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Critiques de Wajdi Mouawad (486)
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Anima

Wahhch Debch, canadien d'origine libanaise, découvre sa femme enceinte assassinée, atrocement torturée. Poussé par une nécessité intérieure qu'il ne comprend pas forcément, il décide de partir à la recherche du tueur. Les premières pistes l'emmènent dans une réserve indienne dans laquelle les autorités n'ont pas droit de cité. Mais plus qu'une chasse à l'homme, c'est une plongée dans sa propre histoire qui attend Wahhch.





C'est un roman étrange que signe le Québécois d'origine libanaise Wajdi Mouawad ! Le trait le plus étrange, et le plus significatif, est bien sûr que l'histoire nous est racontée au travers du regard d'animaux, grosses et petites bêtes, qui croisent la route de notre héros, qui cherche au fond la vérité de sa propre histoire. Seule la quatrième et dernière partie, qui est également la plus courte, nous est contée par un "homo sapiens sapiens" (bien que, dans le roman, la plupart de ceux qui se tiennent sur deux pattes ne méritent pas vraiment le qualificatif de "sage" !!). La violence dans Anima est omniprésente, les actes des hommes sont souvent insoutenables. C'est le regard animal qui donne au lecteur le détachement suffisant pour avancer dans l'histoire. Si les animaux suivent Wahhch, c'est parce qu'ils reconnaissent en lui une part d'eux-mêmes ; certains l'aideront, d'autres seront aidés, d'autres enfin retourneront simplement à l'activité qui est celle de leur race. Ce qui est étrange également dans ce roman, qui saute aux yeux, c'est que l'humanité et la bestialité ne sont pas souvent du côté où on pourrait/devrait les attendre.



S'il faut un peu de temps pour s'habituer aux changements de perspectives liés à la gente animale qui prend parole lors du chapitre (ne maitrisant pas les noms latins, j'ai eu le plaisir de découvrir dans le texte à quelle espèce appartenait le narrateur d'un temps), le livre devient vite difficile à lâcher : envoutant, hypnotisant, repoussant, à la limite du supportable parfois, on s'acharne à suivre notre héros malmené dont on ne fait que deviner les états d'âmes et les raisons qui le poussent à suivre sa quête. Nous, nous poursuivons, dans l'espoir d'un peu de lumière, d'un peu de paix, d'un moment de rédemption, pour lui, pour l'humanité qu'il décrit. Mais Anima est résolument un roman noir d'une très grande force, et le mieux que son auteur semble proposer, c'est regarder en face ce que l'on est, être en accord avec soi-même (quel qu'en soit le prix!), et croiser la route d'un Mason Dixon Line.



Anima est une très belle découverte, noire, envoutante et originale. A réserver aux "âmes insensibles" !
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Anima

Emerveillement - exaspération - Emerveillement

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Très dur de parler d'un roman qui nous a fait passer par plusieurs états opposés.

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On part sur un roman noir (ne surtout pas s'attendre à un roman policier) : la femme de Wahhch Debch s'est faite tuer d'une façon aussi atroce qu'originale, laissant penser que, décidément, l'Homme soi-disant civilisé n'est rien de plus qu'un animal sauvage… Mais en réalité, l'Homme n'est-il pas plus sauvage que l'animal ? La noirceur de son âme se révèlera en effet plus barbare que celle de nos amis les bêtes. C'est le constat que nous ferons dès que Wahhch se lancera à la poursuite du meurtrier, grâce au mode de narration choisi par l'auteur qui fait toute l'originalité du récit. Car sa quête nous sera contée par…? Les animaux qui observent chaque scène ! En tentant de reconstituer les personnalités et actions des personnages pour avoir le fin mot de cette histoire, nous ne pourrons que comparer leur innocence et leur relative bienveillance envers l'humain, face à la violence gratuite que nous infligeons à notre propre espèce - et aux autres.

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Bien sûr, nous introduire dans les pensées supposées et imaginaires d'animaux bienveillants demeure un parti pris anthropomorphiste de l'auteur. C'est néanmoins assez réussi, à la fois apaisant et ludique : les chapitres portent le nom latin de l'animal qui raconte ; le narrateur animal change tout au long du livre selon quelle espèce assiste à chaque scène, allant de l'abeille au loup en passant par la chauve-souris, le chat, le corbeau, la fourmi, le cafard, ou même le singe etc… On peut s'amuser à deviner quelle espèce raconte rien qu'aux tics de langage ou aux indices d'attitudes ou de mouvements que l'auteur nous glisse dans son verbiage. J'ai par exemple souri au poisson qui oublie ce qu'il vient de vivre trois secondes plus tôt, au canari qui ne cesse de chanter, au corbeau qui lorgne sur le cadavre lors de l'enterrement etc… J'ai également adoré la pédagogie de chaque animal nous contant des scènes humaines avec, somme toute, une grande bienveillance alors même qu'il ne saisit pas tout. J'ai même eu un coup de foudre pour le passage avec les chauves-souris dans la grotte, tout à fait incroyable.

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L'auteur met une belle sensibilité dans ces récits. Ces moments, que j'ai failli qualifier de bourrés d'humanité alors que le compliment serait peut-être plutôt de les dire bourrés d'animalité, vont délicatement parvenir à faire passer au second plan les horreurs qui sont commises par les hommes ou, du moins, à les atténuer par la perception de chaque animal qui ne va pas focaliser sur l'horreur mais décrire tout ce qui l'entoure et constitue chaque scène. C'est à la fois un point positif, parce que ça rend ce roman lisible même aux plus sensibles ; Mais en même temps, c'est peut-être à cause de cela que le roman ne m'a pas toujours passionnée. L'action est lente, atténuée, comme ouatée par le prisme de chaque animal et la fragmentation du récit, qui font qu'on n'est jamais pris dans la tension d'une seule personne qui subit tout et nous ferait tout ressentir : à chaque chapitre on repart où l'animal précédent s'était arrêté, avec un nouveau narrateur frais et dispo qui ne subira pas toute l'horreur, mais un bout seulement, et n'est que l'intermédiaire des sensations du personnage, dont il nous protège en faisant écran. Je trouve que ça épargne le lecteur, mais est-ce que ça ne l'épargne pas un peu trop ?

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Le personnage principal n'est pas désagréable, et son humanité nous paraît d'autant plus palpable qu'elle est décrite à chaque scène sous la perception d'un animal différent. Certains d'entre eux sentent parfaitement l'animal blessé en lui, ce qui peut laisser le doute planer habilement quant à son innocence ou non concernant les faits survenus. Mais il ne transperce pas totalement la vitrine derrière laquelle le place la narration, même si nous avons opportunément parfois son propre ressenti lors des dialogues rapportés, et que nous apprenons à l'apprécier à travers les bêtes qui nous le décrivent plus ou moins tendrement. Alors, quand il retrouve le meurtrier et que l'histoire continue quand même, j'ai ressenti une vraie grande lassitude et l'envie de fermer le livre. Vous savez, comme la lecture de Chaos me l'avait fait. Je me suis dit : On sait qui a tué, on sait ce qu'il est devenu, on ne sait pas pourquoi il a choisi cette victime mais visiblement on ne le saura pas et Wahhch a ce qu'il voulait… Alors vers quoi et où repart-on ? Et j'avoue, dans ce moment de décrochage découragé, j'ai lu en diagonale les passages sur les reconstitutions de guerre, qui prouvent encore une fois la folie des hommes, puis cette histoire d'exposition de photo miraculeuse. J'ai vraiment cru en avoir fini avec le plaisir de lecture et cette histoire. J'avais la sensation que l'auteur voulait raconter trop d'histoires en une, traiter trop de sujets (même s'ils sont tous absolument liés), y rajouter trop de symboles. Overdose ?

