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Citation de jperceval


— Tout le monde, en fin de compte (commença mon père), y va de sa petite création. Les écrivains font des livres, les parents font des enfants. Faut que ça crée. Que ça turbine. Le marché de l’être humain est saturé, ceux de la littérature, de la musique, du cinéma, de la peinture, de la photo, tout autant, tout idem, tout pareil, tout jumeau : excès d’offre, surabondance de créativité. Les gens sont des vaches laitières. Ils ne peuvent pas s’empêcher de s’exprimer. De donner libre cours à leur « petite veine artistique ». Surproduction de nature, surproduction de culture ! On n’a pas le temps de lire : alors on écrit. On gratte. Tout le monde, partout, tout le temps, et que je te griffonne ! Et que je te ponds ! Perpétuelle obèse fabrication d’oeuvres, infatuation du « faire » : nul n’écoute nul, personne ne lit personne. Il y a plus de livres que d’arbres ! Plus de pages dans ces livres que de feuilles sur les branches de ces arbres ! Plus d’enfants que de parents. Aliénation par les tonnes. Par les tomes ! Les quantités tuent. Nous croulons sous les subjectivités, nous crevons sous le très pesant poids des personnalités, des particularités, des individualités, des spécialités, des unicités. C’est la dictature des différences. Déversements d’univers. Ceux qui sont « à part » sont devenus mille fois, un million de fois plus nombreux que les autres, les gens normaux, les banals, les qui ne créent pas. Le monde chie de l’exception à tout-va. Milliards de génies décrétés, de compositions essentielles, de tableaux fabuleux, de refrains divins, d’inouïs chapitres, de sculptures célestes. Pour quoi faire ? Personne ne s’arrête dix secondes pour se poser la question. Non : ça défèque ses génialités partout. Pour qui ? Mystère et boule de gomme. Créations sans public, errant dans les espaces vides, dérivant dans les cosmos inhabités, flottant sur toutes les indifférences, chefs-d’oeuvre sans chefs, disséminés sur le globe, multipliés par les artistes pullulants, fresques et sagas, sonates et films, pièces et fables, nouvelles, chansons, poèmes, solos, collages pour personne. Inédite fusion de la quantité et de la qualité. Grouillance des petites musiques, prolifération des voix. Individualité de masse ! Je te foutrais tout ce joli monde dans des trains, moi. Direction la Pologne. Tu verrais le voyage !
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