« Passé décomposé » est le quatrième roman de Yannick Letty.
Paru en 2006 aux Éditions Terre de Brume (éditeur spécialisé dans la littérature de l'imaginaire, et plus précisément dans ce qui a trait à la Bretagne), dans la collection Granit Noir (collection dédiée à la littérature policière), ce roman policier régionaliste met en scène - sur fond de ville de Brest - deux histoires distinctes : l'histoire personnelle de Margot (de son vrai nom, Marguerite Coadou), une bretonne qui s'interroge sur la malédiction familiale qui frappe de folie sa grand-mère et sa mère, et l'histoire d'un brestois (non, je ne vous donnerai pas son nom) qui séquestre des femmes et les tue, meurtrier que la police brestoise traque sans merci au fil d'une enquête policière dont l'intrigue est complexe à souhait.
Brest est au cœur de ces deux histoires qui mêlent le passé et le présent. Car Brest est la ville natale de Yannick Letty. Une ville meurtrie par les bombardements de 1944, une ville enfouie sous vingt mètres de décombres, une ville enfouie dans les mémoires. Élevé par ses grands-parents qui racontaient sans fin, comme un leitmotiv, ce qui s'était effectivement passé à Brest et dans la région, avant et pendant la Libération, Yannick Letty « vide son sac ». Traumatisé par les horreurs de cette tranche d'histoire qu'il n'a pas réellement vécue, il fait revivre pour nous, avec force et sensibilité, la ville de Brest, ses habitants, ses coutumes, son architecture stalinienne et gigantesque, ses ouvriers, son charbon, sa noirceur, ses grues, ses quartiers mal famés, son port avec les allées et venues des bateaux, les traces de balles et d'obus sur les façades. Par esprit de contradiction, ne cédant pas à la facilité d'écrire un roman policier dont l'action se situerait dans une grande et belle ville du monde, fuyant la littérature policière en vente dans les gares, Yannick Letty recompose pour nous un passé qui nous échappe. Mêlant astucieusement personnages de fiction et célébrités (comme le général Ramke), il nous dresse, dans sa quête des origines, un portrait singulier d'une ville sans panache, d'une ville qu'il aime à un point inimaginable, remontant le fil ténu de la mémoire, progressant de ruines en ruines, de souvenirs en souvenirs.
Yannick Letty prétend écrire des contes pour adultes. Il a toujours écrit, puis il a inventé des textes : « c'était ma récréation, autour du suspense ». Yannick Letty avait déjà écrit un premier roman policier régionaliste avec « Empreinte de sang » : encouragé par son éditeur et par quelques amis, il tente à nouveau l'aventure, partant d'une situation de départ et sachant vaguement où il veut aller. Ce qui intéresse Yannick Letty, « c'est d'errer dans l'imagination, l'écriture servant de fil d'Ariane », portant le lecteur à la découverte de nouvelles situations. Pour Yannick Letty, la culture bretonne n'est pas une sous-culture mais une culture qui nécessite du temps pour être approchée : l'intrigue avance donc lentement, au rythme des marées, des brumes et des souvenirs qui remontent à la surface. Yannick Letty se documente beaucoup avant d'écrire ses romans, car il les souhaite très référencés, livrant ainsi à ses lecteurs une partie de cette mémoire collective qu'il affectionne.
Certains lecteurs ont boudé « Passé décomposé », considérant que l'ouvrage présentait une erreur de conception, reprochant à son auteur d'avoir voulu raconter deux histoires, l'une centrée sur le passé et l'autre centrée sur un présent glauque, peu utile, assez peu crédible (?), voire gênant (?). D'autres ont apprécié cette mosaïque, ce puzzle, ce passé qui se recompose par petites touches, sans prétention, sans relief excessif, en toute simplicité.
« Plus proche des femmes que des hommes (trop forts, moins subtils) », Yannick Letty nous plonge avec ses héroïnes (Margot, un peu idéalisée, et Klervi, son double antagoniste) – des femmes dont il maitrise le caractère (« ce qui est plus commode pour l'écriture ») - dans un retour sur soi, dans un retour sur la mémoire : sans précipitation, tout en contemplation, loin de toute modernité, en « vieux fossile » qu'il est, Yannick Letty nous montre son album de photographies, des photographies en noir et blanc, pas très gaies (jetez un œil à la page de couverture) et un peu inquiétantes.
« Passé décomposé » est un livre plaisant. Malgré une écriture simple, un rythme lent et une double histoire d'un intérêt qui pourra prêter à discussion, l'ouvrage présente nombre de points forts : un suspense réel, ce qui n'est pas rien pour un roman policier (je vous défie de trouver le meurtrier avant les quarante dernières pages), une originalité indéniable (sauf si vous êtes brestois et féru d'histoire) et des personnages haut en couleurs.
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On trouve de tout dans un port, c'est connu...
même des cadavres.
Mais celui que découvre la police de Brest a de quoi intriguer.
Affreusement mutilé, il est terriblement difficile à identifier et les causes exactes de sa mort restent bien obscures...
Pourtant Marguerite Coadou, en pleine reconversion dans la librairie après avoir quitté la police, n'a pas l'intention de se laisser entraîner sur la piste de l'assassin : Le Borgne et Le Goff, ses anciens collègues, seront bien assez grands pour s'en sortir tout seuls...
d'autant qu'en creusant les sources d'une vieille complainte bretonne, Margot s'est déjà lancée sur les traces du meurtrier d'une jeune servante martyrisée dans une église...
deux ou trois siècles auparavant.
Mais bientôt, le passé et le présent se rejoignent dans un terrible tourbillon et Marguerite est entraînée dans deux extraordinaires enquêtes, plus dangereuses l'une que l'autre.
Fouiller la mémoire d'un peuple s'avère quelquefois mortel...
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