Pour ne rien arranger, détail mais qui peut avoir son importance : une partie de l'intrigue se déroulant au Canada, les personnages parlent aussi bien anglais que français dans les dialogues. Certes, c'est de l'anglais basique, mais il y en a pas mal alors si vous n'y pipez mot, ce qui n'était heureusement pas mon cas, ça risque de devenir plus ennuyeux.

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Et puis d'un coup voilà, la fin est de nouveau très bien racontée par le chien, intense mais douce, émouvante, très symbolique. Et je recolle à l'ensemble, les morceaux bougent et se réassemblent pour former un tout plus harmonieux que prévu. Les révélations finales font exploser la bulle dans laquelle nous avait confortablement placés l'auteur et nous achève en nous plongeant dans l'horreur la plus totale. Ames sensibles, vous êtes prévenues.

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Bref, malgré des coups de mou dans cette lecture, et des péripéties finales qui m'ont parues plutôt hasardeuses sur le moment, je le note relativement bien car, finalement, j'en garde un bon souvenir même si ce n'est pas le coup de coeur que j'attendais à la lecture de mon amie Brooklyn. Il me laisse dans le coeur une infinie tendresse bienfaisante. Merci pour cette jolie découverte que je n'aurais pas faite sans toi, l'histoire d'une quête qui en cache finalement une autre, moins évidente, plus profondément enfouie, mais tout aussi salutaire !
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Anima

Comment parler d’un tel monument. J’ai pris un coup de poing dans l’âme à le lire.

De retour à la maison, Wahhch retrouve sa femme morte, poignardée, la dépouille profanée d’une ignoble façon et c’est un doux euphémisme. Fou de douleur, Wahhch part à la recherche de son meurtrier, non pour le tuer mais pour le voir et être certain qu’il n’était pas, lui-même, le monstre. « Cet homme-là, si cela avait pu dépendre de sa volonté, aurait préféré confier sa raison à la démence au lieu d’être mesuré dans sa douleur comme il l’était » raconte le grand corbeau

Les animaux seront les grands témoins de cette fuite en avant et, tout à tour, se relaieront pour raconter l’histoire. Cette figure de style, ces voix hors champ servent de soupape de décompression tant, à certains moments, le livre côtoie l’insoutenable.



Dans les premier et second actes, le titre des chapitres, en latin, est celui de l’animal témoin. Nous croiserons toute une gente ailée, des insectes, des animaux domestiques, sauvages, nocturnes…. Au 3ème, les titres sont ceux des villes traversées ou celles qui sont importantes pour son histoire. Ces villes ont des consonances connues : Oran, Jerusalem, Thebes, Cairo… Il y a là une inversion car c’est un dialogue à deux voix, celle de Wahhch et celle du canis lupus lupus, ce loup devenu chien, qui l’a sauvé d’une mort certaine et de l’enfer. En effet, il va retrouver les témoins de sa prime enfance. Il y a un parallèle entre son sauvetage par le loup-chien et ce qui a déterminé le reste de sa vie.

Dans ce livre, nous passons de la guerre de sécession au martyr de Sabra et Chatila, des réserves indiennes à la Palestine, au Liban. Il faudra à Wahhch Debch traverser les Etats-Unis pour découvrir ce qui le hante, pour fermer les vannes des souvenirs, des questions et, surtout, comprendre. Il y trouvera des êtres immondes et violents, mais également des personnages qui le feront avancer, qui le soutiendront physiquement et moralement.



Wahhch Debch est parti à la recherche de son Anima. Il y a sûrement perdu une partie de son âme, mais il a trouvé la vérité. La route de cette vérité se termine à Animas, petit village au sud du Nouveau-Mexique pour mieux repartir vers d’autres territoires.



A certains moments, je ne pouvais plus quitter ce livre et, à d’autres, un ressort me sortait de ma chaise longue tant il fallait que je marche pour digérer ce que je venais de lire.



C’est vraiment une belle œuvre. « Le fleuve glissait dans son vêtement de khôl, la glace en plaques cadenassait sa puissance. Il était dans sa lenteur et nous dans sa fraîcheur » nous dit le goéland poète. Des phrases belles comme celle-ci, il y en a beaucoup dans ce livre que j’ai aimé car quelle écriture ! C’est un livre dur, quelque fois cruel mais jamais voyeur.



J’avais aimé sa pièce de théâtre « Rêves » jouée, entre autres, par Coline. Dans ce livre, il y a toujours l’urgence, la violence, la réalité, le surréalisme, le fait de passer par des « voix off », mais multiplié par 100 et une telle force dans l’écriture. Oui vraiment un gros coup de cœur.

Je ne suis pas certaine d’avoir réussi à vous parler convenablement de ce livre tant tout se bouscule en moi, mais je vous le recommande chaudement.


Lien : http://zazymut.over-blog.com..
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Le sang des promesses, tome 2 : Incendies

Oedipe au Liban. Oedipe sur les routes de Sabra et Chatila.



La quête impitoyable d'une filiation maudite.



Jeanne et Simon, les deux enfants de Nawal Marwan, morte mutique et close sur son secret, pour donner au corps de leur mère une sépulture digne et un repos qu'elle n'a jamais trouvé, remontent le fil du temps, reviennent mettre leurs pas dans ses pas.



Remonter la chaîne de la colère et de la haine pour la briser, enfin. Découvrir la vérité et l'horreur pour les dire et les conjurer, enfin.



De Montréal, dans le cabinet rassurant d'un notaire vaguement ridicule avec son langage imagé et approximatif , à un "pays natal " , qui ne dit pas son nom mais où on reconnaît le Liban si longtemps dechiré par des luttes fratricides-et pays natal de Wajdi Mouawad- Jeanne et Simon remontent à leur naissance, en quête d'un père et d'un frère que leur mère leur a toujours cachés.



De tableaux en tableaux où présent et passé se mêlent ou se côtoient , ces modernes enfants de Jocaste reconstituent le puzzle d'une famille tragique. Simon, le boxeur et Jeanne, la mathématicienne auront besoin l'un, de sa pugnacité, et l'autre, des mystères poétiques de la mathématique moderne, pour affronter et pour déchiffrer les vérités dérangeantes - 1+1 font -ils vraiment 2?- ou pour réussir l'impossible reconstitution de leur polygone familial à l'aide d'une " vision périphérique" incomplète ou inopérante.( j'ai découvert, grâce à Jeanne, la théorie des graphes et de la vision périphérique , mais ne suis pas sûre de pouvoir vous l'expliquer!)



Texte génial, à la fois subtil et violent, poétique et politique, éternel, mythique mais évidemment incarné, allusivement historique!



Je ne l'ai pas vu porté à la scène, mais j'ai vu au moins trois fois le formidable film de Denis Villeneuve qui en est l'adaptation.



Et pendant toute ma lecture de la pièce , la "femme qui chante" avait les traits de la superbe Lubna Azabal.



Il faut lire ce grand texte théâtral contemporain... et voir ce film qui l'adapte à l'écran sans le trahir.
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Anima

Madame la libraire de Bergerac, vous m'avez chaudement recommandé cet ouvrage et suggéré de vous faire connaître mon ressenti à sa lecture. Je le fais volontiers dans les pages de Babelio. Il me reste maintenant à ne pas trahir ma satisfaction, cette surprise d'avoir apprécié ce roman d'un genre qui n'est pas de ma prédilection.



Je n'ai en effet pas de passion pour le "gore". Je cherche donc encore les raisons qui m'ont poussé à aller au bout de ce road movie sanglant. Mais je vous l'affirme dans ces lignes, Anima fait partie de ceux qui ont rivé mes yeux sur leurs pages au point de mettre ma ponctualité en danger. Force m'est donc de confirmer votre encouragement et de l'applaudir de mes deux mains, ensanglantées, au moment de reposer ce roman sur son rayonnage. Oui, j'ai beaucoup aimé.



