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Critiques de Vladimir Nabokov (658)
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Lolita

De sa prison, Humbert homme d’une quarantaine d’années se confesse en racontant sa folie amoureuse pour une fillette de 12 ans.

Humbert, professeur de littérature loge chez Charlotte Haze, veuve, afin d’étudier et d’écrire en toute tranquillité. Mais tout change lorsque sa logeuse lui présente sa fille. Humbert qui est attiré par les nymphettes de 9 à 12 ans, est subjuguée par la juvénile mais aguichante Dolorès dite Lolita.

Une complicité va s’instaurer entre le professeur et la jeune fille, mais la mère, jalouse, va éloigner cette dernière en l’envoyant dans un camp de vacances. Obsédé par l’image de Dolorès, Humbert accepte d’épouser Charlotte car il voit en ce mariage l’opportunité de vivre auprès de la fillette. Un jour Charlotte tombe sur le journal intime de son mari dans lequel il dévoile son attirance perverse pour sa fille. Choquée elle s’enfuit mais dans sa précipitation se fait écraser par une voiture. Sa femme morte, Humbert devient le tuteur légal de Dolorès, il récupère donc la jeune fille et s’ensuit pour eux un long voyage à travers l’Amérique. Malgré elle, Lolita devient la maîtresse de son beau-père...



Humbert est le narrateur ce qui trouble d’autant plus car on devient témoin voire presque complice. A travers son récit il nous transmet sa passion pour Lolita avec tellement d’émotions et de tendresse qu’on oublie parfois que la jeune fille est victime de ce pédophile. Humbert pourrait avoir toutes les qualités, il est séduisant, cultivé, raffiné, attendrissant ce qui rend encore plus dangereux cet homme en apparence insoupçonnable. Mais voilà il l’aime, elle obsède ses jours, ses nuits, sa vie, Elle est sa providence, la lumière de sa vie, Dolorès, Dolly, Lo, Lola ... SA Lolita !

A 12 ans l’insolente mais l’insouciante Dolorès est pleine d’innocence, abusée par cet homme, elle finit par en abuser elle-même en se jouant de lui. Et même si elle donne l’impression d’accepter la situation, elle ne maîtrise rien et n’a pas conscience de la gravité des actes de son beau-père. A aucun moment la jeune fille n’adopte le comportement normal d’une pré-adolescente. Au fond, Dolorès, sous les apparences d’une garce, est paumée et souffre de l’emprise de son beau-père, de la mort de ses parents, et rêve certainement d’une vie sociale et familiale comme tous les autres enfants et non de devenir la muse des phantasmes sexuels d’un pervers.



Ce qui est troublant dans ce roman c’est d’aborder le thème de la pédophilie avec autant de beauté dans l’écriture. Nabokov use d’une écriture soignée, nette et poétique, un texte de haute qualité, nourri d’une richesse savoureuse de vocabulaire.

J’ai pris un plaisir indicible à lire ce roman, je reconnais qu’il peut être parfois dérangeant mais jamais obscène, c’est pourquoi il faut l’aborder avec beaucoup de recul pour ne pas tomber dans le jugement.

« Lolita » est avant tout l’histoire d’un amour névrosé d’un homme pour une fillette, un amour certes malsain, incestueux mais fort et émouvant. Le plus déstabilisant c’est que Nabokov fait de son personnage pédophile, un homme humain...

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Lolita

La pédophilie, c'est abject. Nous sommes tous d'accord là-dessus.

De même que, sachant tous que c'est le thème abordé dans Lolita, si on n'est pas prêts à mettre momentanément son aversion en sourdine, autant ne pas ouvrir le livre. A moins, naturellement, que le seul intérêt qu'on y trouve soit de pousser des cris d'orfraie et enfoncer une porte ouverte en martelant que... la pédophilie, c'est abject.



Cela étant, j'avoue avoir ressenti un léger malaise durant la centaine de premières pages. En effet, je ne parvenais pas à m'ôter de l'esprit l'image de Nabokov sexagénaire - dont je venais de suivre une interview sur le Net - et que je collais systématiquement au personnage d'Humbert Humbert.

Afin de corriger cette vision déplaisante, je suis allée quérir sur Youtube des extraits du Lolita d'Adrian Lyne - la meilleure version cinématographique, selon moi - et j'ai pu reprendre ma lecture avec un Humbert Humbert aux traits de Jeremy Irons et à Lolita ceux de Dominique Swain. Brillants interprètes qui m'ont permis d'aborder ce sulfureux roman d'une manière moins dérangeante.



Il est clair que, sous une apparence de gentleman posé, cultivé, courtois mais distant, l'élégant Humbert Humbert est furieusement dérangé. Sa psychologie déviante obscurcit totalement son jugement. Ainsi, aucun adulte, même jeune, n'a grâce à ses yeux : tous laids, stupides, répugnants, méprisables. Seules les très jeunes filles requièrent sont intérêt. Et encore faut-il qu'elles soient jolies, de jolies nymphettes...

Et, au-dessus de cette marée d'insectes insignifiants, surpassant tout et tout le monde, il y a Lolita. Vulnérable et non moins dangereux petit animal écorché que cette ravissante gamine dont les comportements et les attitudes ne sont pas toujours ceux d'une enfant tels qu'on peut les concevoir sur la base de critères conventionnels.

Dès l'instant où il la voit, elle devient son obsession. Une maladive obsession qu'il se persuade être de l'amour. Un amour absolu. Et, même si cela est difficile à admettre vu de l'extérieur, je le pense sincère. Résolument, viscéralement, sincère.



Sans Lolita, Humbert Humbert serait resté un détraqué pathétique, prédateur de nymphettes, en conflit permanent avec ses propres démons. Ce qui l'aurait probablement conduit au suicide ou à toute autre forme d'autodestruction.

Et, sans Humbert Humbert, Lolita aurait eu une adolescence, certes compliquée, mais, sans doute ou peut-être, serait-elle arrivée à l'âge adulte sans trop de meurtrissures pour envisager un avenir plus apaisé.



Seulement voilà, ces deux-là se sont rencontrés et ça a donné un roman qui occupe une place unique dans l'histoire de la littérature du XXe siècle. Qualifié tantôt d'immonde, tantôt de chef-d'oeuvre.



Certes, ce livre est dérangeant, déstabilisant même. Mais il ne faut pas le lire comme la plaidoirie d'un avocat chargé de défendre l'indéfendable.

Nabokov décortique la psychologie d'un monstre et les circonstances de son crime. Son analyse est ciselée. Il n'excuse ni n'accable, il investit un crâne, l'ouvre et nous montre la tumeur, nous explique pourquoi elle est là, comment elle évolue, comment elle ne peut faire autrement qu'évoluer. Et cela même si le porteur est conscient du mal qui le ronge et s'amplifie hors de son contrôle.

Nabokov ne fait pas l'apologie de la pédophilie. Il la dissèque, l'expose et nous laisse à notre réflexion.

Il aurait été, certes, plus facile et mieux accepté par l'opinion générale d'écrire ce roman par la voix de la victime. Mais Nabokov a pris le risque d'aborder le sujet sous un autre angle, celui du bourreau. Il fallait oser, il est sans doute le seul à l'avoir osé sur ce thème. Mais il a eu raison, il avait le talent pour le faire.
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Lolita

♫ J'ai écrit ton nom avec des clous dorés

Un par un, plantés dans le cuir de mon blouson dans l'dos

T'es la seule gonzesse que j'peux tenir dans mes bras

Sans m'démettre une épaule, sans plier sous ton poids

Tu pèses moins lourd qu'un moineau qui mange pas

Déploie jamais tes ailes, LOLITA t'envole pas

Avec tes miches de rat qu'on dirait des noisettes

Et ta peau plus sucrée qu'un pain au chocolat

Tu risques de donner faim à un tas de petits mecs

Quand t'iras à l'école, si jamais t'y vas

Lola

J'suis qu'un fantôme quand tu vas où j'suis pas ♫

Morgane de toi - Renaud -1983 -



Exemple insigne de lèpre morale,

sincérité désespérée, document clinique

Fourberie abjecte , être anormal

Lolita parmi les classiques psychiatriques.

