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Citation de Partemps


II
« Rien d’étonnant à ce que tout intérêt de masse, la première fois qu’il monte sur l’estrade, dépasse de loin dans l’idée ou la représentation que l’on s’en fait ses véritables bornes. »
Marx et Engels : La Sainte-Famille.
La plus intime impulsion donnée à l’utopie fouriériste, il faut la voir dans l’apparition des machines. Le phalanstère devait ramener les hommes à un système de rapports où la moralité n’a plus rien à faire. Néron y serait devenu un membre plus utile de la société que Fénelon. Fourier ne songe pas à se fier pour cela à la vertu, mais à un fonctionnement efficace de la société dont les forces motrices sont les passions. Par les engrenages des passions, par la combinaison complexe des passions mécanistes avec la passion cabaliste, Fourier se représente la psychologie collective comme un mécanisme d’horlogerie. L’harmonie fouriériste est le produit nécessaire de ce jeu combiné.

Fourier insinue dans le monde aux formes austères de l’Empire, l’idylle colorée du style des années trente. Il met au point un système où se mêlent les produits de sa vision colorée et de son idiosyncrasie des chiffres. Les « harmonies » de Fourier ne se réclament en aucune manière d’une mystique des nombres prise dans une tradition quelconque. Elles sont en fait directement issues de ses propres décrets : élucubrations d’une imagination organisatrice, qui était extrêmement développée chez lui. Ainsi il a prévu la signification du rendez-vous pour le citadin. La journée des habitants du phalanstère s’organise non pas de chez eux, mais dans des grandes salles semblables à des halls de la Bourse, où les rendez-vous sont ménagés par des courtiers.

Dans les passages Fourier a reconnu le canon architectonique du phalanstère. C’est ce qui accentue le caractère « empire » de son utopie, que Fourier reconnaît lui-même naïvement : « L’état sociétaire sera dès son début d’autant plus brillant qu’il a été plus longtemps différé. La Grèce à l’époque des Solon et des Périclès pouvait déjà l’entreprendre. » Les passages qui se sont trouvés primitivement servir à des fins commerciales, deviennent chez Fourier des maisons d’habitation. Le phalanstère est une ville faite de passages. Dans cette « ville en passages » la construction de l’ingénieur affecte un caractère de fantasmagorie. La « ville en passages » est un songe qui flattera le regard des parisiens jusque bien avant dans la seconde moitié du siècle. En 1869 encore, les « rues-galeries » de Fourier fournissent le tracé de l’utopie de Moilin Paris en l’an 2.000. La ville y adopte une structure qui fait d’elle avec ses magasins et ses appartements le décor idéal pour le flâneur.

Marx a pris position en face de Carl Grün pour couvrir Fourier et mettre en valeur sa « conception colossale de l’homme ». Il considérait Fourier comme le seul homme à côté de Hegel qui ait percé à jour la médiocrité de principe du petit bourgeois. Au dépassement systématique de ce type chez Hegel correspond chez Fourier son anéantissement humoristique. Un des traits les plus remarquables de l’utopie fouriériste c’est que l’idée de l’exploitation de la nature par l’homme, si répandue à l’époque postérieure, lui est étrangère. La technique se présente bien plutôt pour Fourier comme l’étincelle qui met le feu aux poudres de la nature. Peut-être est-ce là la clé de sa représentation bizarre d’après laquelle le phalanstère se propagerait « par explosion ». La conception postérieure de l’exploitation de la nature par l’homme est le reflet de l’exploitation de fait de l’homme par les propriétaires des moyens de production. Si l’intégration de la technique dans la vie sociale a échoué, la faute en est à cette exploitation.