Wahhch Debch, son héros, est parti sur les traces de l'assassin de sa femme. Pas pour se venger. Pour le regarder dans les yeux. Pour comprendre. Mettre un visage humain sur la sauvagerie. Une forme d'exorcisme. Tuer est un acte qui doit répondre à une loi occulte. Mais la sauvagerie, trouve-t-elle une justification quelque part ? Il n'y aura que le regard pour le dire.



Sur son chemin les animaux l'observent. Ce sont eux les narrateurs de son parcours en quête d'apaisement. Ils racontent le monde des hommes tel qu'ils le voient. Sans jugement. Des perceptions seulement, selon le sens le plus développé de l'un ou de l'autre. L'odorat avant tout. Il identifie sans faille et décode même les intentions. L'odeur, du sang, des humeurs, des vapeurs artificielles dont s'ennuage l'espèce humaine. La vue, des gestes du prédateur. Les cris, ceux de la victime. Le goût, qu'ils n'ont si peu, parait-il. Le toucher, des matières, la caresse parfois, les coups plus souvent, la déchirure des griffes et mandibules. Et puis ce sixième sens que n'a pas l'homme, la perception du danger. L'intuition.



Point de sagesse, point de sottise chez les animaux. Point d'étonnement ou de contentement. Sur le parcours de qui cherche l'assassin de sa femme, ils observent cet autre animal dont on vante la supériorité de l'intelligence. Et pourtant, ce bipède avide de toujours plus, pétri d'orgueil et de cupidité, si poltron devant la mort, convoite, jalouse, s'arroge des pouvoirs, condamne. De quel droit, quand ce n'est pas pour survivre ?



Le procédé narratif donne à cet ouvrage son originalité. Son "origénialité" me permettrais-je de dire si j'avais le pouvoir d'inventer des mots. De ce procédé narratif, on en tire la conclusion qu'aucune bête au monde, même quand elle se repaît des entrailles de sa proie, ne rivalisera avec la trivialité et la bassesse humaines. Les animaux, qu'ils soient chat, chien, mouche, corbeau, mais aussi blatte ou araignée, souris et tant d'autres encore qui nous racontent le passage de Wahhch Debch dans leur champ de perception nous disent tous que l'horreur est humaine. La vérité quant à elle est animale. Car dénuée de préjugés, de haine. Relisons au passage le monde vu par le poisson rouge dans son bocal. Mémoire de poisson rouge. C'est du vrai talent. C'est avec cette approche de la nature humaine que l'on mesure le génie de ce procédé narratif si original.



Pourquoi l'ai-je donc lu jusqu'au bout cet ouvrage ? Pourquoi m'a-t-il collé aux doigts ? Pas à cause de l'hémoglobine. Car au final j'ai perçu que l'intention n'est pas dans le sordide. C'est un artifice. L'intention est ailleurs. Je l'ai lu jusqu'au bout sans doute parce qu'en qualité de membre d'une espèce capable d'amour, je me suis senti le devoir d'assumer aussi ses manifestations de haine. Peut-être aussi me suis-je dit qu'un monstre sommeille en tout homme et que l'amour que j'ai reçu dans ma vie l'a entretenu en moi dans son hibernation. Quelle chance. Mais plus surement l'ai-je lu jusqu'au bout parce que j'ai moi aussi la conviction qu'on guérit d'autant moins de son enfance lorsqu'elle a été baignée d'épouvante. Ou encore ai-je été fasciné qu'un auteur trouve les mots, le style pour traduire le glauque, le monstrueux, sans révulser son lecteur ?



Anima est un ouvrage certes dur, mais tellement atypique. Le dénouement est superbement amené. Ce roman témoigne d'un vrai talent. Ne vous laissez pas rebuter par le choc des scènes de violence. C'est la nature humaine. Laissez les animaux vous le raconter.



Homo erectus horribilis. Ça aussi je l'ai inventé. Mais ce pourrait être le titre du chapitre dédié à notre espèce.

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Anima

Anima comme animisme, des bêtes racontent la course d’un homme à la recherche de l’assassin de sa femme, chacune à leur manière qui est celle de leur espèce. Elles y mettent toute leur « âme » pour témoigner de la quête d’un homme ignorant qu’il poursuit sa vérité et la trouvera au bout du chemin.



Des animaux à qui il ne manque pas la parole, des bêtes meilleures que les hommes, la bestialité étant à mettre du côté des seconds et la sagesse au bénéfice des premiers, voilà les idées jugées originales servies par ce roman racoleur à la violence complaisante. Mais ce n’est après tout qu’un roman policier dont le plus grand défaut est de se prendre au sérieux.

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Le sang des promesses, tome 2 : Incendies

Complexe, compliqué, difficile, délicat, malaisé... Ce sont les adjectifs qui me poursuivent (après un détour par un dictionnaire des synonymes, il est vrai) depuis que je me suis dit que j'allais devoir m'attaquer à la critique d'Incendies de Wajdi Mouawad. En l'occurrence, la difficulté pour moi vient de la nécessité de rendre compte de ce que la pièce m'a fait ressentir, mais aussi de dépasser ça pour atteindre une relative objectivité me permettant d'esquisser mon analyse de la pièce. J'essaie souvent de me détacher un minimum de mes sensations de lecture pour écrire mes critiques - ça doit être mon côté psychorigide. Et puis quand j'ai adoré un livre, une pièce, j'ai toujours peur que mon enthousiasme ait pour conséquence une grosse déception chez ceux qui les découvriront après que les y ai poussés. Bon, je ne fais que tergiverser et retarder l'inéluctable. Incendies, c'est une pièce qui prend aux tripes, dont on ne sort pas facilement indemne. le seul autre exemple que j'ai en tête pour cette année, c'est Un Sang fort de Wole Soyinka, et c'est déjà pas mal. Trop d'émotion de ce genre serait préjudiciable (préjudiciable à quoi, je sais pas trop, mais préjudiciable, c'est certain).





Incendies peut se lire indépendamment de Littoral, qui était la première pièce du cycle le Sang des promesses de Wajdi Mouawad. Mais les thèmes se recoupent : mort d'un des deux parents, découverte du pays d'origine, découverte de l'histoire familiale, quête d'identité. Et la guerre, bien entendu, qui a ravagé le Liban. Ainsi que la référence au théâtre antique, que Mouawad s'approprie de façon à la fois étonnante et percutante ; je ne peux en dévoiler plus sur ce point, ce serait gâcher complètement la pièce à ceux qui vont la découvrir.





Jeanne et Simon sont des adultes d'environ trente ans, jumeaux, qui viennent de perdre leur mère, après qu'elle se soit murée durant cinq ans dans le silence le plus complet. le testament qu'elle laisse est des plus étranges : un document pour chacun des deux jumeaux ; rien que le terme "jumeaux" utilisé dans le testament , qui semble dénué d'émotivité, est curieux, déstabilisant, et provoque la colère bien compréhensible de Simon. Mais il y a plus. Leur mère leur demande de retrouver deux personnes : leur père, censé être mort, et leur frère, dont ils ne connaissaient pas l'existence. À chacun de mener sa mission, à chacun de porter sa croix séparément. Pour Jeanne, ce sera le père. Pour Simon, le frère. Si Jeanne, qui enseigne les mathématiques, et plus particulièrement la théorie des graphes - ce qui se révélera essentiel -, se montre curieuse et décidée à suivre les directives de sa mère, Simon s'y refuse nettement, jusqu'à ce que le notaire se propose de l'accompagner, arguant du fait que rechercher son frère l'aidera peut-être bien à avancer dans la vie. Et les voilà embarqués chacun de leur côté dans un voyage au Liban, pays natal de leur mère. Une mère qu'ils ne connaissaient finalement pas, ne sachant rien de son passé avant son arrivée au Québec. Or, ce passé implique la guerre civile des années 70-80. Il n'est quasiment habité que par la mort et la violence. Mais aussi par l'amour.