Tout en abhorrant son auteur

et ces personnages hauts en couleurs,

(pas faits pour inspirer la sympathie)

Mais par sa plume d'une Grâce infinie

Tendresse, frustration, la première partie,

On ne peut subir que le charme du récit



Véritable mise en garde contre de périlleuses tendances

l'avènement d'une vie ineffable, acte de démence

Nabokov nous montre du doigt perversion et luxure

Vigilence inflexible, pour élever des générations meilleures dans un monde plus sûr.



Myriades de phalènes éclairs

Ephémères aux ailes de verre

Souillée, l'essentielle innocence

petites causes, grandes conséquences

plutot jolie comme expression

Lemon Inceste, un zeste de citron

insecte, lépidoptère papillon

LYCAEIDES SUBLIVENS NABOKOV

+ 5 400 épinglés dans sa collection



Pour mon île deserte, faire une place,

Subjugué, il fallait que je l'emmenasse ...







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Autres rivages

J'ai lu ce livre en russe (ma langue maternelle) quand j'avais dix-huit ans. Récemment je l'ai relu en français et voilà pourquoi. Depuis que je vis en France plusieurs fois j'ai essayé de faire découvrir à mes proches ou connaissances la littérature russe que ce soit Essenine ou Nabokov, mais ils ne se laissent pas séduire me disant « je ne suis pas littéraire » ou « c'est trop triste, la littérature russe », ou même « il ne se passe rien ! », « j'ai lu mais je n'ai rien retenu ! » du coup, je lis moi-même mes cadeaux recalés ! Heureusement, avec la même joie !

Je me rappelle que Nabokov, c'était ma première lecture déstabilisante ! J'ai commencé par hasard par le roman « La défense Loujine » que j'ai abandonné puis c'était le roman « Invitation au supplice » qui m'a même fait pleurer de malaise quoique je l'ai terminé ! Quand on ne connaît que le régime totalitaire où tout semble simple et carré (comme moi, à l'âge où je découvrais Nabokov, entre mes quinze et vingt ans), un récit se développant sur plusieurs couches de sens dans le labyrinthe d'une forteresse dérange forcément et détourne des convictions formées par la pensée unique. Ou tout simplement le fait d'être une adepte pieuse des classiques m'empêchait d'apprécier autre chose. Nabokov, c'était vraiment un écrivain « en biais » pour moi ! Je me permets ce calembour car « NABOK » signifie en biais, sur le côté, de travers !!!

Nabokov a été autorisé en Union Soviétique après Perestroïka. Mais il faisait partie des livres déficitaires (comme Merejkovski, Akhmatova, Boulgakov, tous les beaux livres) que seulement les privilégiés pouvaient acheter, il fallait faire partie des notables, faire partie du Parti, travailler dans une librairie, soudoyer un libraire ! Ou alors ou alors… comme mon père, il fallait apporter des tonnes de papier à recycler, préparer des paquets bien ficelés, faire la queue dans la nuit, dans le froid, sous la pluie, pour les déposer et répondre « Présent ! » Car c'était un club d'amateurs de lecture. Je sais que cela a l'air invraisemblable aujourd'hui mais ces pratiques ont eu lieu !

Après ces premières expériences de Nabokov, mon guide spirituel de l'époque (toujours le même qui surgit de mes autres critiques babelio, un professeur de musicologie, très littéraire) m'a conseillé les romans « le Don » et « Machenka » et cela étaient des lectures jubilatoires ! Ensuite j'ai lu « Autres rivages » où Nabokov s'est cristallisé pour moi en maître des feux follets, des mots-lueurs, lui-même un feu follet !

Il s'agit donc d'une autobiographie de Vladimir Nabokov (1899-1977, romancier, nouvelliste, poète, mais aussi traducteur et critique littéraire qui enseignait la littérature européenne dans plusieurs universités avant de connaître un succès international avec « Lolita »).

Le livre est inspiré par son épouse Véra. Les douze premiers chapitres sont consacrés à son enfance dans une famille cultivée et libérale de l'aristocratie de Saint-Pétersbourg avant la Révolution bolchevique. Les trois derniers chapitres retracent son exil de Russe blanc à Paris, Cambridge et Berlin jusqu'à son émigration aux États-Unis en 1940.

Toutes ses oeuvres publiées dans sa langue maternelle évoquent à travers le prisme de l'imagination le déracinement forcé de Nabokov, la mélancolie du quotidien de la communauté russe émigrée en Allemagne, les paysages d'une enfance heureuse, à jamais perdue. Dans le méta-roman le Don, (roman qui traite de l'écriture d'un autre roman), Fiodor Godounov-Tcherdyntsev, le héros principal, présente des caractéristiques biographiques de l'auteur tout comme Lev Glebovitch Ganine, personnage principal du roman « Machenka » ! Ils incarnent le même caractère dont je tombe folle amoureuse (amoureuse jusqu'aux oreilles, en russe !).

L'écrivain parle avec admiration de son père, pour lui, c'est un héros ! Son père était professeur de droit, criminologue et homme politique libéral connu, membre fondateur du Parti constitutionnel démocratique, élu à la première Douma d'État de l'Empire russe. C'était un opposant à l'autocratie, il était même arrêté quelques semaines. Après la révolution de février 1917, il était ministre sans portefeuille du gouvernement Kerensky. Appartenant à la noblesse russe il put offrir à Vladimir une enfance princière, dans des demeures princières et une instruction princière parfaitement trilingue (russe, anglais, français) ! Il offrit aussi à sa famille de nombreux séjours dans différents pays européens : Wiesbaden, Biarritz, Bad Kissingen etc. (Vladimir Nabokov décrit avec détails des lumières nocturnes qu'il apercevait par la fenêtre des trains de luxe, et je ne sais pas pourquoi mais le raffinement de ces passages du livre m'a beaucoup marquée !) Son père pratiquait le vélo dans ses propriétés, adorait jouer au tennis, s'adonnait à la chasse aux papillons, une passion qu'il transmit à Vladimir. Il possédait une collection fascinante de lépidoptères… Pour moi, c'était une lecture si palpitante que, depuis ma première lecture, j'en garde une parcelle au quotidien, une parcelle que rien ne supplante ! le père de l'écrivain mourut en 1922 assassiné par un extrême droite russe au cours d'un meeting politique à Berlin. Voilà pourquoi le thème de la mort du père, dans l'oeuvre de Nabokov, renvoyant à une souffrance vécue, est un thème si sensible.

La mère de l'écrivain qui se passionnait pour la cueillette des champignons et qui avait un goût vif pour les teckels, est décrite d'une façon très touchante. Elle n'avait que l'amour comme remède, comme foi, comme savoir ! Je suis émerveillée de la pureté des souvenirs de Nabokov lorsque je lis cela : « Aimer de toute son âme et, quant au reste, s'en remettre au destin, telle était la règle simple à laquelle elle obéissait. " Vot zapomni (N'oublie pas cela)", disait-elle, sur un ton de conspiratrice en attirant mon attention sur tel ou tel objet de son amour, à Vyra -- une alouette montant dans le ciel lait-caillé d'un jour couvert de printemps, des éclairs de chaleur prenant des instantanés d'une ligne d'arbres au loin dans la nuit, la palette de feuilles d'érable sur le sable brun, les empreintes cunéiformes des pas d'un petit oiseau sur la neige nouvelle. Comme si elle sentait que dans peu d'années, toute la part tangible de son univers périrait, elle cultivait un état d'attention extraordinaire... »

Il y a encore une pensée de ce livre qui m'a particulièrement marquée : « Je m'adresse aux parents : Ne dites jamais : « Allons, dépêche-toi », à un enfant. » Une phrase difficilement applicable (car il faut se socialiser !) mais j'y pense tout le temps ! Si on veut en faire un Nabokov, un Picasso ?!

