Je n’étais pas destiné à écrire, mais à flotter. Simplement, je me suis aperçu que l’écriture était un excellent moyen pour ça, sans ennuyer personne, en plus. Je veux dire : je ne fore pas, je ne disque pas, je ne parle pas dans un micro, je n’ai pas d’avis à donner, ou à défendre, d’idées à faire valoir, je ne prends pas ma voiture le matin, ni mon vélo, je n’emmerde aucun collègue et n’oblige personne à me parler, encore moins à me téléphoner, je n’ai pas besoin de bureau, de fax, de logistique, le confort ne m’intéresse pas, ou très peu, je n’ai pas besoin d’être propre, d’acheter des costumes, de me coiffer, de m’habiller, non, je m’assieds gentiment à ma petite table, et j’écris.
J’étais un vieux bonhomme et l’âge, tu le sais, fait
qu’on est moins enclins à se laisser berner
par les fanaux des rêves de liberté.
La nostalgie, c’est un applaudissement du passé. Dans une main, il y a des larmes. Dans l’autre, beaucoup de joie.
Vieillir, c’est devenir l’enfant que plus personne ne voit.
L’enfant dont on dit qu’il a les cheveux gris.
Nous emmenant voir le tilleul de Lillé, celui des Floxhes et le vieux chêne Saint-Antoine, qui comptaient parmi les derniers spécimens de la région, elle disait : « Tous ces bouts de fer incrustés dans l’écorce, vous les voyez ? C’étaient des maladies. L’arbre les a mangées. En les mangeant, il en a débarrassé les gens. » Ce principe de transmission du mal qu’on retrouve dans cette croyance aux arbres à clous, j’y suis sensible. Il y a dans l’écriture un peu de ce principe.
Est-ce cela vieillir ?
Mieux voir hier qu’aujourd’hui ?
Mieux voir jadis que maintenant ?
Chercher à oublier mais voir tout revenir ?
Le passé est une bombe. Il explose.
Eux, c’est cela qu’ils nomment oubli, qu’ils nomment vieillir.
Je ne peux que fermer les yeux et me souvenir,
une main dans mon amour de toi et l'autre dans
le regret.
Nos enfants aussi sont partis aux quatre coins du pays.
Se battre.
Être le père d’enfants partis se battre n’est pas
seulement étrange.
C’est une chose insensée.
Comme l’est le fait de ne plus voir celles
et ceux que l’on a un jour aimés.
D’un autre côté, elle se faisait un sang d’encre à la
moindre occasion.
Encore maintenant (il fixe le ciel). Ainsi sont faites les
mères : taillées dans le bois du souci.
Inquiètes, toujours, de ce qui va nous tomber dessus.
Mais qu’est-ce que le vouloir d’un père
contre la soif de liberté d’un enfant ?