Ce voyage fut tranquille, il ne s’est quasiment jamais rien passé. Mais n'est-ce pas justement ce qui est si bon ? La route, une routine. Soupir du bienheureux, épanoui.
Les Carpates, Roumanie
Le compteur tique sur trois mille kilomètres. Je fête l'événement par un arrêt au frein à main sur le bas-côté. Telles les volutes qui s'échappent de ma tasse de thé, mes pensées s'évadent vers les collines drapées de nuages. Elles sont belles. Plantureuses. C'est comme si elles invitaient le marcheur à s’engouffrer en elles pour savourer leur douceur. Je n'en ferai rien. J'honore leurs charmes d'un salut de chapeau. La brume se transforme en pluie. Échanges de regard avec une cigogne logée sur un poteau électrique. La portière claque. Le moteur gronde. La vie est une fête.
Tout sourire, des cafés en main, il m’en propose un. J'accepte avec grand plaisir. Et voilà que son sourire s'élargit, il s'engouffre à l'arrière de sa voiture et me tend un gilet noir en coton que j'y oubliais l'année passée ainsi qu'une bouteille en plastique d'un litre cinq.
— Mon gilet ! Merci d'y avoir pensé ! ...c'est de la palinca, hein ? dis-je, des étoiles dans les yeux.
— Tu sais comment savoir si elle est bonne ? Tu l'agites, ça fait des bulles. Si elles restent, c'en est une bonne, répond-il, joignant la parole au geste avec malice.
— Merci mille fois, Alex ! dis-je en le serrant dans mes bras.
Gonflé à bloc d'énergie positive, je m'engage pimpant d'un coup de klaxon dans la grande ville qui gronde. Ce klaxon, mon kiai, mon cri de combat japonais. Je pense au cri de Yūichirō Miura, alpiniste japonais, juste avant qu’il s’élance du sommet de l’Everest en ski il y a près de cinquante ans. Ma descente de la colline au milieu des HLMs est loin d’être aussi périlleuse que la sienne ; mon point d'extraction est en vue au loin : la route européenne, l'E60.
— Et si on achetait du vin et qu'on écrivait des poèmes ?
— C'est très Français tout ça, répond Ovidiu, laconique.
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