Ce que découvriront Jeanne et Simon, c'est l'histoire d'un pays en guerre, c'est l'histoire d'une société qui refoule les réfugiés et les assassine, de réfugiés qui deviennent à leur tour des assassins, c'est l'histoire de ceux qui veulent résister à la violence et qui basculent à leur tour dans la violence ou cherchent une autre voie ; c'est l'histoire des crimes perpétrés par l'humanité tout entière. C'est aussi l'histoire de Nawal, la mère, et l'histoire de Jeanne et Simon, qui vont être confrontés à leurs origines - ceci impliquant des révélations traumatisantes, au point qu'on se demande si cette quête aura été salutaire ou destructrice pour eux. le choix leur est en quelque sorte laissé, un choix dont on ne sait s'ils pourront l'assumer, ni s'ils pourront porter le poids qui sera désormais le leur.





La composition de la pièce n'est en rien linéaire. Elle est parsemée d'allers-retours dans la vie de Nawal en parallèle au voyage initiatique des jumeaux, ainsi que de retours sur l'histoire d'autres personnages. Certains personnages morts côtoient par moments les vivants, sans que les uns et les autres puissent communiquer. Et bien que cette construction n'ait rien de linéaire, Mouawad nous mène, presque malgré nous, tout droit vers la fin de cette tragédie aussi bien antique que contemporaine. Intemporelle, universelle, pourrait-on dire. Chaque personnage a sa raison d'être, et la plupart sont plus complexes qu'ils n'en ont l'air - même le notaire, par exemple, qu'on pense avoir un rôle d'abord très secondaire, mais qui part au Liban avec Simon alors qu'a priori, ça n'est en rien son affaire. C'est une force de la pièce d'avoir donné une double identité à la plupart de ses personnages - à commencer par la présence de jumeaux (jumeaux qui sont une des références au théâtre antique, je peux au moins dire ça). Et c'est une force de Mouawad que d'avoir utilisé d'une manière aussi personnelle sa passion pour le théâtre antique.





Une pièce sur la quête d'identité, sur le mal en germe chez l'être humain et sur sa capacité à le dépasser ou non, sur la possibilité ou au contraire l'impossibilité d'échapper à l'histoire familiale, sur la question du destin et de la fatalité. Tout ça impeccablement maîtrisé, au point que vous en aurez, peut-être, un noeud dans la gorge.





Ah, j'oubliais : lisez la petite préface de Wajdi Mouawad ; le coup du clown triste (que malheureusement Denis Villeneuve a évacué de son film, pour des raisons que je ne m'explique pas) vous reviendra en tête plus tard, et vous comprendrez comment Wajdi Mouawad travaille pour créer ses pièces, et comment la participation des comédiens a pu nourrir celle-ci et lui apporter un élément éminemment saisissant.





Enfin, une fois n'est pas coutume, merci à Meps pour m'avoir poussée à lire Mouawad (oui, même Littoral), à Bruidelo, pour m'avoir poussée à écrire cette critique-ci, et à bookycooky, qui me soutient tout le temps... ainsi qu'à tous les autres, car pourquoi être mesquin et se limiter à trois remerciements seulement ??? Bon, là, j'ai comme le sentiment d'être une femme politique cherchant à se faire (ré)élire, ou encore Molière léchant les bottes de Louis XIV, le talent en moins (et non, soyons clairs, je ne dis pas ça pour que vous me répondiez "Mais si, tu es aussi douée que Molière, et même davantage" ; cependant vous êtes autorisés à le faire et je vous croirai alors sur parole).


Lien : https://musardises-en-depit-..
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Anima

Oh, comme il est dur, noir, beau et glaçant, ce roman… Dès les premières lignes – le moment fatal où le personnage principal, Wahhch Debch, découvre sa femme assassinée – « Anima » nous prend aux tripes, une griffe d’acier qui s’enfonce dans notre estomac et nous entraîne de page en page, fascinés et révoltés à la fois. Lecture difficile donc, presque insupportable par moment dans sa brutalité sans fard, mais quelle épopée pourtant ! Quelle sanglante et magnifique odyssée !



Mais commençons par le commencement. Et le début de toutes choses, c’est Wahhch tétanisé devant le corps monstrueusement massacré de son épouse, si assommé de douleur que plus rien ne semble pouvoir l’atteindre, ni la compassion des amis, ni la souffrance de la famille, ni les regards investigateurs de la police. Wahhch dans l’esprit duquel s’insinue un doute affreux : et si c’était lui ? Si c’était lui qui avait fait cela à Léonie ? Lui qui l’avait violée, tuée, avait assassiné l’enfant qu’elle portait dans son ventre ? Soupçon horrible qui le ronge jusqu’à la folie et dont le seul moyen de se défaire est de partir sur les traces du meurtrier, non pour se venger, ni même pour le livrer à la police, mais pour voir son visage et se prouver qu’il n’est pas responsable de la mort de sa femme. Commence alors une quête éprouvante qui mènera Wahhch à travers tout le nord de l’Amérique jusqu’à la mystérieuse ville d’Anima où violences passée et présente se mêleront dans un final aussi splendide que violent.



Cette chasse sanglante ne nous sera pas contée par Wahhch lui-même, mais – et c’est là, l’idée géniale de Wajdi Mouawad qui hisse ce roman au statut de chef d’œuvre – par une multitude de narrateurs : les animaux ! Chiens errants, goélands planant au dessus de la ville, lucioles dansant dans le crépuscule, chats, renards, mouches, chevaux… C’est par leurs yeux et leurs oreilles que le lecteur suit l’odyssée de Wahhch, partage ses peines et ses terreurs. Une intuition brillante, fabuleuse même, qui, loin d’alourdir le récit, lui donne une toute autre dimension et insuffle aux scènes les plus épouvantables une troublante beauté. Contrairement à ce que l’on pourrait craindre, ce procédé ne semble jamais artificiel : chaque scène et chaque point de vue animalier s’enchaînent avec une étonnante fluidité et contribuent à rendre le roman impossible à lâcher.



Brutalité candide du monde animal et violence perverse des hommes, beauté brulante des paysages et immobilité glaçante des villes… « Anima » est un roman tout de contrastes, d’échos et de subtilité : un merveilleux voyage aux confins de la bestialité et de la sauvagerie, parsemé d’éclats de tendresse et de douceur parfois plus cruels que les pires des crimes. C’est beau, poétique, effrayant, incontournable. Je n’aurais pu trouver meilleur livre pour débuter cette année 2013 !

