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Citation de Andromeda06


Mon séjour à Beyrouth tire à sa fin. Ça fait trois semaines que j'attends. Je compte les heures sur mes doigts. Debout contre la fenêtre de ma chambre, je contemple la rue désertée. La pluie tambourine sur les carreaux. Sur le trottoir balayé par le vent, un clochard souffle dans ses poings pour les réchauffer. Il guette une âme charitable. Il est là depuis un bon bout de temps, et je n'ai vu personne lui glisser une pièce dans la main. Qu'espère-t-il des lendemains ? Ses guêtres sont trempées jusqu'à la trame, ses savates prennent l'eau ; la mine qu'il arbore est tout simplement grotesque. Vivre comme un chien, plus proche des chats de gouttière que de la tourbe, c'est ça l'obscénité. Cet individu n'est même pas digne de posséder une ombre, de l'associer à sa déchéance. D'ailleurs, il n'en a pas. Isolé dans sa misère tel un ver dans un fruit avarié, il oublie qu'il est mort et fini. Je n'ai aucune compassion pour lui. Je me dis que si le sort l'a rabaissé au ras du caniveau, c'est pour qu'il incarne un symbole. Lequel ? Celui qui consiste à me faire prendre conscience de l'intenable ineptie de la vie. Cet homme espère, c'est certain. Mais quoi ? Que la manne céleste jette son dévolu sur lui ? Qu'un passant s'aperçoive de son dénuement ? Qu'on le prenne en pitié ?... Imbécile ! Y a-t-il une vie après la pitié ?... Kadem n'avait pas tout à fait raison. Ce n'est pas le monde qui est tombé bien bas ; ce sont les hommes qui se complaisent dans la bassesse. C'est parce que je refuse de ressembler à ce mort vivant que je suis venu à Beyrouth. Ou vivre en homme ou mourir en martyr. Il n'y a pas d'autre alternative pour celui qui se veut libre. Je m'imagine mal dans la peau d'un vaincu. Depuis cette nuit où les soldats américains ont débarqué dans notre maison, renversant l'ordre des choses et des valeurs ancestrales, j'attends !... J'attends le moment de recouvrer mon amour-propre sans lequel on n'est que souillure. Je me considère en instance de tout et de rien. Ce que j'ai traversé, vécu, subi jusque-là ne compte pas. Il y a eu arrêt sur image, cette nuit là. La terre a cessé de tourner pour moi. Je ne suis pas au Liban, je ne suis pas dans un hôtel ; je suis dans le coma. Et il m'appartient d'y renaître ou d'y pourrir.
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