Quoi dire d'autre ? Lisez vous-mêmes !





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Lolita

Roman de tous les paradoxes, de toutes les passions, de tous les interdits.



Comment avoir réussi à fusionner aussi intimement le crime le plus abject à une écriture aussi solaire ?



"Lolita", roman du malaise, de l'insondable, de la chute sans fin dans un néant sans rédemption.



"Lolita", récit d'une chasse. Une proie. Un prédateur. Deux victimes. Deux bourreaux. Une fillette. Un pédophile.



Où commence l'amour ? Où finit l'humanité ?



Humbert Humbert usera d'abord de tout son esprit pour convaincre son lecteur de la légitimité naturelle de sa passion pour sa nymphette avant de rendre les armes et de reconnaître qu'au nom d'aucun amour - aussi puissant soit-il - on ne peut voler la vie de quelqu'un en assouvissant sa passion. En dérobant l'enfance de Lolita (même si ce n'est pas lui qui aura pris son innocence), il a brisé sa vie alors même qu'il voulait la lui révéler dans une beauté utopique. Adoration se fait folie. Passion, perversion.



Le roman est partagé par l'auteur en deux parties : la chasse et la fuite.

Dans un road trip ahurissant et étourdissant, Nabokov nous entraîne dans l'intimité morbide de ce couple dépareillé à travers les vastes Etats-Unis.

Quête du bonheur pour l'un ; quête de la liberté pour l'autre.



Un roman hautement dérangeant ; une écriture brillante.

Une lecture qui révulse et fascine tout à la fois et qui laisse des séquelles.

Pas une seconde je n'ai ressenti de compassion pour Humbert Humbert ; à chaque seconde j'ai viscéralement voulu "sauver" Lolita.



A chaque page je me suis émerveillée de la maîtrise narrative et de la poésie d'un style qui oscille dangereusement, comme un équilibriste ivre, entre pédantisme et génie.





Challenge de lecture 2015 - Un livre qui a été interdit

Challenge XXème siècle

Challenge PAVES 2014 - 2015
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Lolita

Où est le scandale dans Lolita ? Il faut sans doute le chercher dans la pudeur d'un narrateur qui laisse au lecteur le soin d'élaborer lui-même quelles sont les perversions qu'il fait subir à une enfant de douze ans. Le scandale de Lolita se trouve donc dans ce qui n'y est pas écris. Regardons ce qui est écrit. Il est écrit l'histoire d'un homme qui tombe amoureux et qui se laisse envahir par un amour qui va le pousser jusqu'au meurtre. Voilà qui est bien banal. Pourtant rien n'est banal dans Lolita, parce que l'on se situe d'un bout à l'autre du roman à la limite de l'émerveillement et de l'horreur, dans cette zone floue où le beau et le laid, le bien et le mal se rejoignent. Humbert Humbert est à la fois attachant et odieux, décrivant le monde qui l'entoure, ces nymphettes désirées si tendrement et si violemment, leurs corps d'enfants, les motels sordides et les routes américaines qui sont le lieu d'une épopée tragico-amoureuse, avec la sensibilité extrême d'un poète raté mais taisant, cachant derrière le vernis de sa narration, une âme ogresse monstrueusement orgueilleuse. Le lecteur, souvent interpellé, se trouve le cul entre deux chaises. En même temps qu'il se laisse toucher par une confession intime qui démontre l'innocence fondamentale d'un individu qui ne fait que se soumettre à sa passion amoureuse, il a l'impression de se faire amadouer par un sinistre pédophile. Or, et c'est ce qui fait que Lolita est un roman troublant, il est impossible de déterminer si la face sombre, si sombre, du personnage l'emporte sur sa face lumineuse, si lumineuse, qui s'exprime dans un style très fin et sensuel. En plus, si les références littéraires sont nombreuses, il en est une qui frappe, c'est celle à Proust, dans cette recherche du temps perdu qu'est la dernière partie du roman, ce retour sur les lieux de la naissance de l'amour, de l'épopée et cette dernière rencontre avec une Dolly adulte, vieillie comme les personnages du bal dans Le temps retrouvé, à tout jamais autre que l'image figée, fixée par la mémoire, Lolita vieille, à dix-sept ans, personnage dont on mesure alors, malgré le narrateur, à quel point la vie a été un enfer, parce qu'elle n'a pas eu d'enfance. N'allons pas faire cependant de Lolita un roman moral. Ce serait lui ôter l'ambiguïté qui fascine le lecteur, qui se découvre en même temps capable de ressentir de la compréhension pour un pédophile, ce qui n'est pas rien dans le monde d'aujourd'hui, et de la pitié pour sa victime. Mais il me semble que je n'ai rien dit sur ce grand roman. Je suis trop fatigué et la richesse de ce texte fait de lui sans doute un puits inépuisable de commentaires, dont la plupart sont superflus. La lecture est terminée. Laissons reposer à la fois mon corps crevé par trois semaines d'armée et ce roman qui ne manquera pas de revenir sur le devant de la scène de ma réflexion.

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Détails d'un coucher de soleil

Ce recueil de treize nouvelles doit son titre à la première nouvelle.



Le lisant j’éprouve le même plaisir que lorsque je regarde de belles photographies. Ici tous les petits riens de tous les jours sont précieux et chargés de sens. Ils font remonter des souvenirs. L’extase des souvenirs… Dans « Le voyageur » et « Guide de Berlin » Nabokov décortique devant nous ses procédés d’écrivain.



Il y a cependant une nouvelle qui m’a marquée particulièrement : « Le retour de Tchorb ». J’ai rarement lu quelque chose d’aussi beau et poignant. Hier, j’ai relu mon passage préféré avec la même admiration qu’il y a dix ans. La grande règle de l’art, celle de ne pas s’attarder, agit ici dans toute sa splendeur. Ces quelques pages sont inoubliables. La femme de Tchorb meurt lors de leur voyage de noces en touchant un câble électrique. A rebours, il parcourt tous les lieux qu’ils avaient visités ensemble en recherchant tout ce qui en chemin avait suscité ses exclamations. « Elle sautillait, elle riait. Tchorb, en courbant un peu le dos, marchait derrière elle, et il lui semblait que le bonheur lui-même avait cette odeur, une odeur de feuilles mortes. » Puis Tchorb remonte à la source même de ses souvenirs : il passe la nuit dans leur première chambre.



La nouvelle « Détails d’un coucher de soleil » est poignante aussi et se rapproche de ma nouvelle préférée mais sans l’égaler. Marc se fait percuter par un bus alors qu’il rêve de sa fiancée, « comment le jour même il avait glissé ses lèvres sous la manche courte de sa robe et avait baisé l’émouvante cicatrice de son vaccin contre la variole ». Il ne sait pas que Klara est amoureuse de quelqu’un d’autre…

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Machenka

Je suis un peu spéciale. Tout le monde lit la science-fiction de Ray Bradbury tandis que moi je me délecte de ses histoires de non-science-fiction. Tout le monde fait des éloges à "Lolita" de Nabokov alors que moi je n'ai pas accroché à cette histoire. J'aime à la folie "Machenka" !