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Tous des oiseaux

"Un oiseau vient au monde et voilà qu'à la faveur de son premier envol il passe au-dessus des eaux de la mer. La lumière laisse entrevoir sous la surface les poissons aux écailles argentées. Ému par cette beauté inconnue, l'oiseau veut aller à leur rencontre et il tombe vers la mer. Mais les autres oiseaux, ses congénères, le rattrapent avant qu'il n'atteigne les vagues. "Non ! lui dit le plus sage, ne t'avise jamais d'aller vers ces créatures. Elles te sont étrangères en tous points et, les rejoignant, tu mourrais comme elles mourraient si elles nous rejoignaient. Nous ne sommes faits ni pour nous rencontrer ni pour vivre ensemble." L'oiseau obéit et va sa vie, mais toujours son coeur se tord à la vue de la mer. Taciturne, il ne chante plus. Jusqu'au jour où, pétri par un chagrin devenu trop lourd à porter, il songe qu'à une longue vie malheureuse il préfère un seul instant d'extase, et il referme sur lui ses ailes ! Et dans la bleuité du ciel, il tombe vers la bleuité de la mer pour en fendre la surface. Le voilà sous l'eau, s'enfonçant vers l'abysse des lumières et dans le peu de temps qu'il lui reste, l'oiseau ouvre ses yeux ! Infinité de poissons multicolores ! Satin insoupçonné des abîmes ! Indicible beauté étrangère ! Son coeur s'enflamme ! Sa dernière heure approche, mais il ne s'en soucie plus, tout à son désir de l'autre, de ce qui est différent, et ce désir est si absolu, si immense, si spirituel, qu'à l'instant précis où la mort veut le saisir des ouïes lui poussent au cou ! Et il respire ! Il respire ! Et respirant, volant-nageant, il s'avance au milieu des poissons aux écailles d'or, de jade et de rose aussi subjugués que lui par eux, et, les saluant, l'oiseau prononce la parole magique : "Me voici ! C'est moi ! Je suis l'oiseau amphibie arrivant au milieu de vous, je suis l'un des vôtres, je suis l'un des vôtres !"

Il m'a semblé approprié de vous relater l'histoire de l'oiseau amphibie pour introduire cette présentation de la pièce de Wajdi Mouawad, car elle illustre à elle seule le propos de la pièce, à savoir notre quête d'identité et la recherche de nos identités perdues ou égarées.

Cette pièce que je n'ai pu que lire, c'est-à-dire que je n'ai pas eu la chance de voir jouer au théâtre, met en scène huit personnages... non en quête d'auteur, mais en quête d'eux-mêmes, perdus qu'ils sont entre ce qu'ils croient être et ne sont pas, ce qu'on veut leur faire croire qu'ils sont et qu'ils ne sont peut-être toujours pas, ce qu'ils voudraient être et qu'on leur refuse qu'ils soient, égarés dans un monde où les murs, les bannières, les barbelés, les check-points, les idéologies, les dogmes, les croyances, les religions, l'Histoire s'érigent en parangons identitaires qui ne suffisent pourtant pas à étancher leur quête, tel cet oiseau irrésistiblement attiré par ce qui semble n'être pas lui et ne jamais pouvoir le devenir.

Ces huit personnages sont Eitan jeune juif new-yorkais, étudiant en statistiques, Wahida jeune étudiante new-yorkaise doctorante qui prépare une thèse sur Hassan Ibn Mohammed Al-Wazzân, diplomate de haut rang, enlevé par des pirates en 1518 au retour d'un pèlerinage à La Mecque et offert au Pape Léon X, Eden soldate israélienne, Leah grand-mère d'Eitan... elle vit en Israël, Norah belle-fille de Leah et mère d'Eitan, Etgar mari de Leah, beau-père de Norah et grand-père d'Eitan et père de David... il vit en Allemagne, David père d'Eitan, fils de Leah et d'Etgar, mari de Norah... ils vivent également tous deux en Allemagne, Wazzân personnage historique sujet de la thèse de Wahida.

Eitan, le juif rencontre Wahida, l'arabe... c'est le grand amour.

Ils vivent à New York.

Eitan fait venir ses parents ( David, Norah et Etgar) qui vivent en Allemagne, à New York, pour leur présenter Wahida l'amour de sa vie avec laquelle il veut se marier.

C'est le clash.

Entre l'orthodoxie de David son père, le soutien de Norah sa mère à son époux et ce malgré son passé de communiste de l'ex-RDA et donc pro-palestinienne et l'attitude ambiguë d'Etgar rescapé de la Shoah... ils se quittent sur un constat d'échec et une énième brouille.

Eitan se rend en Israël pour rencontrer Leah sa grand-mère.

Il est accompagné de Wahida qui veut profiter de ce voyage pour se rendre en Jordanie et dans d'autres pays musulmans... sur les traces de Wazzân le "personnage" de sa thèse.

Ils font partie des victimes d'une attaque terroriste.

Eitan est hospitalisé dans le coma.

Wahida prévient Leah et les parents berlinois d'Eitan.

Tous se retrouvent en Israël au coeur de l'affrontement entre Israéliens et Palestiniens.

Les masques vont tomber. Chacun va devoir faire face à ses vérités et à ses mensonges.

Que leur réserve cette recherche d'identité après laquelle ils couraient tous et qui désormais s'impose à eux ?

Une pièce que j'aurais vraiment voir aimé jouer sur scène.

Qui sait ?

Plus que du théâtre, l'art de Wajdi Mouawad, c'est de mêler poésie, réalisme, à ce qui apparaît à la lecture de son oeuvre comme relevant également du cinéma.

Le propos est intelligent, lourd, touchant, et ce, dans un ensemble où se mêlent les langues, les espaces-temps, où le poids de l'Histoire est omniprésent.

Autour du conflit israélo-palestinien plane la mémoire toujours vivace de l'holocauste, et l'auteur à travers - Tous des oiseaux - nous montre son pessimisme face à ce drame fait pour durer.

Les clés, peut-être pas toutes, certaines tout au moins, sont là et pourraient permettre d'ouvrir des portes entravées par des oiseaux sans ailes.

La présence, la vie, l'expérience et le legs à l'Histoire de Wazzân est une de ces clés...

J'espère ne pas avoir été trop confus, mais j'avoue qu'à défaut d'avoir vu la pièce au théâtre... il me faudra la lire et la relire... tant sa structure et son propos sont plus complexes que ce que ma pauvre présentation s'est évertué à essayer de montrer.

Du très grand théâtre !
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Anima

« Je suis né d’un massacre il y a longtemps, ma famille a été saignée contre le mur de notre jardin (Les 16,17 et 18 septembre 1982, après l’assassinat du président Bachir Gemayel, les miliciens chrétiens, appartenant aux Forces libanaises, sont entrés dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila et ont commis des atrocités) et aujourd’hui, des années plus tard, à des milliers de kilomètres de là, la mécanique du sang semble s’être remise en marche. Je revis un à un les meurtres qui m’ont vu naitre. C’est comme un macabre jeu de piste qui se joue sur la terre d’Amérique où d’autres que moi, Indiens, colons, nordistes ou sudistes, ont traversé les mêmes carnages ».



Ce terrible jeu de piste commence par le meurtre de la femme de Wahhch. Eventrée, et violée dans la plaie. Quand Wahhch rentre chez lui et découvre l’ignominie, il s’effondre. Puis il s’en va, sur la piste de l’horrible auteur de ce fait.

Et c’est là que la narration nous entraine dans les yeux des animaux que Wahhch croise au fil de son périple qui l’emmène bien loin de chez lui, jusque dans les réserves indiennes du Canada.

Originalité, sensibilité, poésie, finesse du propos, profondeur des sentiments, terrible dichotomie de l’individu et de l’universel où la cruauté côtoie le désir d’aimer : voilà ce qu’est ce roman extraordinaire, « Anima ».



Si j’ai mis 4 étoiles, c’est parce que j’ai eu quelquefois des difficultés à continuer à lire, tellement c’est dur. Etre immergée des jours dans ces bas-fonds de l’humanité, même si des gens bienveillants brillent par moments, c’est difficile.



Mais je le répète, « Anima », c’est atypique et exceptionnel.

« Ce n’est pas fini parce que ça continue à hurler et ça semble m’appeler de plus en plus, ça semble me nommer par mon propre nom ».

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Anima

Typiquement le genre de bouquin monstrueux dont on sort sonné (et il faut reconnaître que c'est bonnard).

