Citations de Werner Lambersy (208)
J'ÉCOUTE MOURIR
et remourir
la mer
mais la mer est
toujours là
qui veut mourir
en épousant
l'horizon
Je vois paraître
et reparaître
l'étoile
mais le ciel est
toujours là
qui veut
disparaître et se
jeter dans le
vide
Je sens passer et
repasser les
jours
et rien jamais ne
me lasse
de cette mort
qui ne peut pas
p.17-18
La lumière est
la seule porte de sortie
des étoiles
les pierres
sont des oiseaux
qui se reposent après
un très long vol dans
l’espace
les oiseaux
sont des poissons
qui nagent vers le ciel
quand l’eau d’en bas
devient trop sombre
les poissons
sont des pierres sans
paupières
qui bougent comme
des galaxies
l’homme
et l’arbre ont
le soleil en commun
p.22
LES HOMMES SE DÉVORERONT
comme des insectes
croiront
dans l'ordre l'argent et dieu
la nature
indifférente suivra le ruban
du piano mécanique
du temps
le silex de l'univers lancera
ses étincelles froides
p.22
À la bibliothèque municipale et
gratuite
on me connaît surtout lorsqu'il
fait froid
ou que l'averse troue mon k-way
hier j'ai demandé un livre
je connaissais le titre et l'auteur
ce n'était pas
en rayons ni même au catalogue
alors j'ai dit ce n'est pas grave
dès qu'il fait beau je sors
et je vais l'écrire
p.63
ON N'ENTASSE PAS LES HEURES
ni les minutes
on ne peut pas faire un tas
pour le mettre au coffre de
la banque
pourtant
blessé sous la roue de l'auto
dans la rue
entouré par une foule venue
en curieux
cet homme demande encore
d'échanger
quelques secondes contre une
poignée de lumière
p.71
PEUT-ÊTRE
est-ce le dernier
ou l'entre-deux
avant la fin
et qui sait à quoi
à quel spectacle
les crépuscules
se prêtent
et pourquoi nous
ne les fixons
des yeux
pareils à l'enfant
qui sera orphelin
même si une lune
pose sa virgule
au silence d'après
p.42
JE SUIS ENTRE
par la petite porte basse
du poème
l'entrée de service
où quelqu'un qui va
dans les étages
attend
qu'on lui apporte ombre
et salamandre
de temps
je suis entré
et me tiens à l'office où
devant un café
on peut entendre tout ce
qui se passe en
haut.
J'ai dit voilà
C'est moi
J'ai payé cher
Pour dire cela
Parmi vous
Les autres ont dit
Nous aussi
Alors j'ai dit
Voilà je pars
Et ils ont dit
C'est bien
C'est ce que nous
Ferons aussi
Tout ce que j'ai dit
Ils l'ont dit
Mais j'ai payé cher
Pour dire cela.
Paradoxale Anvers, conformiste mais qui sait s'amuser, prude mais qui peut se dévergonder, soudain carnavalesque (avec un masque sur son masque) ; bourgeoise mais avec un bordel pour les (bons) dieux. Survoltée ou secrète, alors que sa dissipation grivoise n'est qu'une fermentation mystique.
Du voisin hollandais, il faut bien reconnaître qu'il illustre surtout nos fractures.
Le XVI°siècle anversois vit partir les plus libres, les plus contestataires, les plus innovateurs de ses fils. Restèrent surtout les soumis, les conservateurs, les collabos de l'Eglise et du pouvoir. On en paya le prix pendant trois siècles. Depuis, malgré de nobles sursauts, on a pu avoir la pénible impression que l'histoire se répète. Un certain psittacisme politique semble encore ces jours-ci devoir singer les vilaines grimaces d'une extrême-droite nationaliste et hargneuse, intolérante et crispée sur ses positions les plus inavouables. Cela n'a jamais empêcher la résistance de s'organiser, la générosité de reprendre le dessus, ni l'ouverture d'esprit d'y travailler à l'invention d'un homme plus fraternel. D'un point à l'autre de la course du pendule, l'essentiel du chemin reste quand-mème largement au milieu. Du "fameux" bon sens flamand, de son réalisme mystique, de sa profonde laïcité marchande et intellectuelle, on peut attendre les valeurs d'hospitalité, de respect et d'ouverture.
Trop de vielles angoisses, trop de querelles anciennes boitillent sur le pavé des jours, avec un bruit de canne qui rappelle la monotone incontinence des horloges à pendule.
Chante comme ces regards qui t’aiment, malgré les mondes indifférents et la nature distraite qui enfantent au hasard ; chante car rien ne dure, pas même l’écho qui s’en va, s’éloigne et se perd dans l’orage en montagne.
Chante, toi qui, depuis le calame, cherches des pages à écrire sur le secret des trèfles à quatre feuilles et les beautés insaisissables que tu poursuis !
Chante et fais danser les marionnettes à gaine du mystère et celles qui mêlent et démêlent les fils amoureux de la passion.
Sois celui qui regarde la couronne de fleurs, posée au-dessus de la tête des fiancés du jour et de la nuit, et surtout garde dans l’arrière-bouche, juste avant la dissolution de la durée, le goût fort de l’instant unique.
La poésie nous arrache la bouche pour chanter. Le vivant est un champ qui englobe la mort jusqu’à la faire mourir et changer de nature. Tout est vivant et rien ne meurt car l’éternité de la matière nous est donnée.
Mon âme où que
Tu sois
Ne cherche plus
Écarte-toi
Et m'abandonne
Trop de morts à
La guerre
De viols par les
Hyènes
En horde rieuse
Trop de peuple
Dévasté
Trop de haine
Trop de
Gens innocents
Pillés et
Torturés à mort
Peut-être
Faudrait-il écouter d'une
Autre oreille
Celle à qui
La mort ne peut parler que
De la vie
Car personne ne sait même
La mort
S'il y a autre chose qu'elle
Le fond de l’eau est un abri,
le fond du ciel, une inquiétude.