William Butler Yeats : je suis pauvre et mes rêves sont mes seuls bien
Si je pouvais t'offrir le bleu secret du ciel,
Brodé de lumière d'or et de reflets d'argent,
Le mystérieux secret, le secret éternel,
De la vie et du jour, de la nuit et du temps,
Avec tout mon amour je le mettrais à tes pieds.
Mais moi qui suis pauvre et n'ai que mes rêves,
Sous tes pas je les ai déroulés.
Marche doucement car tu marches sur mes rêves.
O N'AIMEZ PAS TROP LONGTEMPS
Mon amour, n'aimez pas trop longtemps :
J'ai longtemps aimé, longtemps,
Et j'ai passé de mode
Comme une vielle chanson.
Pendant nos années de jeunesse
Aucun de nous n'aurait reconnu
Sa pensée de celle de l'autre,
Nous étions tellement un seul.
Mais ô, en une minute elle a changé -
O N'aimez pas trop longtemps,
Ou vous passerez de mode
Comme une vieille chanson.
Je ne veux pour flambeaux que tes yeux.
Sauve-toi, enfant de l'homme !
Fuis vers les bois et les eaux sauvages,
La main dans celle d'une fée,
Car le monde est plus empli de pleurs
Que tu ne peux l'imaginer.
La Chanson du Voyageur Aengus
J'allai jusqu'au bois de noisetier
Poussé par un feu dans mon coeur
Je taillai une ligne de noisetier
Et pendis une baie à mon fil
Et quand les phalènes reprirent leur vol
Et les étoiles filantes leurs sauts
Je plongeai la baie dans le torrent
Jusqu'à y prendre une truite d'argent
Quand je l'eus posée là par terre
J'allai pour remettre le feu en flammes
Mais quelque chose bruissait là par terre
Et quelqu'un appela mon nom :
Ce fut soudain une pétillante fille
Des fleurs de pommier aux cheveux
Qui appela mon nom puis s'en fut
Disparut dans les brumes de l'aube
Or bien que vieilli de voyages
Par basses terres et hautes terres
Je trouverai où elle se cache
J'aurai ses lèvres prendrai ses mains
Et j'irai le long des longues herbes mures
Cueillant jusqu'au bout du temps et des temps
Les pommes d'argent de la lune
Les pommes dorées du soleil
L'intellect de l'homme est forcé de choisir: ou la perfection de la vie, ou la perfection du travail.
QUAND TU SERAS BIEN VIEILLE...
Quand tu seras bien vieille et grise, dodelinant
Aux portes du sommeil près du feu : prends ce livre
Et lis sans te hâter, et rêve à la douceur
Qu'eurent tes yeux jadis, dans leurs ombres lourdes.
Combien aimaient alors ta grâce joyeuse,
Qu'ils aimaient ta beauté, de feint ou vrai amour ?
Mais un seul homme aima en toi l'âme viatrice
Et aima les chagrins du visage qui change,
Penche-toi donc sur la grille embrasée
Et dis-toi, un peu triste, à voix basse : « Amour,
Tu as donc fui, tu a erré sans fin sur la montagne,
Tu t'es caché dans l'innombrable étoile. »
Viens, enfant des hommes, viens!
Vers le lac et vers la lande
En tenant la main d'une fée,
car il y a plus de larmes au monde que tu ne peux le comprendre.
Quand un homme viellit, sa joie
Se fait chaque jour plus profonde
Soncoeur vide déborde enfin
mais il lui faut bien cette force
Puisque le nuit qui s'accroit
Ouvre au mystère, à l'effroi
Marchez doucement car vous marchez sur mes rêves.