L'auteur y fait un portrait de l'exil mais moi j'y apprécie surtout comment Ganine revit dans sa mémoire sa radieuse passion de jeunesse. C'est magique comment son passé, intense et heureux, efface son présent engourdi d'émigré. Je lisais sans pouvoir m'empêcher de retracer dans mon esprit, suivant l'exemple de Ganine, tous les détails de mon premier amour, et c'était si excitant !

La fin de ce roman est surprenante. L'exaltation trouvée dans l'inaction...
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Autres rivages

Dans « Autres rivages », récit autobiographique , Nabokov dit partir à la recherche de pistes où les courants thématiques du début de sa vie, notamment les puzzles, les échecs, les couleurs, les randonnées, l’exil…. qui structurèrent sa vie , et , qui, lui ouvrant des nouvelles voies lui permirent d’atteindre sa maturité créative. Selon lui l’objet d’un récit de mémoires est précisément ce point de rencontre, “ d'une forme d'art impersonnel et d'un récit de vie très personnel”. Mais le bonhomme est compliqué et ses dessins thématiques se perdent dans les digressions. L’abordant pour la première fois avec son « autobiographie », je m’y fraie comme dans un champs miné.

Déjà dans les premières pages il se lance dans un discours d’enfant gâté et arrogant. La Musique, Niet, «  une succession arbitraire de sons plus ou moins agaçants », La Peinture, Niet, enfin presque , vu que la mère s’y acharnera à le stimuler visuellement. Il grandit avec précepteurs et autres dans une maison avec cinquante domestiques que personne ne dirige ni ne surveille, car le père s’en fiche et la mère est occupée ailleurs à cueillir des champignons et lui offrir des crayons gigantesques avec lesquels il lui est impossible d’écrire. Toutes sortes d’articles de confort et d’agréments arrivent en procession régulière du magasin anglais de l’Avenue Nevski, à Saint-Petersbourg , la famille ne se lavant qu’au savon Pears, et ne mangeant au petit déjeuner que de la nourriture importée de Londres…. Et tout cela exprimé sur un ton désinvolte , trop désinvolte vu la personne intelligente , voir génie qu’il prétend être dans le contexte d’une enfance dans la Russie des Tzars , d’une pauvreté extrême. Et puis arrivent ses aïeules. Il semble en avoir plusieurs dans toutes les têtes couronnées de l’Europe, avec descriptions généalogiques fastidieuses. Enfant prodige il se souvient même des détails infimes de ses quatre ans, comme le grand-père qui avale des cailloux 😊…. nous sommes à la page 72 et l’ego du bonhomme est déjà au firmament , Dieu sait ce qui m’attend sur les 350 pages restantes, avec un sens de l’humour ( qu’il pense avoir) aussi douteux que le personnage 😊….



Ce livre dont le titre original est « Speak, Memory » regroupe en faites une série d’articles de magazines écrits à l'origine pour Harper's et le New Yorker, lorsque Nabokov avait besoin d'argent pour compléter ses maigres revenus d'enseignant. Quel paradoxe , n’est-ce-pas ? De plus l’arrogant Nabokov même avec ce genre, l’autobiographie, a voulu se distinguer , “ Ce sera un nouveau genre d'autobiographie, ou plutôt un nouvel hybride entre autobiographie et roman. Elle se rapprochera de ce dernier car elle aura une intrigue précise. Diverses strates de mon passé formeront, en somme, les rives entre lesquelles s'écoulera un torrent d'aventure physique et mentale. Ceci impliquera la peinture de pays, personnes et modes de vie nombreux et variés….Ce sera une succession de brefs extraits, du genre essai, qui, avec un élan soudain, formeront quelque chose de très bizarre et dynamique: les ingrédients apparemment innocents d'un breuvage tout à fait inattendu .” Inattendu ? Franchement je préfère de loin les autobiographies « Non inattendues  » mais passionnantes, d’écrivains comme Elias Canetti, Doris Lessing , deux auteurs nobelisés, écrites sans prétention avec humilité. De plus ici , Nabokov avec son dernier chapitre XVI qu’il a éliminé dans sa dernière version mais présent dans mon édition, scie la branche sur laquelle il reste assis tout au long des 15 chapitres, faisant basculer l’ouvrage du côté de la pure fiction . Décidément à force de sophistications, faisant constamment hésiter le lecteur sur le statut des chapitres qui constituent le livre , entre nouvelles, donc fiction, ou anecdotes autobiographiques , donc véridiques , il perd finalement de sa crédibilité de ses propres soins. Mais, mais….j’ai trouvé que ce chapitre XVI était en faites le chapitre le plus passionnant du livre, et là j’ai un peu raboté de mon antipathie pour le personnage, qui effectivement est très complexe.



Cette lecture je le dois à mon ami babeliote Creisi ( @creisifiction) , dont l’excellent billet a fini par me convaincre à lire un auteur à vrai dire dont je n’ai rien lu dû à mon aversion à ses différents propos mégalo et sa critique acerbe de Dostoievski qui perso j’aime beaucoup. Et finalement je ne suis pas déçue vu que le bonhomme s’est révélé comme je le pressentais 😊. Il a écrit un livre qui s’intitule « La vraie vie de Sebastian Knight » , que je n’ai pas lu, mais vu le titre je pense qu’il aurait mieux fait d’écrire aussi par la suite le sien «  La vraie vie de Vladimir Nabokov », pour récupérer et sauver Sa Vraie Vie de la fiction 😁. Une première rencontre en demi-teinte avec un romancier lépidoptériste ou plus simplement dit, assassin de papillons 😁! Et quand je pense qu’on a même donné son nom à un papillon et qu’il s’en vante dans le livre, j’enrage. C’est peut-être pour cela qu’il abhorre Freud , car si ce dernier avait pu un peu creuser cette passion ou plutôt obsession du sieur pour les papillons que , à ce qu’il dit, personne à part ses parents n’a jamais compris , Dieu sait ce qu’il en aurait révélé sur son moi profond 😁??? De plus il ambitionne être le précurseur d’ espèces nouvelles et quand il apprend que tel papillon a déjà été répertorié par un Tel, il se venge de ce un Tel en lui donnant le rôle d’un aveugle dans un de ses romans. Je ne sais vraiment pas s’il faut en rire ou en pleurer , en tout cas toute cette arrogance et mépris envers autrui n’ont sûrement pas facilité sa vie.



Un livre quand même interessant vu son parcours de vie de la Russie aux États Unis, passant par Londres et Berlin, et le nombre d’anecdotes infinies qu’il enguirlande d’une prose élaborée , même si je pense qu’elles ont été largement abreuvées de son imagination fertile, du moins dans les détails 😊( p.243 il n’a que 12 ans mais apparemment il a déjà ingurgité tout Pouchkine, Lermontov et Tolstoi …., petit génie.)



« Stendhal , Balzac et Zola trois détestables médiocrités de mon point de vue. » 😁 Nabokov
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Lolita

Dans ce roman sulfureux et à scandale, Vladimir Nabokov, réussit le pari « d'endormir » l'éthique du lecteur pour l'amener à considérer le point de vue du récit d'un pédophile. Il joue habilement avec les mots afin de le rendre complice et tolérer les fantasmes sordides de son personnage principal.

Il dépasse la seule question de la pédophilie et de l'inceste basculant les idées reçues, avec intelligence et finesse pour livrer une histoire déchirante et pleine de contradictions.



Audacieux, choquant, obsédant, malgré notre répugnante aversion, Nabokov nous livre le journal intime d'un pédophile en dédramatisant le rôle de la victime et en enjolivant les bassesses les plus funestes de ce penchant intolérable.



L'énorme charge provocatrice peut en dérouter plus d'un, c'est définitivement une lecture dérangeante, qui demande au lecteur de dépasser ses préjugés et d'abandonner un instant ses confortables certitudes sur le bien et le mal.



