Nous serions embarqués dans une expérience inédite dans l'histoire : transformer une démocratie mono-ethnique et monoculturelle en société multiethnique, en Allemagne (pays d'origine de l'auteur), mais aussi ailleurs. Partout dans le monde, il s'agirait de former des démocraties multiethniques très diverses. Une grande expérience sans volonté délibérée et sans consensus sur les règles ou les institutions souhaitées.
Beaucoup douteront de la possibilité de créer "une société dans laquelle nous ne sommes pas définis par notre peau, par notre appartenance religieuse" nous dit le politologue Yascha Mounk. En effet "il y a un pessimisme de droite ou de droite extrême [...] mais en même temps un pessimisme de la part des gens en principe favorables à la grande expérience .
S'il admet des raisons de douter, Yascha Mounk prône tout de même l'optimisme. Articulant une vision positive et réaliste des moyens pour que la grande expérience réussisse, il montre que les démocraties ont diversifié leur population en dépit des progrès qui restent à faire.
Olivia Gesbert invite à sa table le politologue Yascha Mounk, auteur de "La grande expérience. Les démocraties à l'épreuve de la diversité".
#multiculturalisme #démocratie
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L'élection de Donald Trump à la Maison Blanche a été la manifestation la plus évidente de la crise de la démocratie. On ne saurait assez insister sur l'importance de son ascension. Pour la première fois de mémoire d'homme, la plus ancienne et puissante démocratie du monde a élu un président qui n'hésite pas à exprimer publiquement son dédain pour les principes constitutionnels les plus élémentaires - quelqu'un qui s'est refusé à déclarer qu'il accepterait le résultat des élections ; qui a appelé à l'emprisonnement de ses opposants politiques principaux ; et qui n'a cessé d'accorder sa préférence aux adversaires autoritaires du pays plutôt qu'à ses alliés démocratiques.
La tension entre deux groupes issus d’ancêtres différents ou vénérant un dieu différent fait historiquement partie des causes principales de conflit, d’effondrement et de guerre civile. C’est le premier danger que doivent affronter les sociétés multiethniques ou multiconfessionnelles.
L'histoire de la désillusion des citoyens à l'égard de la politique est ancienne ; elle a désormais pris une forme inquiète, frustrée, méprisante même. Le système des partis avait l'air figé ; aujourd'hui, les populismes autoritaires ont le vent en poupe tout autour du monde, de l'Amérique à l'Europe, de l'Asie à l'§Australie. Les électeurs ont toujours exprimé leur dégoût à l'égard de certains partis, hommes politiques ou gouvernements ; à présent, la plupart d'enter eux sont lassés de la démocratie libérale elle-même.
L'origine de la perte de pouvoir du peuple, prétendent-ils se situe dans la thésaurisation opérée par les élites politiques et financières. Les grandes entreprises et les superriches sont ceux qui ont insisté pour que les banques centrales indépendantes et les traités commerciaux avantageux constituent des aubaines pour les monde des affaires. Les politiciens, les universitaires et les journalistes préfèrent un mode technocratique de gouvernance, car celui-ci protège leurs décisions de la volonté populaire. Et tout cet égoïsme se dissimule derrière un paravent de l'idéologie néolibérale propagée par des think tanks et des départements d'universités eux-mêmes financés par de riches mécènes.
Les gens ordinaires ont depuis longtemps l'impression que les politiciens ne les écoutent plus au moment de prendre leur décision. Ils sont sceptiques pour une raison : cela fait longtemps que les riches et les puissants possèdent un degré inquiétant d'influence sur les politiques publiques. Le jeu de chaises musicales entre le monde des lobbies et celui du Parlement, le rôle démesuré joué par les donations privées dans le financement des campagnes, les honoraires de conférencier payés aux anciens hommes d’État, et les liens étroits entre la politique et l'industrie ont délogé le peuple de la prise de décision en matière de politiques publiques.
Il est impossible de nier que nous traversons un moment populiste. La question, dès lors, est de déterminer si ce moment va se transformer en époque -et remettre en cause jusqu'à la survie de la démocratie libérale. (p.9)
Dans l'atmosphère générale de dépression économique, il est tentant d'oublier que la masse totale des économies occidentales n'a cessé de croître au cours des dernières décennies. Depuis 1986, le PIB de l'Amérique a augmenté de 59 %. La valeur nette du pays a crû de 90 %. Les profits des entreprises ont bondi de 283 %.
Mais ces nombres agrégés masquent la répartition des gains. Seulement 1 % de l'augmentation totale de richesse entre 1986 et 2012 est revenu à 90 % des ménages les plus pauvres. Tandis que 42 % allèrent au 0,1 % le plus riche.
Les démocraties multiethniques courront toujours le risque de la fragmentation. Il est impossible d'éliminer à jamais la possibilité que des politiques électorales et culturelles futures dressent une majorité contre une minorité, les traditionnellement dominants contre les historiquement exclus. (p.278)
Le type de progrès économique rapide qui fut la règle durant l'après-guette était suffisant pour conférer sa légitimité à la démocratie libérale. Ce n'est pas que les Américains aient jamais aimé leurs hommes politiques ni considéré que Washington constituât un exemple remarquable de vertu morale. Mais aussi longtemps que le système fonctionnait à leur avantage, la plupart des individus ont cru qu'en dernière instance les politiciens se rangeaient de leur côté. "Je ne suis pas certain de pouvoir faire confiance aux hommes politiques , auraient-ils dit, mais je suis deux fois plus riche que l'était mon père, et mes enfants le seront probablement deux fois plus que moi. Laissons leur le bénéfice du doute..."
En Occident, les trois dernières décennies ont été marquées par le rôle croissant joué par les tribunaux, les administrations, les banques centrales et les institutions supra nationales. Dans le même temps, on a observé l’augmentation rapide de l’influence des lobbyistes, des dépenses électorales et de l’abime séparant les élites politiques du peuple qu’elles sont supposées représenter. Tout cela ensemble, cela a conduit dans les faits à isoler le système politique de la volonté populaire.