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Citation de Charybde2


Ta génération n’avait plus d’ennemi. Libérée du poids des crimes, des servitudes morales, chevillée désormais à une mémoire antiquaire, elle pouvait s’adonner à des jeux plus frivoles ; ni tragique, ni lyrique, comme celle de ses pères, mais assignée à un temps devenu homogène à lui-même, paisiblement nichée dans un quotidien transmué en divertissement, elle se livrait donc à l’insouciance d’un perpétuel présent ; il paraissait que l’Histoire touchait à son terme (les grands esprits disaient « à son achèvement ») – et le passé n’avait plus barre sur elle. Mais, comme un fauve assoupi brusquement réveillé par la faim, l’Histoire se rappelait à toi et à tes contemporains ; et l’Histoire s’écrit toujours du côté des vainqueurs, de manière réglementaire, officielle, carnassière. Toute ta conscience se cristallisait dans ce morceau de temps disjoint, comme les bobines d’un vieux film qui bégayaient : les bourreaux piochaient dans le passé l’alibi immuable de leur fureur, l’identification de leur ennemi héréditaire, celui qu’ils vouaient à la suppression, à la destruction ; il fallait – et c’était leur but final, chose que tu avais mis longtemps à comprendre – abolir la lumière de son ciel.
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