Wahhch Debch découvre le cadavre abominablement mutilé de son épouse, et sa vie bascule dans la folie des hommes. Il se lance à la poursuite de l'assassin, non pour se venger mais pour s'assurer que ce n'est pas lui. Sa quête va le mener dans les réserves indiennes canadiennes, puis dans le Midwest et le Southwest américains, et bien plus loin encore, dans les confins de sa mémoire, de sa conscience, et de son existence. Particularité supplémentaire de cette quête : elle est racontée par des animaux.



Dès la première page, ce roman prend aux tripes ; normal, avec cette polyphonie animale qui parle au ventre sans passer par le cerveau, car au-delà des mots. Félins, canins, oiseaux, poissons, rongeurs, insectes, équidés... tous ceux qui ont aperçu ou croisé Wahhch relatent ses faits et gestes, et surtout ressentent et expriment son intense tristesse. J'ai été prise au dépourvu et bouleversée par la pureté et la bonté de ces témoins muets et souvent invisibles, qui ne jugent pas mais observent les hommes et compatissent à leur malheur. Pour autant, l'auteur ne dresse pas une fable écologique, et il n'oppose pas les uns aux autres -si certains représentants de l'humanité sont parfois désespérants de férocité, d'autres personnages sont d'une grâce bienfaisante.

En outre, j'ai été envoûtée par la poésie de Wajdi Mouawad, par son écriture mystique qui, par le biais animal, va à l'essentiel et se concentre sur la course des nuages, la couleur du ciel, la lumière du soleil, la chaleur de la terre, la fraîcheur de l'eau, l'odeur de l'herbe, et puis les regards qui révèlent et les émotions qui transpirent. C'est à la fois léger et grave, d'une beauté qui m'a profondément émue.

Enfin, il y a le récit en lui-même, dont la trame se dédouble tout en restant cohérente malgré ses rebondissements inopinés ; qu'importe, je suis restée emportée par l'histoire, tant l'auteur m'a donné envie d'y croire, et même si certains passages sont très durs, à la limite du supportable -comme le dit Wahhch : "Depuis que le monde est monde, le ciel n'a rien vu de plus bestial que l'homme."



C'est donc une expérience littéraire qui m'a laissée sur le derrière, et je salue l'audace de Mouawad, sa prise de risque à écrire quelque chose d'aussi fou et d'une façon aussi incroyable. N'hésitez pas à tenter l'expérience, vous aussi ; vous en sortirez forcément chamboulés (prévoyez quand même un coussin moelleux pour vos petites fesses).
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Le sang des promesses, tome 2 : Incendies

C'est grâce à ma fille que j'ai découvert cette pièce de théâtre. Elle l'a étudiée en classe, l'a beaucoup aimée et m'a conseillé de la lire.



C'est en effet une très belle pièce. Il s'en dégage une atmosphère forte en intensité dramatique.





L'auteur Wajdi Mouawad, comme il l'explique dans la préface, a écrit cette pièce en s'inspirant du jeu et des envies des comédiens. Au fur et à mesure des répétitions, il écrivait le texte, influencé par la personnalité de chacun. Cela peut paraître surprenant mais pas tant que cela finalement. Certains auteurs de cinéma écrivent bien des scénarii en s'inspirant de la personnalité des acteurs déjà choisis.

Si le texte s'en trouve enrichi, il ne faut cependant pas négliger l'influence de l'expérience propre de Wadji Mouawad, homme de théâtre québécois, qui a dû quitté son pays natal, le Liban, à l'âge de dix ans. La guerre civile y faisait alors rage.





En faisant quelques recherches sur Internet, je me suis aperçue que cette pièce avait également été adaptée au cinéma et que le film avait reçu de nombreuses récompenses.

Ce qui n'est guère étonnant au vu du caractère poignant de l'histoire que nous raconte Wajdi Mouwad.





Cette histoire repose bien évidemment sur la terrible répression subie par les habitants lors de la guerre civile au Liban mais prend toute son essence dans la tragédie grecque. Je ne vous dirai pas de quels personnages de mythologie elle s'inspire car cela dévoilerait l'intrigue finale.





Deux fils de narration composent cette pièce. On suit tout d'abord Jeanne et Simon. Leur mère, Nawal, vient de mourir et leur lègue un testament des plus surprenants. Par les dernières volontés de Nawal, ils apprennent que leur père qu'il croyait mort est bien vivant et qu'ils ont un frère dont ils ignoraient l'existence. S'ensuit une quête à la recherche de leur père et de leur frère qu'il les mènera jusqu'au Liban.

Le deuxième fil de narration nous transpose bien des années auparavant alors que Nawal n'est qu'une jeune fille que l'on suivra ainsi jusqu'à ses soixante ans, ce qui permet de dévoiler au lecteur/spectateur les différents éléments de réponse aux interrogations de Jeanne et Simon.





Cette composition renforce bien sûr le côté tragique et intense de l'histoire, chaque époque se renvoyant l'une à l'autre. Les personnages des deux époques se croisent, s'interpellent dans une sorte d'intemporalité qui crée de l'angoisse. Les dialogues se percutent, se fracassent, se révèlent les uns aux autres pour finalement se rejoindre, ne faire plus qu'un lorsque vient l'heure de la révélation des secrets...

Toutes les vérités sont dites. le rideau peut alors se fermer.

Et le spectateur, encore abasourdi, d'applaudir.
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Le sang des promesses, tome 2 : Incendies

A la mort de leur mère, Simon et Jeanne, des jumeaux âgés de 22 ans, découvrent que cette dernière leur a caché l’existence de leur père, qu’ils croyaient mort depuis longtemps ainsi que celle d’un frère aîné. Afin de répondre aux dernières volontés de Nawal, Simon est chargé par le notaire de remettre une lettre à leur frère tandis que Jeanne se voit confier une lettre pour leur père. Si le jeune homme laisse éclater sa colère face à cette demande incongrue, sa sœur en revanche voit dans cette requête l’occasion de lever le voile sur le passé obscur de cette mère secrète et tourmentée et ainsi de remonter aux sources de leurs origines. Du Québec au Liban, le voyage s’avèrera riche en surprises et en révélations. Une quête d’identité menée tambour battant, qui pourrait bien changer l’avenir des jumeaux à jamais…





J’avais été marquée il y a quelques années par l’adaptation cinématographique de la pièce de Wajdi Mouawad par Denis Villeneuve. L’histoire, terriblement sombre et glauque, m’avait vraiment perturbée à l’époque et je dois dire qu’en lisant cette fois la pièce d’origine je me suis de nouveau retrouvée imbibée par ce malaise et cette tension ambiants. N’ayant pas l’habitude de lire des pièces de théâtre, contemporaines du moins, je ne m’attendais pas à subir un choc aussi violent à la lecture de celle-ci…



Dès les premières phrases, je me suis trouvée emportée par la beauté et la puissance de l’écriture. Sa justesse et son souffle dramatique m’ont donné des frissons, rendant les personnages terriblement vivants et l’histoire encore plus terrible. Wajdi Mouawad, à travers le récit de cette tragédie familiale, nous fait naviguer entre passé et présent et c’est pour lui l’occasion d’explorer et de mettre à jour les souffrances d’un pays déchiré, défiguré par les guerres et par la haine et d’où l’espoir a déserté. Les secrets sont déterrés au fur et à mesure, révélant leur horreur dans un final époustouflant et extrêmement intense. « Incendie », qui est le deuxième volet d’une tétralogie, est un texte brillant et percutant et restera l’une des lectures fortes de cette année 2015. A découvrir absolument !





Challenge Variétés : Une pièce de théâtre
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Anima

Un livre époustouflant!