On admet les facettes du génie sophistiqué et facétieux, poétique et érotique de l'auteur, qui joue avec la narration à la première et à la troisième personne afin de confondre le lecteur et lui permettre parfois de prendre du recul d'avec l'abject narrateur.



Solaire et solitaire, cette lecture brille d'un éclat sombre bien après la dernière page tournée.





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Lolita

Expérience unique dans ma vie de lectrice que cette immersion totale, fascinée et dérangeante dans ce roman subversif autour duquel j'ai tourné en cercles concentriques pendant des années, d'abord rebutée tant par le sujet que par l'idée que je me faisais de cette Lolita, puis peu à peu intriguée par son aura particulière pour enfin vouloir absolument découvrir par moi-même de quoi il retournait. Une découverte qui m'a subjuguée, prise comme les yeux du lapin dans les phares d'une voiture.



Ce qui m'a le plus étonnée (dérangée d'abord, puis seulement étonnée), c'est la rapidité avec laquelle j'ai abandonné dès les premières pages mes réticences et ma répulsion première à l'idée d'assister à la relation glauque d'un pervers et d'une trouble nymphette. C'est pourtant bien ça, Lolita, mais c'est surtout autre chose, que je suis bien en peine de définir. A ma décharge, Nabokov non plus, qui louvoie quand on lui demande quel est le sens de Lolita et répond que l'idée première lui en est venue à la lecture d'un article relatant qu'un savant était parvenu, au prix de longs efforts, à faire réaliser un dessin à un singe du jardin des plantes, et que ce dessin représentait les barreaux de sa cage.



Est-ce le style éblouissant, inventif, multiforme, à la fois tout en distance cynique et extrême sensibilité, créant une émotion littéraire propre à susciter l'empathie ? Est-ce le prisme osé de narration choisi, celui du chasseur plutôt que celle de la proie qui agit comme un piège dans lequel je suis tombée, victime d'une sorte de syndrome de Stockholm ?



Toujours est-il que je n'ai pas pu quitter des yeux ce livre abject et magnifique, cette dissection à viscères ouverts d'une passion vénale et dévorante, sur fond de road-movie américain tragique qui en avive la lumière crue. Unique…

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Roi, Dame, Valet

Allez savoir pourquoi cette envie soudaine d’une relecture sensuelle ! Peut-être le ciel déprimant de janvier où s’impose un gris uniforme, sans nuance...



Lorsqu’il publie “Roi, dame, valet” en 1928, Vladimir Nabokov a seulement 29 ans et déjà une plume d’une étonnante maturité. Il se dégage de cette histoire de mœurs, racontée avec un brin de désinvolture, une atmosphère jubilatoire qui avec bonheur déteint sur l’humeur du lecteur.



Alors qu’il sonne à l'huis d’une demeure cossue dont l’adresse figure sur le papier que lui a remis sa mère, Franz est loin d’imaginer que la dame derrière la porte est celle qu’il a pendant des heures, la veille, déshabillée du regard dans un compartiment du train qui filait à pleine vitesse sur Berlin.

Cette trentenaire d’une grande beauté reconnaît immédiatement le jeune homme un peu gauche qui derrière ses lunettes semblait, quelques heures plutôt, fasciné par ses bas de soie transparents. Kurt, son mari cinquantenaire, plongé comme d’habitude dans son journal, l’a par contre à peine remarqué.

Kurt et Marthe accueillent chaleureusement ce neveu provincial qu’ils ne connaissent ni d’Eve ni d’Adam. Dès le lendemain, ce dernier est promu vendeur dans un magasin de prêt-à-porter appartenant à son oncle. Il dispose gratuitement d’une chambre située non loin de là et de surcroît est invité chaque soir à la table avunculaire.



Ainsi commence ce roman qui, avec force préliminaires et un érotisme de bon aloi, décrit les petits pas hésitants d'un adultère dans l’Allemagne des années 20 où le fox-trot et le two-step sont de mode.



Le plaisir des sens n’empêche pas nos deux tourtereaux de tirer des plans sur la comète mais lorsqu’ils supputent l’élimination du mari trompé dans le but de s’approprier sa fortune, l’empathie du lecteur à leur égard s’en va decrescendo.

Pas sûr d’ailleurs que sur ce coup-là les amants comploteurs raflent la mise !



''Roi, dame, valet'' vous tend les bras : son écriture exquise, sa sensualité troublante, son épilogue surprenant ne s’oublient pas de sitôt.

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La Défense Loujine

« La Défense Loujine » (en russe, Защита Лужина) est un roman de l'écrivain russe Vladimir Nabokov. Dédié à Véra, sa femme, écrit pendant l’année 1929 sous le nom de plume de V. Sirine, cet ouvrage est présenté par Nabokov comme « l'histoire d'un joueur d'échecs écrasé par son propre génie ».



L’histoire ? Loujine, jeune enfant russe scolarisé en Allemagne, pays où sa famille a fui après la Révolution russe de 1917, découvre fortuitement les règles du jeu d’échecs. Il s’avère très doué pour ce jeu. Devenu adulte, Loujine remporte de nombreux tournois d’échecs. Il en fait son métier. Puis Loujine se laisse envahir par ce qui devient une passion et une obsession pathologique pour ce jeu : il n’existe plus qu’au travers des pièces qu’il déplace sur l’échiquier, transposant les événements quotidiens en termes échiquéens. Lors d'un séjour dans une station thermale, où il dispute un tournoi, Loujine rencontre Natalia Katkov. Il la demande en mariage. Fascinée par Loujine, elle hésite, puis accepte cette demande. Sa famille est réticente : pour elle, Loujine est un excentrique. Plus tard, Loujine doit affronter l’italien Turati, un maître d’échecs, et le tournoi est organisé par Léo Valentinov, précepteur et manager de Loujine. Celui-ci se prépare du mieux qu’il peut, tentant de créer une défense imparable (la défense Loujine, d’où le titre du livre), mais, le jour J, Turati fait une ouverture de jeu tout à fait inattendue, déstabilisant Loujine au point qu’il doit quitter la partie, incrédule, les yeux hagards. Complètement désorienté, nauséeux, « la tête couleur de cire », halluciné et (page 154) « aspiré par le jeu », Loujine est pris en mains par son épouse : dorénavant, il ne jouera plus aux échecs. Ainsi, la vie de Loujine s’écoule, monotone et sans but. Certes, il lit des livres auxquels son épouse l’abonne, percevant (page 185) « une ombre des sons qu’il entendait jadis », … jusqu’au jour où un événement fait remonter Loujine à la surface, le précipitant alors vers une fin délirante !