B. Grandville ou les expositions universelles
I
« Oui, quand le monde entier, de Paris jusqu’en Chine,
Ô divin Saint-Simon, sera dans ta doctrine,
L’âge d’or doit renaître avec tout son éclat,
Les fleuves rouleront du thé, du chocolat ;
Les moutons tout rôtis bondiront dans la plaine,
Et les brochets au bleu nageront dans la Seine ;
Les épinards viendront au monde fricassés,
Avec des croûtons frits tout autour concassés ;
Les arbres produiront des pommes en compotes,
Et l’on moissonnera des carricks et des bottes ;
Il neigera du vin, il pleuvra des poulets,
Et du ciel les canards tomberont aux navets. »

Langlé et Vanderburch : Louis-Bronze et le Saint-Simonien (Théâtre du Palais Royal, 27 février 1832)
Les expositions universelles sont les centres de pèlerinage de la marchandise-fétiche. « L’Europe s’est déplacée pour voir des marchandises, dit Taine en 1855. Les expositions universelles ont eu pour précurseurs des expositions nationales de l’industrie, dont la première eut lieu en 1798 sur le Champ de Mars. Elle est née du désir « d’amuser les classes laborieuses et devient pour elles une fête de l’émancipation ». Les travailleurs formeront la première clientèle. Le cadre de l’industrie de plaisance ne s’est pas constitué encore. Ce cadre c’est la fête populaire qui le fournit. Le célèbre discours de Chaptal sur l’industrie ouvre cette exposition. – Les Saint-Simoniens qui projettent l’industrialisation de la planète, s’emparent de l’idée des expositions universelles. Chevalier, la première compétence dans ce domaine nouveau, est un élève d’Enfantin, et le rédacteur du journal Saint-Simonien Le Globe. Les Saint-Simoniens ont prévu le développement de l’industrie mondiale ; ils n’ont pas prévu la lutte des classes. C’est pourquoi, en regard de la participation à toutes les entreprises industrielles et commerciales vers le milieu du siècle, on doit reconnaître leur impuissance dans les questions qui concernent le prolétariat.

Les expositions universelles idéalisent la valeur d’échange des marchandises. Elles créent un cadre où leur valeur d’usage passe au second plan. Les expositions universelles furent une école où les foules écartées de force de la consommation se pénètrent de la valeur d’échange des marchandises jusqu’au point de s’identifier avec elle : « Il est défendu de toucher aux objets exposés ». Elles donnent ainsi accès à une fantasmagorie où l’homme pénètre pour se laisser distraire. À l’intérieur des divertissements, auxquels l’individu s’abandonne dans le cadre de l’industrie de plaisance, il reste constamment un élément composant d’une masse compacte. Cette masse se complaît dans les parcs d’attractions avec leurs montagnes russes, leurs « tête-à-queue », leurs « chenilles », dans une attitude toute de réaction. Elle s’entraîne par là à cet assujettissement avec lequel la propagande tant industrielle que politique doit pouvoir compter. – L’intronisation de la marchandise et la splendeur des distractions qui l’entourent, voilà le sujet secret de l’art de Grandville. D’où la disparité entre son élément utopique et son élément cynique. Ses artifices subtils dans la représentation d’objets inanimés correspondent à ce que Marx appelle les « lubies théologiques » de la marchandise. L’expression concrète s’en trouve clairement dans la « spécialité » — une désignation de marchandise qui fait à cette époque son apparition dans l’industrie de luxe. Les expositions universelles construisent un monde fait de « spécialités ». Les fantaisies de Grandville réalisent la même chose. Elles modernisent l’univers. L’anneau de Saturne devient pour lui un balcon en fer forgé où les habitants de Saturne prennent l’air à la tombée de la nuit. De la même façon un balcon en fer forgé représenterait à l’exposition universelle l’anneau de Saturne et ceux qui s’y avancent se verraient entraînés dans une fantasmagorie où ils se sentent mués en habitants de Saturne. Le pendant littéraire de cette utopie graphique, c’est l’œuvre du savant fouriériste Toussenel. Toussenel s’occupait de la rubrique des sciences naturelles dans un journal de mode. Sa zoologie range le monde animal sous le sceptre de la mode. Il considère la femme comme le médiateur entre l’homme et les animaux. Elle est en quelque sorte le décorateur du monde animal, qui en échange dépose à ses pieds son plumage et ses fourrures. « Le lion ne demande pas mieux que de se laisser rogner les ongles, pourvu que ce soit une jolie fille qui tienne les ciseaux. »
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