Wahhch Debch retrouve sa femme abominablement assassinée. Meurtri jusqu'au plus profond de lui-même, il se lance à la poursuite de l'assassin, moins poussé par un désir de vengeance que par une absolue nécessité. En effet, le meurtre de Léonie, sa femme, a rouvert une blessure antérieure, jusque là recouverte par les évènements de la vie. Traversant plusieurs états d'Amérique, c'est pourtant sur les chemins de sa mémoire enfouie que Wahhch voyagera surtout, jusqu'à l'ultime explication. Il découvrira alors sa propre vérité.

Incroyable narration où ce sont les animaux qui témoignent des agissements du héros! Les descriptions sont instinctives, ressenties: odeurs, couleurs, sensations...

C'est un roman noir, un voyage au cœur de la souffrance d'un homme; une œuvre où la barbarie côtoie la sagesse amérindienne. L'histoire d'une résilience au prix d'une victoire sur ses peurs les plus terrifiantes.

Un chef d’œuvre!
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Le sang des promesses, tome 2 : Incendies

Nawal Marwan, Libanaise, meurt au Canada. le notaire, Hermile Lebel convoque les enfants, les jumeaux Jeanne, prof de maths et Simon, boxeur. Le voeu testamentaire de leur mère est spécial : que Jeanne remette une lettre à son père ; que Simon remette une lettre à son frère. Mais pour cela, il faut d'abord les retrouver, et donc retourner au Liban. A travers ces recherches, Jeanne et Simon ( plus réticent ) découvrent, derrière le silence de leur mère, toutes les horreurs de la guerre qu'elle a subie au Liban ; guerre que eux n'ont pas vécue.

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Du sang, il y en a beaucoup.

Des promesses, Nawal en fait pour "tenir" malgré le sang de la guerre : il y a d'abord la promesse faite à sa grand mère pour briser le cercle de la violence : lire-écrire-penser ; puis elle fait le serment de retrouver deux personnes, mais elle meurt, alors ces missions seront celles de ses enfants.

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C'est une deuxième lecture pour moi. Ce livre est l'écriture d'une pièce de théâtre épique contemporain.

Beaucoup d'émotions circulent derrière ces descriptions de scènes de guerre, de tueries, de vengeances. Heureusement ou malheureusement, ces émotions me dépassent. Ceux qui ont vécu la guerre auraient mieux « bu » les incendies de bus, les coups de fusils, les viols et les tortures, à moins que, comme certains, ils aient effacé tout cela de leur mémoire.

La construction est faite de bric et de broc, sans doute à l'image de ce qu'est une guerre de miliciens, sans cohérence. On a du mal à se retrouver avec tous les flash back volontaires.

Les dialogues des enfants avec la mère morte sont intéressants pour le spiritisme.

Les interventions de Nawal sont très fortes, tout comme celle de Chamseddine. Simon peut avoir de l'humour, et détendre involontairement l'atmosphère.

C'est un livre rempli de symboles, en particulier avec les phrases répétitives, comme :



« Maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux », qui semble être le symbole de la dispersion familiale imposée par la guerre ;



« L'enfance est un couteau que l'on vient de me planter dans la gorge. », pourrait symboliser le passage direct à l'âge adulte, sans passer par la case « enfance », quand il y a une guerre.



« You know, Kirk... », est pour moi le pétage de plombs ( de Nihal ) dont les valeurs n'ont jamais été cadrées, pour cause de guerre.



J'ai aimé l'engagement, « La promesse » faite à sa grand-mère de lire, écrire et penser, car elle donne un fil directeur, des valeurs à Nawal pour ne pas se faire exploser au milieu des miliciens, afin de casser le cycle de vengeance expliqué par le médecin.



C'est un livre de guerre pour inciter à la paix, et en cela, Wajdi Mouawad mérite le respect.

La guerre du Liban, ou guerre civile libanaise, est une guerre civile ponctuée d'interventions étrangères qui s'est déroulée de 1975 à 1990 au Liban en faisant entre 130 000 et 250 000 victimes civiles.

Wajdi Mouawad, Libanais d'origine, a été très marqué par ce conflit, même s'il a quitté son pays pour le Québec en 1978, à l'âge de dix ans.

Autour des années 2000, l'auteur a rencontré la résistante libanaise Souha Bechara, dont le combat fut une source d'inspiration pour Mouawad.
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Le sang des promesses, tome 2 : Incendies

J’aime les textes riches avec des mélanges étonnants, remuants, et avec Incendies, je suis servie! Tout s’y mêle, l’Histoire, le mythologique, l’intime, le présent et le passé, la haine et l’amour... Wajdi Mouawad réussit à évoquer les horreurs bien réelles de la guerre du Liban en s’affranchissant de la pesanteur de l’anecdotique, dans une tragédie moderne où l’histoire d’amour fait penser à Roméo et Juliette, où le recours à la mythologie grecque nous fait ressentir à quel point la guerre est folie.

Embringués dans le vertige des engrenages, sangs, beauté, horreur mêlés, dans le grand jeu du balancier d’amour et haine, on apprend qu’1 + 1 ne font pas toujours 2, on suit Jeanne et Simon dans leur quête, on découvre la femme qui chante, qui malgré l’effroyable continue à se demander comment, dans l’escalade monstrueuse et démente de la violence, tenir la belle promesse, sortir de la haine, comment « Ne haïr personne, jamais, la tête dans les étoiles, toujours ».

Wajdi Mouawad, tout en faisant preuve d’une « volonté têtue d’interroger sur scène les brutalités du monde contemporain, tel qu’il a été façonné par la violence démesurément meurtrière des guerres qui ont émaillé le long XXème siècle », veut tenter de trouver, derrière la dune la plus sombre, la source de beauté, et c’est fort, émouvant, poignant.
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Visage retrouvé

Wahab est un petit garçon secret, replié sur son âme, parlant peu, il préfère se taire et écouter.

Wahab ne devrait que sourire de l'insouciance de l'enfance, et pourtant, un matin, son regard rencontre l'obscurité de la guerre civile en étant témoin de sa barbarie.

Très vite, parce qu'il faut protéger les enfants, c'est le départ, la fuite, la famille s'exile et découvre une terre étrangère. Tout y est si différent : les saisons, les paysages, le lieu de vie, l'école...



Souvent, au retour de la classe, Wahab attend sur le palier qu'on lui ouvre. Quand on y pensera, quand on se rappellera qu'il doit être là à attendre, parce que la vie est devenue si agitée, si bruyante pour les autres membres, que personne n'entend jamais Wahab quand il sonne, personne ne se soucie vraiment de Wahab ou de alors de façon si fugitive.

Paradoxalement, ces moments sur le palier sont les seuls moments de vraie rencontre :avec la musique, avec sa voisine et son piano, Judith et sa douceur, Judith qui écoute. Uniques moments de grâce pour Wahab.



Pour son quatorzième, Wahab reçoit la clef de l'appartement : plus besoin de sonner, d'attendre, plus de notes de piano dérobées à la grisaille des jours, il a grandi... Seulement quand le premier soir, il entre, tout a changé, il ne reconnaît ni les lieux, ni sa mère, ni sa soeur. Son frère souvent absent et son père si terriblement égoïste n'entendent pas ses questions, n'entrevoient pas son désarroi.

Peut-être que cette fois encore la fuite serait la seule réponse : il rêve pendant la classe, il ment pour se protéger, il demande juste qu'on lui parle, qu'on l'entende. Il se cogne dans sa vie et dans ceux qui la peuplent, demeure perplexe et interdit devant la cruauté cachée des actes et des mots, alors pourquoi rester, plier, apprendre.

Fuir pour effacer la folie, fuir pour occulter les images de l'angoisse. Fuir loin de la ville, pour retrouver les sensations de la vie paisible et douce du pays quitté et perdu.





