Citations de Yann Queffélec (605)
On s’en sort à la longue, on se débrouille pour trouver à la vie des bons côtés qu’elle n’a pas.
Chapitre IX
Il pleurait le souvenir d'une femme qui l'avait torturé de son vivant, le torturait par son absence, et dont la résurrection ne l'aurait pas rendu plus heureux. Mariage d'amour, mariage de haine, mariage de mort, et deux enfants que pour sa part il eût volontiers noyées dans les eaux du lac, et surtout la dernière : ce nourrisson braillard avec sa cicatrice au visage qui lui faisait honte et peur, comme s'il avait raturé lui-même au poignard cette chair dont il doutait qu'elle fût son sang.
- J'ai froid.
- T'as qu'à foutre un slip.
L'innocence est d'ailleurs un don que les gens soi-disant normaux n'auraient pas tort d'envier.
Odilon était le chef clandestin des enfants qu'il vouvoyait ostensiblement par condescendance. Il devait à sa taille infime l'arrogance d'un tribun.
Il lui serra longuement la main. C'est fou tout ce qu'on peut voler dans la main d'une femme en catimini.
"Evidemment, avec tes oreilles décollées..."
Ludo se renfrogna. Ses oreilles le torturaient. Depuis qu'il disposait de vrais miroirs, il passait des heures à détailler ce visage à la fois beau, grotesque, et parcouru d'expressions contraires aux humeurs qu'il éprouvait; dans la cour il veillait à présenter son profil aux filles, affectant constamment d'être attiré par des incidents latéraux.
Ludo compta qu'il était au Centre Saint-Paul depuis dix mois. près d'un an. sa mère n'était jamis venue le voir, il n'était jamais sorti, Tatav ne l'aimait pas, Micho agitait les promesses d'un retour aux Buissonnets dont on le payait avec du vent. Alors il fut envahi physiquement par la nostalgie : il revécut les odeurs du soir au grenier, les nuits d'affût contre la porte maternelle, les après-midi à la mer, les petits déjeuners, les avanies, bons et mauvais souvenirs arrivant égaux et dorés jusqu'à lui, et le ressentiment qu'il éprouvait rejaillit sur les enfants.
Il se demandait parfois si les mers ne provenaient pas du désespoir lacrymal des civilisations suicidées. Et combien de suicides encore il faudrait pour que la mer engloutisse la planète humaine, et qu'on n'en parle plus.
« Il était né dans la peur, il vivait avec elle. Plus il chocottait plus il haïssait »
Il ne se rendait plus compte de rien, il était barré dans un vocabulaire de malade, il voulait qu’elle plie, la faire souffrir, il l’aimait.
Chapitre IV
(A propos d’une dissertation ayant pour sujet une citation de Fontenelle)
Les mots volettent, ils effleurent la face interne des paupières, et c’est là qu’ils se font capturer comme dans la fable, et surtout comme des imbéciles. On leur coupe les ailes, on leur passe un fil d’encre autour du cou et on les fait trottiner sur le papier blanc. Le devoir est fini, Fontenelle peut aller se rhabiller.
"Inquiété à la Libération, écroué, il était ressorti du tribunal après deux mois d'instruction - avec une médaille de résistant, s'il vous plaît.
Et l'on ose dire que la vérité n'existe pas !"
Ils avaient tout avalé : Mozart, les pingouins, la purée du dîner, les cachets blancs du sommeil, les coups de sifflet, les milliers d'instants qu'il faut passer pour ne rien vivre et de pas qu'il faut sacrifier pour aller nulle part, ils allaient s'endormir ignorants du sommeil.
A qui parler ? Aux amis bien sûr, les amis sont là pour écouter les amis, les réconforter. Mais l'inconvénient des amis c'est qu'ils s'en trouve toujours un pour décocher sa petite flèche de velours, et on ne sait jamais lequel à l'avance. Alors on ne dit rien aux amis.
Ecrivain est un mot trop grand pour moi. (...)
Ecrivain est un mot géant pour géants. J'essaie de le rapetisser. Je ruse avec le bon Dieu qu'il faut vouvoyer dans ses prières au début des années soixante: faites de moi un poète, un grand poète maudit...(p. 132)
Un soir que Tita nouveau-né s'égosillait dans son berceau d'épouvante et de faim,Vladimir ivre mort et supplié par Zénia qui sanglotait se crut drôle en substituant au sein maternel son mouchoir imbibé de schnaps,puis se recoucha satisfait de ne plus entendre les cris.Et de ce jour le bébé ne dessaoula plus.
Tu écrivais ce qui serait ton dernier livre, la dernière fois qu’on s’est croisé à Brest. […]. Un récit personnel sur la difficulté d’être marin chez les marins, quand on est une femme et qu’on ose gagner contre les garçons. Tu ne rigolais pas du tout, ce soir-là. Les hommes en faisaient trop, disais-tu. Ils voulaient se garder la mer pour eux, l’horizon, les trophées, continuer à ricaner quand les chialeuses grimpaient au mât.
"Guerre" était un mot innocent, pour Maud, en 194... Il avait les yeux éteints du masque à gaz noyé dans le fourbi du grenier. Quand il la réveillait, la nuit, il ouvrait ses grands yeux éteints. Elle n'arrivait pas à capter son attention, à voir ce qu'il manigançait. Un mot aveugle, sourd , et muet. Elle écoutait l'obscurité silencieuse en vain, et se rendormait. Le pistolet de Toï n'existait pas, le maquis n'existait pas,la guerre n'existait pas et ce n'était pas d'une rafale antiaérienne à bout portant qu'était mort l'espion anglais aux snowboots.
La mer est une histoire de coeurs purs et d'amitiés tragiques entre les hommes et les femmes qui vont sur l'eau. Ils sombrent, on leur porte secours. Ils périssent, on se résigne à la vérité vraie. On ne commence pas à finasser en tablant sur le fatalisme courant pour arrondir les angles et sur le temps pour oublier.
Oublier Yves, Pascal, Eric Patrick, Georges...
Oublier qu'il n'y avait aucune aspérité sur les fonds sablonneux où le chalut du Bugaled tamisait l'océan ce jour-là. 15/ 01/04. oublier que la croche n'est pas l'explication raisonnable d'un tel accident.