« C’est où l’Amérique ? », lui demanda l’une de ses petites sœurs,
et il ne put que hausser les épaules, sourire pour dissimuler son
ignorance. Comme l’enfant insistait, il indiqua une direction au
hasard, vers le ponant, comme s’il pressentait que dans quelques
mois il allait se diriger vers ce point de la terre. Tout comme
beaucoup d’émigrants, il transporta ses os et son âme vers un
autre continent, des histoires à narrer sous d’autres cieux, ses
graines pour féconder des ventres lointains, ses ongles noirs de
paysan et d’apprenti marchand, et dans ses yeux rêveurs, l’envie
de vivre.
[...]
Au loin, dans le ventre du bateau, on entendait les Arabes chanter,
en s’accompagnant de leurs luths et de leurs tambourins, pendant
que les Grecs dansaient au son de leurs flûtes de pan. Sur le pont
supérieur, les rires et la mélodie d’une valse viennoise perturbaient
les souvenirs des émigrants, attachés aux vieilles nostalgies de la
terre lointaine, aux fiancées qui les suivraient bientôt, aux morts de
toutes les époques. »