« La Défense Loujine » décrit bien le mécanisme de l’addiction au jeu. Inadapté, asocial -pour ne pas dire autiste-, « phénomène étrange, un peu monstrueux mais séduisant », désemparé devant une vie qu’il ne contrôle plus (puisque, jouant en aveugle, il ne trouve pas la parade aux coups que lui adresse un adversaire invisible), déshumanisé (on ne découvre le prénom de Loujine qu’à la fin du roman), quasi-dément, Loujine fait de sa propre vie une partie d’échecs interminable, se défendant contre ce monde extérieur qui en veut à son bonheur et qui le veut échec et mat ! Un style brillant, des personnages bien tranchés (voyez le portrait que Loujine fait de sa gouvernante française ou de sa tante -laquelle lui apprend les règles du jeu d’échecs- ou des trois gars complètement saouls qui fêtent leur cinquième année de sortie d’école ou du tailleur qui lui confectionne un costume), des détails pittoresques (la campagne russe avec ses bouleaux, la maison familiale avec son vieux grenier, la tyrannie exercée par certains écoliers à l’encontre de Loujine, la montée du progrès technique), de subtiles analyses psychologiques (Loujine, tantôt euphorique, tantôt morbide), un brin d’ironie (quand Nabokov dépeint - lui qui est issu d’une famille aristocratique russe- « la bruyante et inutile cohue des réceptions mondaines » données par les immigrés russes à Berlin), un suspense qui vous tient en haleine jusqu’à la dernière page : l’ouvrage ne manque pas d’intérêt. Roman autobiographique ? Les similitudes abondent entre Nabokov et Loujine : goût des chiffres, solide éducation classique, enfance heureuse et féconde, capacité à s’exprimer en trois langues (russe, anglais et français), passion pour les parties d’échecs (page 87 – « les échecs sont le but de sa vie » ; page 102 – « il ressent des forces invisibles et merveilleuses, dans leur pureté originelle ») …



Ce roman fut l’occasion pour Nabokov de prendre « un grand plaisir pour introduire un schéma fatal dans la vie de Loujine ». Un plaisir ? Probablement, car, aux échecs, vous combattez aux côtés de votre propre mère (la Reine), que vous défendez et qui vous materne, et vous avez le droit de mettre à mort votre adversaire, qui n’est autre que votre propre père (le Roi adverse), et ça n’est pas banal car dans la vie de tous les jours, ce geste est criminel. Nabokov avait, comme Loujine, un père dont il s’émancipa difficilement, un père qui était « à l’affut d’un miracle, la défaite de son fils ». En écrivant « La Défense Loujine », Nabokov règle ses comptes avec son passé (au chapitre 5, le père de Loujine attrape froid et meurt) : « il faut à mon avis écrire pour plaire à un seul lecteur : soi-même ». C’est gagné, et c’est pour notre plaisir !
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Ada ou l'ardeur : Chronique familiale

Lorsque je découvris Nabokov, il y a une trentaine d’années, je fus ébloui par son style à la fois harmonique et hermétique, alliant érotisme et exotisme. (Voilà une entrée en matière fort nabokovienne !) Après Feu pâle, relu et critiqué quelques semaines après la création de mon blog, allais-je retrouver dans les sept cent cinquante pages d’Ada ou l’Ardeur le même plaisir qu’à l’époque ?



Qui est donc Vladimir Nabokov ? Né à Saint-Pétersbourg en 1899, ce magicien de l'écriture est un artiste cosmopolite. « Je suis un écrivain américain, né en Russie et formé en Angleterre, où j’ai étudié la littérature française avant de passer quinze années en Allemagne », dit-il. Emigré aux États-Unis en 1940, où il fit scandale dans les années cinquante avec son fameux roman Lolita (à relire prochainement), il est revenu vivre en Europe, à Montreux, au bord du lac Léman, où il s’est éteint en 1977. Nabokov tenait Ada, publié en 1969, pour son chef-d’œuvre.



L’auteur présente Ada ou l’Ardeur comme une « chronique familiale ». Le livre raconte la longue histoire des amours illégitimes et tumultueuses de deux cousins germains, Van (Ivan) et Ada (Adélaïde), revue par eux-mêmes au soir de leur vie, quatre-vingts ans après leur coup de foudre réciproque et leur premier rapport sexuel à l’âge de quatorze et douze ans. Une relation qu’ils ont longtemps cachée, car en raison de liaisons adultères et d’un arrangement secret entre les parents, les cousin-cousine étaient en fait frère et sœur…



Un secret mis à jour par les perspicaces jeunes amants dès les premières pages du livre, mais qui t’échappera, lectrice (ou lecteur), si tu n’es pas très attentive (ou -if). Car Nabokov est un virtuose du cryptage, du double sens, du brouillage.



Dans un premier temps, le roman se lit comme une histoire d’amour merveilleuse et captivante. Van et Ada sont des héros attachants. Mais à la relecture, ils perdent leur innocence. Leurs fantaisies érotiques, leurs fantasmes, leurs transgressions révèlent leur nature capricieuse, dépravée. Dans leur attitude à l’égard de leur jeune demi-sœur Lucette, désespérément amoureuse de Van et gravement pervertie par Ada, leur cruauté devient même dérangeante.



Ada et Van vivent dans un univers dont l’auteur a recréé l’espace et le temps. Les références géographiques s’inspirent de notre planète terre, mais les distances sont abolies, les noms de lieux plus ou moins déformés, Russie et Amérique confondues en un unique empire sans frontière. La fiction s’étend sur un siècle, disons de 1865 à 1965, mais la chronologie des événements historiques servant de fond de cadre à la narration est totalement réinventée.



Bouillonnant d’élucubrations abracadabrantesques, Ada ou l’Ardeur met en scène un monde fantasmagorique, un univers d’illusion, à la manière des œuvres de certains peintres non abstraits. Et toi, lectrice, lecteur, cela t’incitera au décryptage. Tu créeras ta propre interprétation – laquelle évoluera lors de tes relectures –, te donnant ainsi l’impression gratifiante de découvrir les secrets les plus intimes de l’artiste.



Mais dans ce jeu de décryptage voulu par Nabokov, il te serait vain de chercher à tout comprendre, de vouloir tout élucider. Assemblage jubilatoire de divagations romanesques, d’anachronismes loufoques, de jeux sur les mots, l’ouvrage est avant tout un exercice de style, dont il faut se laisser envahir par la puissance poétique. Sans oublier l’humour.



Certains passages sont difficiles d’accès. Rien ne t'oblige à t'y attarder, notamment lorsqu’Ada s’adonne à la lépidoptérologie – l’étude des papillons, une passion pour Nabokov, mais pas forcément pour toi et moi – ou quand Van prétend dévoiler le contenu de son traité sur « la Texture du Temps ».



A l’issue de ma relecture, je reste fasciné par l’enchanteur Nabokov et par ce roman grâce auquel j’ai eu l’impression de retrouver mon regard d’enfant et ma capacité d’émerveillement.
Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Lolita

J'ai lu Lolita il y a près de 3 ans pour passer un concours (déjà les conditions n'étaient pas idéales).



Un livre très controversé, et c'est un euphémisme, même aujourd'hui. le moins qu'on puisse dire c'est que Nabokov a tout compris et très bien réussit son opération de "com' ". c'est vrai, à bien y réfléchir, en dehors de ce roman, qui peut citer d'autres oeuvres de l'auteur? Un assez petit nombre de lecteur, assurément.



Lolita... Une douce musique un peu mystérieuse. Pauvre adolescente devenue, malgré elle, un archétype et un fantasme pour certains hommes. Et dire que même la mode a repris ce cliché, qui n'est rien de plus qu'une mauvaise interprétation, car Lolita c'est avant tout une victime.

Lolita, c'est le diminutif de Dolores, un prénom d'un bien plus triste présage... Celui qu'elle connaîtra avec son beau-père Humbert Humbert, car dans le roman il s'agit clairement d'un viol (ou plutôt d'une série...).



Si on laisse de côté cet aspect sulfureux de l'histoire qui a fait (et fait toujours) la renommée de ce roman. C'est un roman d'exploration, pas seulement celui du corps de Lolita (la pauvre! même si le livre ne regorge pas non plus de description crues, ça c'est un fantasme), mais aussi celle de l'Amérique et de la langue anglaise.



Qu'on ne s'y trompe pas, Lolita n'est pas un roman pornographique, c'est bien de la littérature ; du genre qui réjouira au plus au point les amoureux de linguistique et de narratologie...dont je ne fais pas partie.

Certes, Vladimir Nabokov était un homme très instruit et intelligent, car son roman regorge de références, qui si on voulait toutes les comprendre... hé bien, il faudrait rien de moins qu'avoir la tête de son auteur. Ambitieux, en effet !

