias de masse. (…) »

Inconnue du grand public, Stella Kamnga n’y allait pas par quatre chemins, mais par quel angle la dénigrer ? Dans la logique du comité Adama, le profil de celui qui parle valide ou invalide d’office ses propos. Or, c’était une femme noire qui s’exprimait, martelant avec force des vérités : « Dans les vraies dictatures, personne n’oserait contester une décision de justice pour mener sa revanche personnelle, diffamer le pays qui vous a vu grandir et régler ses comptes dans la rue et dans les médias. Dans tous ces pays où les droits de l’Homme n’existent pas, tu n’aurais jamais pu bénéficier de cet arrêt maladie d’une durée d’un an qui t’a bien servi pour passer ton temps à militer, le tout avec la complicité de la fondation Opej-Baron Edmond de Rothschild, dont tu étais l’employée. » Assa Traoré avait effectivement passé près d’un an en arrêt maladie, sans toucher d’indemnités durant toute cette période, mais en militant très activement. « Assa, tu ne luttes pas pour défendre une cause et encore moins pour protéger une communauté, poursuivait la jeune femme. Tu luttes dans le seul but de promouvoir ta propre personne. (…) Tu prétends défendre la condition des Noirs ? La vie d’un homme noir ou d’une femme noire a plus de valeur en France qu’en Afrique et tu le sais très bien. »

Assa Traoré n’a jamais réagi publiquement à cette charge, qui reste à ce jour la plus violente dirigée contre elle.
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« J’ai finalement réussi, à essayer d’en finir avec moi-même, d’une manière aussi ordonnée et concise que possible.... Je préfère mourir jeune en laissant diverses réalisations, un certain travail, mon amitié avec vous, et quelques autres objets intacts, au lieu de l’effacement pêle-mêle de toutes ces choses délicates. »
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Il y a une victime oubliée dans l’affaire Adama Traoré, c’est la commune de Beaumont-sur-Oise. Dans les jours qui ont suivi le fait divers, elle a subi plusieurs nuits de violences extrêmes, commises par des habitants des cités persuadés qu’ils avaient quelque chose à venger. Cinq d’entre eux ont été jugés par les assises du Val-d’Oise en juillet 2021, dont Bagui Traoré, demi-frère d’Adama. La sévérité des peines prononcées reflète la gravité des faits : deux des accusés ont été condamnés à douze ans de réclusion pour avoir tiré sur les gendarmes, dans l’intention probable de tuer. Bagui Traoré a été acquitté. Les dizaines d’émeutiers anonymes qui ont « seulement » brûlé des voitures, caillassé les forces de l’ordre ou détruit du mobilier urbain n’étaient pas sur le banc des accusés. Sans parler des tireurs qui n’ont jamais été retrouvés. Selon les estimations des enquêteurs, plusieurs dizaines de coups de feu, provenant de fusils de chasse de calibre 12 mais aussi de calibres 7.65 ou 22 long rifle, ont été tirés durant les émeutes. Pendant quatre nuits, un hélicoptère a survolé le secteur des villes sœurs (Persan, Beaumont, Chambly, voire une partie de L’Isle-Adam), où près de deux cents gendarmes tentaient de contenir les violences. Au petit matin, les habitants qui avaient réussi à dormir retrouvaient leurs rues encore fumantes des brasiers allumés la veille par des incendiaires dont le discernement n’était pas la première qualité. La deuxième nuit, à Champagne-sur-Seine (où vivait la mère d’Adama Traoré), quelqu’un mit le feu au camion municipal servant à livrer les repas aux personnes âgées isolées ainsi qu’aux enfants du centre de loisirs. Dans son autobiographie, le journaliste Taha Bouhafs, soutien indéfectible du comité Adama, avance que les émeutiers qui se livrent à ce genre de geste ont « malheureusement raison », car c’est pour eux le seul moyen de faire entendre leur voix. Pour dire quoi exactement, il ne le précise pas.
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Dans la perspective d’Antonin Bernanos, attaquer une voiture de police n’est pas un crime, mais un acte de résistance. Quoi que l’on pense de sa perception des choses, elle doit être prise en compte pour comprendre l’affaire Adama, car cette vision a été partagée, ou au minimum considérée avec empathie, par nombre des médias qui ont prêté une oreille attentive à Assa Traoré : Mediapart, Reporterre, Politis, le Bondy Blog, BastaMag, StreetPress, L’Obs, et avec un peu plus de recul Libération et Le Monde. Ces médias, et ceux qui les lisent, ont joué le premier rôle dans l’affaire Adama, bien plus que les banlieues. Les quartiers populaires de Beaumont-sur-Oise et Persan se sont embrasés quelques jours à l’annonce de la mort d’Adama, mais sur la durée, les soutiens du comité sont surtout venus de milieux de gauche cultivés, investis dans la lutte contre la répression et les violences policières, même s’ils n’en souffrent pas directement.

Dès le 20 juillet, au lendemain de la mort d’Adama, Mediapart publie un long article qui donne la parole aux proches de la victime. Leurs témoignages sont forts, émouvants, choquants, mais, comme la suite le montrera, surtout erronés. « Les gendarmes l’ont interpellé au centre-ville, l’ont tapé pour le faire entrer de force dans la voiture et il a eu une crise, croit savoir Hatouma, la sœur du défunt. Ils l’ont emmené quand même en garde à vue, sans appeler les pompiers ni rien du tout. […] On nous a raconté qu’au poste il était par terre, menotté, et qu’ils lui ont donné des coups sur la tête. Il a fait une crise, mais ils ont continué à lui donner des coups. Il a succombé aux coups. ». (...) Très rapidement, le comité va abandonner l’hypothèse des coups mortels, que rien ne vient étayer. Et les journaux qui s’étaient fait l’écho de ces accusations de violence infondées cesseront de les évoquer sans plus de façon.
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Immédiatement, des menaces de mort sont proférées contre les gendarmes qui ont interpellé le jeune homme, mais aussi contre leurs femmes et leurs enfants. Leurs noms sont tagués sur les murs des cités. Le soir même, la hiérarchie les informe qu’ils vont devoir quitter la région. Pas bientôt, pas dans une semaine. Sur-le champ. Ce n’est pas une sanction. Pour leur sécurité, ils sont exfiltrés en deux heures en attendant qu’on leur trouve une nouvelle affectation. Romain, vingt-sept ans, a une fille de huit mois. Il appelle sa compagne : « Il faut que je te parle…
— Je commence à monter le lit que nous avons acheté pour la petite.
— Tu peux le laisser dans l’emballage. On s’en va. »
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