
Le niveau élevé de la fraude, fiscale et sociale, dans notre pays, qui contraste avec la vertu des Scandinaves, pourtant bien taxés, eux aussi, s’explique de cette manière.
Or leurs Etats-providences sont universalistes et transparents, alors que le nôtre est corporatiste et étatisé .
Corporatiste, parce que les droits sociaux y dépendent du statut ou de la profession exercée. Ce qui tend à segmenter les relations sociales et à isoler les groupes socio-professionnels, en les montant les uns contre les autres. Etatiste, dans la mesure où l’arbitrage de l’Etat est réclamé en permanence par des acteurs sociaux incapables de s’entendre entre eux.
La volonté originelle de concevoir un système universaliste, dans lequel tout le monde bénéficie des droits sociaux, a achoppé sur les revendications corporatistes qui ont fait perdurer des régimes de sécurité sociale spécifiques : cadres, fonctionnaires, artisans et commerçants, professions libérales, sans parler des multiples régimes spéciaux des grandes entreprises publiques ou de professions particulières (parlementaires, mineurs, clercs de notaire, marins, militaires, etc.).
Cela a installé un système opaque et inéquitable. Bien que les dépenses sociales soient très élevées en France, elles sont mal réparties. Les inégalités attisent les jalousies et les dérogations multiples érodent la cohésion sociale. Pendant les "trente glorieuses", la croissance a masqué ces défauts, mais ils sont vite devenus criants.
Parce que notre syndicalisme s'est affaibli, avec des centrales arc-boutées sur leurs privilèges liés à la gestion paritaire, l'Etat est venu pallier le manque de dialogue social. Mais cet interventionnisme a encore affaibli les syndicats et la concertation. En créant de nombreuses barrières réglementaires à la concurrence pour protéger tel secteur ou telle profession, il a contribué à renforcer l'opacité du fonctionnement de l'économie. Bref, le corporatisme, doublé d'un Etat très dirigiste, constitue un cocktail particulièrement nocif, à l'origine d'un véritable cercle vicieux.
Ce système opaque, très complexe et inégalitaire, incite chacun à tirer la couverture à soi. Repliés sur eux-mêmes, les Français portent un regard particulièrement critique sur la société dans laquelle ils vivent : plus de la moitié pense que nul ne peut atteindre le sommet sans être corrompu, tandis que ce chiffre est de 13 % en Norvège et de 22 % aux Etats-Unis. Cette attitude a des conséquences néfastes : selon plusieurs études, la défiance et l'incivisme freinent significativement la croissance.
Rétablir cette confiance nécessite un changement de cap pour corriger la dérive corporatiste et dirigiste du modèle social français. Les réformes doivent donc favoriser la limitation des situations particulières et dérogatoires, promouvoir le dialogue social et instituer une véritable mutualisation des risques liés au fonctionnement d'une économie moderne.

La France est engagée dans un cercle vicieux dont les coûts économiques et sociaux sont considérables. Depuis plus de vingt ans, des enquêtes menées dans tous les pays développés révèlent qu’ici plus qu’ailleurs, on se méfie de ses concitoyens, des pouvoirs publics et du marché. Cette défiance allant de pair avec un incivisme plus fréquent.
Or la défiance et l’incivisme, loin d’être des traits culturels immuables, sont alimentés par le corporatisme et l’étatisme du modèle social français. En retour, le manque de confiance des Français entrave leurs capacités de coopération, ce qui conduit l’État à tout règlementer et à vider de son contenu le dialogue social.
En comparant les relations entre les performances économiques et les attitudes sociales dans une trentaine de pays du début des années 1950 à nos jours, Yann Algan et Pierre Cahuc montrent comment ce déficit de confiance réduit significativement l’emploi, la croissance et, surtout, l’aptitude des Français au bonheur.
Le World Values Survey, une des plus vastes enquêtes internationales d'opinion, indique que seuls 21 % des Français déclarent faire confiance aux autres. Cette proportion atteint plus de 60 % dans les pays scandinaves. Sur les 26 pays les plus riches de la planète, la France se trouve en 24e position, devant le Portugal et la Turquie. Les Français se méfient, plus que les autres, de la justice, du Parlement, des syndicats, de la concurrence et du marché.
L'incivisme résulte de cette méfiance : seuls 39 % des Français déclarent qu'il n'est jamais justifié de demander indûment des aides publiques contre 87 % des Danois et plus de 70 % des Britanniques.
Explication : dans une société où chacun soupçonne son voisin de tirer avantage du système, chercher à en faire autant n’apparaît pas comme fautif.
[Au sujet de La France insoumise et du Rassemblement national] Nous n’employons pas les termes extrême gauche et extrême droite, mais gauche radicale et droite populiste. [ ]
Intervieweur de l’express : Vous tordez le cou au cliché qui voudrait que le sentiment de peur nourrisse le vote populiste.
Réponse de Martial Foucault : [ ] La peur incite à la prudence, à protéger sa situation. La colère débouche sur un geste plus radical : s’abstenir ou voter pour des forces politiques qui proposent de renverser la table. Dans le cas de l’élection de 2017, nous montrons que plus les électeurs sont en colère, plus ils votent pour Le Pen. Plus les électeurs ont peur, plus ils votent pour Fillon, dont le conservatisme politique assure le statu quo. (source : l’express 28/08/2019)
Cette poussée des forces anti-système s’est déversée sur deux flancs totalement distincts du spectre politique : la gauche radicale et la droite populiste.