Le mal n’est jamais spectaculaire. Il a toujours forme humaine, il partage notre lit et mange à notre table.
“Par un jour de la mi-décembre,
en faisant frire des saucisses
pour moi seul, tout à coup
je sentis sous mes doigts
trente ans plus jeunes le volant
d’une automobile,
sur ma joue le vent brûlant
de midi au mois d’août,
ayant auprès de moi pour passager
toi, comme tu étais alors.
A travers les champs de légumes
d’une plaine alluviale
nous foncions dans des nuages de poussière blanche
et des oies s’enfuyaient en poussant des cris
lorsque nous les manquions d’un fil,
nous filions en ligne droite
vers les montagnes s’élevant
progressivement à l’est,
joyeusement sûrs que la nuit
allait apporter de la joie.
Elle le fit. Dans une cuisine dallée
on nous a servi de la truite au gril
et un fromage rance; quelques temps
nous avons causé près du feu,
puis, portant des bougies, grimpé
des marches raides. On fit l’amour
séance tenante, heureux et apaisés,
nous nous sommes endormis vite
au bruit d’une rivière
clapotant dans une gorge.”
If I Could Tell You
Time will say nothing but I told you so,
Time only knows the price we have to pay;
If I could tell you I would let you know.
If we should weep when clowns put on their show,
If we should stumble when musicians play,
Time will say nothing but I told you so.
There are no fortunes to be told, although,
Because I love you more than I can say,
If I could tell you I would let you know.
The winds must come from somewhere when they blow,
There must be reasons why the leaves decay;
Time will say nothing but I told you so.
Perhaps the roses really want to grow,
The vision seriously intends to stay;
If I could tell you I would let you know.
Suppose all the lions get up and go,
And all the brooks and soldiers run away;
Will Time say nothing but I told you so?
If I could tell you I would let you know.
W. H. Auden
Soyez bons, et vous serez heureux. Voilà une dangereuse inversion. Soyez heureux et vous serez bons, voilà ce qui est vrai. Les hommes parlent souvent de leur droit au bonheur. En fait, c'est leur seul devoir.
En lisant tous les poèmes de Saint-John Perse, l'on s'aperçoit aussitôt que chacun est, pour ainsi dire, la fraction d'une seule grande oeuvre. C'est l'un de ces heureux poètes qui, tout à la fois, ont trouvé très vite leur vision générale du monde et les moyens linguistiques propres à l'exprimer.
The New York Times
Book Review
27 juillet 1958
SEXTE
Pas besoin de voir ce que fait quelqu’un
pour savoir si telle est sa vocation.
il suffit de regarder ses yeux :
un cuisinier tournant sa sauce, un chirurgien
pratiquant une incision primaire,
un commis complétant un connaissement,
ont la même expression béate.
Ils s’oublient dans une fonction.
Combien il est magnifique,
cet air de l’œil-sur-l’objet.
Pour oublier les déesses apéritives,
déserter les autels terribles
de Rhéa, Aphrodite, Deméter, Diane,
pour prier à leur place Saint Phocas,
Sainte Barbara, San Saturnino,
ou quelque patron que ce soit,
qu’on soit digne de leur mystère,
quel pas prodigieux il a fallu franchir.
Il devrait y avoir des monuments, des odes
aux héros anonymes qui l’ont fait les premiers,
au premier tailleur de silex
qui oublia son dîner,
au premier collectionneur de coquillages
à demeurer célibataire.
Sans eux, où serions-nous ?
Encore sauvages, pas dressés, encore
errant à travers les forêts, sans avoir
une consonne à notre nom,
esclaves de Dame Espèce, dépourvus
de toute idée d’une cité,
et, ce midi, pour cette mort,
il n’y aurait pas d’exécutants.
Horae canonicae, 3, Sexte, I, pp. 150-151
Stop all the clocks, cut off the telephone,
Prevent the dog from barking with a juicy bone,
Silence the pianos and with muffled drum
Bring out the coffin, let the mourners come.
Let aeroplanes circle moaning overhead
Scribbling on the sky the message He Is Dead,
Put crepe bows round the white necks of the public doves,
Let the traffic policemen wear black cotton gloves.
He was my North, my South, my East and West,
My working week and my Sunday rest,
My noon, my midnight, my talk, my song;
I thought that love would last for ever: I was wrong.
The stars are not wanted now: put out every one;
Pack up the moon and dismantle the sun;
Pour away the ocean and sweep up the wood.
For nothing now can ever come to any good.
(Funeral Blues)
Un soir que j’étais sorti…
[…]
« L’amour ne connaît pas de fin.
Je t’aimerai, chère, je t’aimerai
Jusqu’à ce que l’Afrique rejoigne la Chine, Que le fleuve bondisse par-dessus la montagne
Et que les saumons chantent dans la rue,
Je t’aimerai jusqu’à ce que la mer
Repliée soit mise à sécher,
Et qu’au ciel les Pléiades tournent
Avec des clameurs d’oies sauvages.
Les années courront comme des lapins,
Car entre mes bras je serre
La Fleur de tous les Âges
Et le premier amour du monde. »
[…]
P. 42, extrait.
« C’était mon Nord, mon Sud,
mon Est et Ouest ,
Mon travail, mon repos,
Mon midi, mon minuit ,
ma parole, mon chant;
Je pensais que l’amour durait
pour toujours : j’avais tort.
On ne veut plus d’étoiles
désormais ; éteins - les - toutes;
Emballe la lune et démonte
le soleil ,
Vide l’océan et balaie les bois;
Car rien maintenant ne vaut
plus la peine » ....
Pose ta tête endormie, mon amour,
Tendre, sur mon bras infidèle;
Le temps et les fièvres consument
La beauté tout individuelle
Des enfants rêveurs, et la tombe
Prouve que l'enfant est fragile:
Mais, dans mes bras, jusqu'à l'aurore,
Que repose la créature
Vivante, mortelle, coupable,
Mais, pour moi, belle entièrement.
(Extrait de "Berceuse")