L'auteur passe en effet son temps à se moquer du lecteur (et surtout, du narrateur), à semer des pistes dans tous les sens, ce qui donne finalement la très désagréable sensation que Nabokov s'est regardé écrire....



Et puis, disséquer la langue anglaise, c'est vrai, il le fait très bien, mais n'étant pas du tout rentrée dans ce "délire", ça me gênait quand même de lire un roman dont l'un des fil rouge est le viol d'une adolescente par un pervers dont on lit chaque pensée tordue...

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Lolita

Me voilà arrivé au terme de cette longue errance aux côtés d'Humbert Humbert et Lolita.

Nabokov n'épargne rien à ce Humbert, prisonnier de ce mal qui tourne en morne abjection: Le désir physique d'un homme mûr pour des fillettes prépubères.

Humbert Humbert n'a rien à faire dans l'intimité de Lolita, mais il s'y incruste, s'y impose et bâti ainsi sa damnation sans issue. Son amour pour Lolita, pollué, vicié et non partagé est une imposture dont il n'a que trop conscience. Car, hormis ses rapports charnels avec lolita, Humbert Humbert n'a rien à partager, rien à offrir que de quoi acheter le silence et la discrétion de Lolita.

Humbert Humbert court, dans son voyage haletant avec Lolita, après un morceau de paradis perdu.

Humbert Humbert emmène Lolita dans une impasse dont le terme est aussi certain qu'inéluctable.

Jalousie maladive et paranoïa aigüe sont le lot d'un intellectuel dévoyé dont le ridicule n'échappe jamais à Nabokov.... Le sommet, si je puis l'exprimer ainsi, étant la mise à mort du "kidnappeur".

Lolita m'a été un livre à la fois agréable et pénible à lire. Agréable par cette écriture sublime des boursouflures- mêmes du récit d'Humbert Humbert et pénible dans la représentation que je me suis fait d'un voyage vide et inutile.

Cinq étoiles pour Lolita, mais cinq étoiles froides.

... Et je ne vais pas arrêter à Lolita, ma lecture de Vladimir Nabokov. Certes non.

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Lolita

Comme le montre l'article de Vladimir Nabokov en postface, plusieurs éditeurs ont frémi devant le sujet de Lolita et ont préféré renoncer à toute publication.



C'est vrai que le thème fondamental du roman est l'attirance sexuelle du narrateur Humbert Humbert pour les petites nymphettes, autrement dit la pédophilie. Là, le mot abject est prononcé. Sans que le récit de Nabokov en soit le panégyrique. On l'a accusé de pornographie, d'immoralité, ... A mes yeux, rien de tout cela n'est vrai. Seul le narrateur est un détestable et pervers chasseur de fillettes qu'il adule.

Depuis sa prison où il rédige ses mémoires - plaidoyer - confessions, Humbert Humbert se présente tour à tour comme un monstre ou comme la victime de ces languissantes pré-adolescentes aux charmes nymphescents. Il prend le lecteur à partie, l'appelant son juré, son ami... Il se montre aussi manipulateur dans son récit qu'il le fut avec la petite Lolita Haze, douze ans, turbulente et énergique enfant de Charlotte, une mère.



Après la mort de celle-ci s'ensuit un roadtrip à travers les États-Unis pour la fillette et son beau-père lubrique et passionnément fou d'amour pour sa Lolita. Car oui, amoureux il l'est. D'un amour insane, exclusif et dominateur. Il sait et profite du fait que, orpheline, la petite n'a que lui comme ressource. On ne peut qu'abominer un tel être. Et admirer la façon éminemment talentueuse avec laquelle Vladimir Nabokov décortique non seulement les penchants pernicieux de son personnage mais également toute sa personnalité. Celle-ci oscille, à travers ses confessions, entre arrogance et modestie exacerbée, mépris pour l'ensemble de ses congénères et adoration coupable de ses nymphettes. Il est cultivé jusqu'à la pédanterie et l'on ne compte plus les mots rares et précieux rencontrés au fil des pages (smaragdin, coruscant, ménarche, etc). Un être définitivement peu agréables même sans prendre en compte ses pulsions pédophiles.



C'était ma seconde lecture de ce roman, avec une vingtaine d'années entre les deux. Relecture infiniment bénéfique dans l'appréhension plus en profondeur du texte. Le style de Nabokov possède une lumière extraordinaire qui fait contrepoint à la noirceur du sujet. Lolita est une petite fille que je voudrais préserver de son prédateur qui, par l'assouvissement odieux et égoïste de ses penchants, détruit l'enfant et l'adulte à venir. Hélas, les Humbert Humbert continuent de frapper d'innocentes proies comme on peut trop souvent le constater dans les faits criminels de l'actualité.
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Lolita

Dans ma campagne, il se disait ceci (famille n'ayant que des garçons) :

Attention !

Je lâche mes coqs, rentrez vos poules !!!



Ici, on pourrait dire

Attention !

Humbert et Cie sont de sortie :

Garez vos nymphettes !!!



Histoire de pédophilie, Oui, sans conteste . Mais ....



Roman très troublant, dérangeant mais jamais obscène.



Quelle écriture d'une infinie beauté, et d'une tendresse et d'une justesse, avec des descriptions détaillées parfois savoureuses, qui flirtent entre le chaste, le sensuel et tous les paradoxes de l'interdit.



La morale en prend un coup ....



Souvent sans concession pour lui-même et ses travers qu'il ne peut réfréner et qui viennent toujours le hanter.



Sentiments et pensées personnelles et intimes, étalés ici et fort bien analysés.



Je n'ai pu m'empêcher de trouver le bonhomme sympathique et il m'est même arrivé de le plaindre. Incroyable !



Etant donné, que, bien sûr, je réprouve à grands cris ces pulsions destructrices et manipulatrices qui détruisent à n'en pas douter une enfant.



Ce vieux Humbert grisonnant, humble et muet (ainsi se décrit-il) n'en ai pas moins amoureux fou de sa "Lolita" quoi qu'elle lui fasse comme entourloupes.

Car , celle-ci, est à certains moments, il faut le reconnaître une belle petite allumeuse, qui se rend compte de ses pouvoirs sur lui, et prend plaisir à se montrer cruelle, et rusée sous une apparente innocente candeur.



En bref, ce livre est fortement dérangeant mais rien que pour l''écriture de Nabokov , il est extraordinaire.
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Lolita

Lolita est un classique de la littérature américaine. Vladimir Nabokov, écrivain russe, signe ici son quatrième livre en anglais, lequel lui apporte la notoriété.

Lolita est considéré comme un roman subversif. Publié en 1955 en France, il est tout de suite censuré. Finalement autorisé en 1958 lors de sa sortie aux Etats-Unis, il n’en reste pas moins un livre dérangeant et les grands auteurs de cette époque sont partagés : livre scandaleux ou livre de génie ?

Nabokov raconte l’histoire, à la première personne du singulier, d’un pervers pédophile, Humbert Humbert. Celui-ci est attiré par de très jeunes filles prépubères qu’il appelle des “nymphettes” et tombe amoureux de Lolita, douze ans. Humbert épouse la mère de Lolita, Charlotte, dans l’unique but de rester près de sa désormais belle-fille.

On entre alors dans la tête d’un pédophile et c’est bien cela qui dérange. Humbert Humbert nous explique son attirance malsaine pour Lolita et la façon dont il prévoit de la piéger. Nous sommes témoins de ses fomentations les plus perverses, en passant par la drogue qu’il administre à Lolita pour la violer dans son sommeil. Il nous explique comment il rémunère Lolita en friandises, en argent ou en promesses pas toujours tenues, en échange de ses faveurs sexuelles.

