La capitaine anglais se signa devant le crucifix et fit une prière silencieuse avant d'ajouter :
— Nous sommes venus pour nous défendre contre les Russes.
— Vous êtes ici devant le Christ, alors dites la vérité ! Les Russes se trouvent au nord du Tibet alors que c'est à l'est que vous êtes accourus !
Un instant troublé par cette remarque, le capitaine changea de sujet :
— Mon père, pourquoi êtes-vous venus évangéliser le Tibet ?
— Cela ne vous regarde pas, dit le prêtre piqué au vif. Il rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu ! Seul Dieu sait ce dont le Tibet a le plus besoin. Et ce n'est certainement pas de vos armes.
— Mon père, fit respectueusement le capitaine. Pardonnez mon audace, mais rien ne dit non plus que votre croix soit absolument nécessaire aux Tibétains.
—Sur la terre du Tibet, nous avons toujours bâti les citadelles des divinités, alors de quel droit les Occidentaux viendraient-ils les détruire ? Que penseraient-ils si les nôtres allaient mettre leurs croix en pièces ?
— Eh bien, dit Ludrung Chime, chef des moines-soldats du monastère, allons briser leurs croix !
— Un homme de foi ne peut répondre à la haine par la haine. Si tu abats leurs croix, ils feront de même avec nos chörten. Puis nous irons brûler leur église et eux, ils feront appel à l'armée pour détruire notre monastère. On ne peut subjuguer les sortilèges de l'adversaire autrement que par le verbe et la sagesse, car celui qui tue à cause de disputes religieuses n'a pas l'esprit d'un homme de foi.
Après ces moments difficiles pour l'église, la communauté s'était agrandie de trois orphelins, six paroissiennes étaient devenues veuves, les deux tiers des familles avaient souffert à des degrés divers. Devant ce pays ravagé par la guerre et ces gens sans famille, le père Charles eut soudain le sentiment qu'il n'est rien de plus ironique pour la foi elle-même que ces guerres de religion. L’Évangile et l'amour de Dieu n'auraient jamais dû être à l'origine des haines sur cette terre. le Dieu des chrétiens était désormais du sable dans les yeux des bouddhistes tibétains.
Celui qui ne connait que sa seule croyance est incapable de saisir toutes ses profondeurs.