Bien que Milos n’ait jamais été particulièrement attiré par les garçons – en tout cas pas autant que par les filles et les femmes§! –, il n’avait jamais non plus été agacé par les homosexuels, même les plus efféminés, ceux qui adoptaient des comportements plus féminins que les plus féminines des femmes. Il les trouvait même fascinants.
L'imagination de Milos se mit a galoper. Que pouvait bien lui vouloir cet homme mystérieux. S'agissait -il d'un percepteur venu lui casser les jambes parce qu'il devait de l'argent a quelqu'un. Pourtant, Milos n'avait jamais fait affaire avec un prêteur sur gages louche...
— Ils arrivent dans trois jours§! Il y a beaucoup à faire§!
Oleana Popescu avait lancé ces mots comme s’il s’agissait du plus bel aria de la Callas. Son ton n’avait rien de l’ordre donné cavalièrement aux subalternes. Non. La plantureuse domestique n’était pas du genre à mener les autres employés du château par le bout du nez. Après tout, le comte les avait tous terrorisés pendant des décennies et elle souhaitait faire oublier son règne despotique. Elle voulait aussi s’assurer que tout était parfait pour l’arrivée des nouveaux propriétaires, même si elle savait bien que les employés de la maison avaient aussi hâte qu’elle et souhaitaient faire bonne impression.
Quand maître Harker lui avait annoncé qu’il entreprenait les démarches pour faire amener au château les héritiers du comte, après des mois de chichis juridiques compliqués et tordus, madame Popescu s’était empressée d’embaucher des peintres et des ouvriers pour égayer et réparer cette sinistre maison qui avait été synonyme de désolation, d’horreur, de terreur et de mort depuis la nuit des temps. Elle avait eu beaucoup de difficulté à trouver des journaliers qui accepteraient de franchir la porte du château du célèbre comte Dracula, mais la promesse d’une petite fortune avait finalement réussi à convaincre quelques travailleurs plus téméraires et vaillants. Heureusement que maître Harker avait approuvé un budget quasi illimité pour toutes ces dépenses§!
En se regardant dans le miroir, il se dit en toute modestie qu’il ferait un bon Rocky et que Barry avait fait un bon choix. Après tout, Milos était grand, il avait les cheveux blond cendré d’un surfeur californien, très peu de poils gênants – et ceux qu’il avait étaient aussi discrets que les plus pâles de ses cheveux. De plus, ses petits muscles étaient assez bombés et découpés pour un gars qui avait tendance à être trop maigre… Et – ce n’est pas lui qui le disait, fort heureusement – il possédait un charisme, un charme, un magnétisme et une énergie qui le rendaient souvent irrésistible. Du haut de ses dix-sept ans, il avait encore la vigueur et l’insouciance de l’adolescence, mais pouvait facilement passer pour la jeune vingtaine lorsque ça lui servait.
Morneau était heureux comme un poisson dans l’eau depuis quelques semaines parce qu’il avait recommencé à cuisiner comme jadis, à l’époque où le maître entretenait de bonnes relations avec les grands de ce monde et organisait des réceptions grandioses qui auraient fait l’envie des ambassades des pays les plus riches de la planète.
Avec l’arrivée imminente des héritiers du comte, madame Popescu lui avait donné carte blanche et demandé de cuisiner sans compter. Il fallait impressionner les nouveaux propriétaires, et le maître queux n’en était que plus heureux de mettre à profit ses talents.
On disait d’eux qu’ils étaient des adolescents chaleureux, des êtres bons, gentils, généreux. Madame Popescu, comme une mère qui attend ses enfants prodigues, anticipait avec bonheur le moment où ils franchiraient le seuil de ces immenses portes de bois à deux battants et insuffleraient une belle vivacité, une nouvelle vie en ces vieux murs autrefois si ternes et si tristes.
Sarah sourit timidement, heureuse elle aussi d'entendre la voix de sa mère adoptive au téléphone, mais troubler par le regard intimidant de son père biologique, alias Victor Sarrazin.