Roman dans lequel les mots de la violence voisinent avec des phrases suspendues dans un imaginaire-refuge, Visage retrouvé est le récit d'un combat contre la peur, celle qu'on tait, celle qu'on enfouit, souvent inconsciemment, pour s'y soustraire, la peur qui se multiplie désormais dans chaque cellule du corps, dans chaque instant de vie et qui tétanise. La peur et son ombre, la colère. Pour essayer de vivre, il faut écrire une autre existence, il faut rêver d'un ailleurs. En se retranchant du monde, on s'éloigne de sa violence. En se retranchant des autres, la colère devient inutile mais on perd la lumière qu'ils partagent, on perd la vie. Comment faire alors pour se reconstruire ? Si Judith faisait scintiller les instants avec ses notes de musique, Wahab utilise un autre art qui lui permettra de poser, justement, un visage sur cet affolement qui lui tient lieu d'existence, sur cette colère qui lui tient lieu de paroles.

Mais il faut encore une souffrance, encore un déchirement. Il faut encore une fois laisser la colère le submerger, encore une fois envisager la fuite comme seule acceptation.

Les démons ne cèdent que si on les affronte, que si on regarde leurs "visages", sans se détourner, sans s'en cacher. Ainsi, en les nommant, en les toisant, ils se replient à la marge de la vision, ils s'estompent de l'existence et tout peut être, à nouveau.





Wajdi Mouawad fait littéralement hurler les mots pour dire l'effroi vécu de la guerre, le poids et la souffrance de l'exil et sait personnifier les démons qu'il faudra terrasser pour enfin tenter de vivre tout simplement. Mais il rappelle aussi que nos vies sont tissées de violence…





"Je n'ai jamais vu le jour se lever ; la lumière doit être plus propre au matin. Les décisions doivent être plus faciles à prendre quand, marchant seul sur une route de campagne, le premier rayon de soleil vous accueille au détour d'un chemin ; la surprise doit aider le marcheur à poursuivre. Il oublie son envie de dormir et cette lumière nouvelle le conduira jusqu'à midi où, tout tremblant, il ira s'écrouler au pied d'un arbre ; au réveil, il se sentira à part, en marge, mélancolique, mais heureux de marcher en pleine nuit comme savent marcher les nomades des déserts."
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Anima

Dix ans, dix ans, c’est le temps qui a été nécessaire à Wajdi Mouawad pour écrire ce roman. Tout part du meurtre de Léonie, compagne de Wahhch Debch. Un meurtre innommable.



Wahhch quittera tout pour se mettre à la poursuite de l’assassin. Il est intouchable, car il est indien, et toute personne étrangère à la réserve, ne peut y entrer, quel que soit le crime commis. L’assassin est donc à l’abri des autorités, d’autant plus qu’il est « protégé ».



Cette quête va mener Wahhch Debch au bout de lui même, non seulement, il trouvera ce qu’il cherchait, mais cela ouvrira chez lui d’autres plaies qui le suivent depuis l’enfance. Un écran s’est déchiré en lui depuis le crime. Des bribes de souvenirs que son esprit avait occulté jusqu’à présent reviennent à sa mémoire. Il devra tirer le fil d’airain afin de comprendre ce qu’il a vécu étant petit.



Ce que va découvrir Wahhch Debch est plus effroyable que tout ce qu’il a pu imaginer.



Chaque page de ce livre est une plaie ouverte. Par-ci, par-là, une poche s’ouvre pour permettre au lecteur, pour une courte durée, de reprendre son souffle, avant de le replonger dans l’ignominie. Il n’y a pas de limite à la cruauté de l’homme et de sa capacité à plonger au pire de l’humanité.



J’en ai lu des histoires qui racontent l’atrocité dont sont capable les hommes, mais là j’ai encore découvert un pas de plus vers ce qu’il y a de plus abjecte en l’homme. Wajdi Mouawad imagine son histoire d’abord à Montréal et ensuite en Amérique, dans les réserves d’Indiens, mais cela aurait pu être dans n’importe qu’elle autre partie du monde. Car, une guerre n’est et ne sera jamais propre. Où que l’on soit, une guerre est une atrocité et reste une atrocité et laisse place à ce qu’il y a de plus cruel et de plus vil en l’homme.



Car ce à quoi fait référence Wahhch Debch, c’est la guerre au Liban et notamment le massacre de Sabra et Chatila pour laquelle une amnistie générale a été déclarée. Aucun procès ne peut et n’aura jamais lieu.



Un livre fort, puissant, de part les mots et de part l’histoire. La spécificité de ce roman est que les narrateurs sont les animaux croisés par Wahhch Debch, lors de ses quêtes, que ce soit des mammifères ou des insectes. Ils n’ont pas d’état d’âme sur les actes des hommes. Ils se contentent de narrer ce qu’ils voient. En cela, ils reconnaissent Wahhch Debch comme l’un des leurs. Chaque chapitre commence par le nom d’un animal en latin. J’ai découvert, par ce biais les noms scientifiques du monde animal qui nous entoure. Alors, Wahhch Debch saura-t-il retenir la bête qui est en lui, la maîtriser, la rendre docile ou au contraire lui laisser libre court ? Le monde étant ce qu’il est, tout n’est jamais blanc ni jamais gris.



Un livre inoubliable, qui m'a remué jusqu'au fond de l'âme. magnifique !

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Anima

Baudelaire avait pris de la boue pour en faire de l'or. Wajdi Mouawad est le nouvel alchimiste. Les plus extrêmes violences du XX° siècle se métamorphosent en un récit poétique qui donne voix aux animaux qui nous entourent, nous hommes aveugles à eux.

Peu à peu, l'acte de sang individuel va céder la place aux tueries collectives (guerre de Sécession, guerre d'Algérie, massacre de Sabra et Chatila) pour revenir à un nouvel acte individuel, acte ultime qui unit Wahhch l'humain au chien monstre.

Il en faut des voix pour relater la quête de Wachhch et de sa douleur. De la fourmi au corbeau, du cheval d'abattoir au chat domestique, de la blatte à la colombe, chacun a une perception propre, tous ont une voix singulière.



Jamais Wajdi Mouawad ne cède à la facilité. Chaque phrase vibre, la beauté sourd de partout. Chaque évènement résonne. La violence est partout.



Et dire que ce livre fait partie de la rentrée littéraire 2012 et que l'on ne parle pas de lui...



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Anima

Je suis toujours touchée quand je sens à la lecture d'un roman que l'auteur y a mis toute sa tripe, qu'il a été au bout de sa plume pour dire au mieux tout ce qu'il avait à dire, bref quand se ressentent l'authenticité et la densité de l'intention, quitte à y perdre un peu en unité ou à surinvestir le propos.

C'est un peu l'effet que m'a fait "Anima", dont la bestialité surexposée éclaire l'intensité avec laquelle l'auteur a porté cette histoire en lui, montrant à quel point il lui était important de la dérouler, quitte à multiplier les vecteurs narratifs en partant du polar, en le troublant rapidement d'éclairs animistes, s'orienter vers le thriller pour bifurquer au final sur un drame psychologique trempé dans une douloureuse page d'histoire.

Même si l'effet de répétition finit par être un peu lourd, j'ai adoré les pas de côté apportés par la vision tour à tour du chat, du poisson rouge, de la fourmi, du papillon, du rapace en miroir de la bestialité dénaturée des hommes. La lente renaissance à soi du héros et la profondeur du travail psychanalytique fait sur lui-même, à la faveur d'un événement d'une rare violence, pour se reconnecter à son histoire personnelle, est par ailleurs extrêmement troublante.

Il n'est peut-être pas parfait mais ce roman multiculturel, "multi-espèces" et multigenre a quelque chose de fascinant, il laisse sa trace et touche son lecteur de la manière la plus... animale.

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