On est dégouté de ce personnage et pourtant on s’accroche à la lecture pour savoir si Lolita va lui échapper. La jeune fille a un tempérament bien trempé et la débrouillardise des gamines de l’Amérique profonde des années 50. Humbert est d’ailleurs stupéfait d’apprendre qu’il n’a pas obtenu la virginité de la jeune enfant.



Si Humbert Humbert se confie ainsi à son lecteur, c’est qu’il écrit en fait sa confession alors même qu’il est en prison et attend que s’ouvre son procès pour meurtre. (On sait d’emblée qu’il a tué quelqu’un et pendant tout le roman plane le suspense d’un meurtre d’amour : a-t-il finalement tué sa Lolita ?) Humbert n’a donc rien à dissimuler et s’ouvre intensément à nous. On comprend que cet homme est malade mais lui-même en a conscience. Il a d’ailleurs fait un séjour en hôpital psychiatrique.

Comme il peut arriver dans les livres où la narration est à la première personne du singulier et où le narrateur se confie à nous, on se surprend à plaindre Humbert Humbert mais on s’arrête aussitôt en convoquant nos sens moraux et nos notions du bien et du mal avec lesquelles, pourtant, l’écrivain s’amuse. Car Humbert Humbert, bien que d’abord attiré par “toutes” les nymphettes, en vient finalement à tomber sincèrement amoureux de Lolita. Bien que cet amour soit à sens unique, le cours du récit nous fait découvrir une sensibilité presque touchante chez le narrateur. Mais là encore, le lecteur se recadre et se rappelle que Humbert Humbert est malade.

On peut repérer dans son récit que l’homme affabule, ment et joue avec son lectorat. Ainsi, pour se justifier de son attirance pour les jeunes filles, il nous explique qu’autrefois, les hommes étaient déjà sensibles aux jeunes enfants. Il dit que Dante lui-même est tombé amoureux de sa Béatrice alors qu’elle était âgée de neuf ans. Expliqué ainsi par Humbert Humbert, on a l’impression que Dante était déjà d’âge mûr. En faisant des recherches, j’ai découvert que Dante et Béatrice n’avait qu’un an d’écart. Humbert nous ment donc ouvertement et nous manipule en espérant montrer qu’il n’est pas le seul, afin d’atténuer la violence de notre jugement.



L’écriture en elle-même est magnifique. La fluidité de lecture est très agréable et on reste suspendu aux pages de Nabokov. J’ai eu l’occasion de comparer deux traductions différentes. La version de Maurice Couturier (Folio 2001) est beaucoup plus agréable à lire (presqu’addictive !) que celle de E. H. Kahane de 1959. Privilégiez donc une édition récente du roman si vous souhaitez une plume plus moderne mais qui n’en garde pas moins la beauté de la littérature américaine des années 50 !



Plus de chroniques littéraires sur :
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Rire dans la nuit

La traduction de Rire dans la nuit (1992) est basée sur celle de Laughter in the Dark (1937). C'est la version entièrement remaniée de Camera Obscura (1932) qui fut écrite sous le pseudonyme de Vladimir Sirine. Sa traduction anglaise ne plaisait pas mais alors pas du tout à Vladimir Nabokov. En revanche, il n'avait pas retouché à la traduction française (Chambre obscure ,1934) élaborée par son agent Doussia Ergaz. Les deux traductions françaises coexistent toujours dans la collection Cahiers Rouges chez Grasset ou dans la Pléiade. Et si vous les lisez consécutivement vous verrez qu'elles présentent de grandes différences. Dans la première version de 1932 Nabokov écrivait à Berlin sous le pseudonyme de Vladimir Sirine et s'adressait à un public d'expatriés russes nostalgiques. En 1937, il a tiré un trait sur le retour en Russie , il a quitté définitivement Berlin, son animosité contre l'Allemagne est très forte et il veut aller de l'avant. Il s'adressera désormais à un public plus international. Et bientôt il changera complètement de langue et signera ses livres de son vrai nom.



Dès l'incipit du roman (voir citation), ce diable de Nabokov résume l'intrigue mélodramatique, enterre son personnage et oriente la lecture avec un premier grand éclat de rire dans la nuit. Ce sera un mélodrame avec des tours de passe-passe, de la parodie, de l'art vrai ou faux et du cinématographe.



Albert Albinus est un riche critique d'art qui envisage d'adapter des oeuvres classiques au cinéma grâce au dessin animé. Il contacte Alex Rex, un caricaturiste à la mode qui ne donne pas suite car il part tenter sa chance à Hollywood. Albinus est marié à la parfaite et insipide Elizabeth. Il est père de la petite Irma et a pour beau-frère Paul, le modèle du bon gros honnête homme. Albinus aurait tout pour être heureux mais il s'ennuie dans sa life. Un jour, au cinéma Argus, il remarque dans la semi-obscurité la silhouette de la gentille petite ouvreuse. Il y retourne plusieurs fois, la séduit, paye sa logeuse et l'installe dans un appartement . La petite Margot seize ans est la fille d'un couple infernal et la soeur d'Otto qui lui envoient des torgnoles . Un pauvre petit ange qui rêve de devenir une star. Elle avait un amoureux mais il l'a quittée pour partir en Amérique. Mais voilà qu'il revient et tombe sur Albinus. Vous l'aurez reconnu , c'est Axel Rex l'artiste maudit…



Le livre est d'une grande cruauté. Tous les personnages principaux sont très noirs. Les riches comme les pauvres. le bourgeois cocu aveuglé par son désir quasi incestueux est pathétique, les amants sont cupides et sadiques avec des scènes extraordinaires qu'il m'est difficile de vous raconter sans dévoiler l'intrigue. Dans la version russe Magda avait 18 ans, dans la version anglaise Margot en a 16. Nabokov voulait sciemment choquer, rendre Albicinus très antipathique. Albinus croit qu'elle en a 18 et c'est son frère Otto qui lui précise qu'elle en a 16 et laisse entendre, par intérêt, qu'elle se prostitue déjà. Les vrais honnêtes gens sont rares et impuissants. La vraie innocence est sacrifiée. Il est clair que le contexte politique allemand des années 30 influe directement sur le livre comme il influe sur le cinéma allemand. On retrouve au pied de la lettre les personnages du mélodrame :, un homme aveuglé par son désir , une femme fatale, un méchant bien sadique. Et puis on pense beaucoup à l'Ange bleu, à M. le Maudit. Plusieurs scènes sont très cinématographiques, construites en plans séquences et la fin à suspense est très Hitchkokienne mais sans le happy-end.



Rire dans la nuit est un livre sur le Mal dans la grande tradition russe (Tolstoï ) et il est construit diaboliquement à la Nabokov. Beaucoup de petits détails préfigurent les situations futures. Nous avons été prévenus dès le départ et nous partons à la chasse aux petits papillons de nuit et bien sûr beaucoup nous échappent. Si vous relisez le début (citation) l'inspirateur de l'histoire, ce fameux Conrad (pas le Polonais mais Udo ) est l'auteur des Mémoires d'un étourdi. Il est le vrai faux double de l'auteur et sera l'agent bien involontaire de la funeste scène finale du récit à cause d'une énorme gaffe. le film qu'Albinus regarde à l'Argus préfigure également la scène finale. On retrouve aussi dans ce roman les jeux sur le thème du double. Albinus et Alex Rex sont des doubles, ils désirent la même femme, la traitent tous les deux comme un objet, sont bien conscients de sa nullité comme actrice, l'installent dans un logement. Albinus se laisse manipuler aveuglément par Rex qui réalise ses fantasmes en pleine lumière. Il y a aussi les deux anges Irma et Margot, et puis la paire Otto/Paul.



Ce roman sombre et méconnu captive, impressionne et regorge d'idées formelles, de métaphores, de personnages troubles qui trouveront bien des échos plus tard dans un autre contexte.
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