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Citations de Yassaman Montazami (25)


Jusque très tard, les goûts littéraires de mon père présidèrent au choix de mes lectures. La plupart des livres qu'il me recommandait, il les avait lus à l'adolescence, certains dans leur traduction en persan, d'autres directement en français, langue dans laquelle il avait été éduqué comme nombre d'enfants de la bourgeoisie téhéranaise. Outre qu'ils m'ouvraient autant de fenêtres sur le monde, tous étaient empreints à mes yeux du plaisir intense qu'il disait avoir éprouvé à les dévorer. Je cherchais dans leurs pages les traces du jeune garçon qu'il avait été.
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"Remarque,avait-il ajouté en souriant,les préjugés peuvent avoir du bon,parfois.Savais-tu,Samanou,que j'ai lu Madame Bovary parce que c'était Eleanor,la fille cadette de Marx,qui l'avait traduite en anglais?"
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Certaines personnes très avisées de son entourage lui avaient plutôt conseillé de les avaler, l'assurant que ses intestins les lui restitueraient sans aucun difficulté et dans leur plus parfaite intégrité, mais elle n'a pu se résoudre à mêler ces merveilles de joaillerie, que lui avait offertes son cher époux, à des déjections, fussent-elles les siennes.
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Alors, dans la foulée des noces de mes parents, Bibi se maria aussi. Elle prit le premier venu dans la masse de ses prétendants, un doux géant qui portait le nom d'un grand empereur de Perse, Darius. Elle se jeta dans le mariage comme on se lancerait dans le vide par une fenêtre. Sa chute dura le temps d'une vie. Ce fut une lente entreprise tout à la fois d'oubli et de détestation de soi, à peine distraite par la naissance de deux enfants à la constitution fragile, dont les fièvres et les maladies occupèrent opportunément ses insomnies.
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PROLOGUE

Aux premiers jours de l’été 2006, mon père quitta Téhéran pour Paris afin de faire renouveler son titre de résident en France, qui arrivait à expiration. Comme je m’étais étonnée qu’il entreprenne pareille démarche, dont l’utilité m’échappait, étant donné qu’il était retourné vivre en Iran six ans plus tôt, il m’avait répondu que ce document lui épargnerait pendant les dix années de sa validité les tracasseries administratives d’une demande de visa chaque fois qu’il voudrait nous rendre visite, à mon frère et à moi. Il se projetait dans l’avenir. Il ignorait qu’il n’en avait plus.

La veille de sa venue, alors allongée sur le divan de mon psychanalyste, je laissai tout à coup échapper une phrase incongrue, qui me surprit moi-même, comme si une autre personne l’avait prononcée : « Quelqu’un va mourir. » Un temps s’écoula, durant lequel je me demandai qui pourrait bien être appelé à disparaître, quand soudain je m’entendis articuler : « Cette personne, c’est mon père. » La séance touchant à son terme, ce fut sur ces derniers mots que je quittai mon psychanalyste. En raison des vacances, nous ne devions plus nous revoir avant plusieurs semaines.

Le lendemain, quelques heures après qu’il avait poussé la porte de chez elle, ma mère me téléphonait : « Behrouz va mal », me dit-elle. Il souffrait de douleurs abdominales atroces. Le médecin venait de lui prescrire des calmants, mais il fallait selon lui procéder à des examens plus approfondis. « Viens vite ! » ajouta ma mère.

Au moment d’appuyer sur la sonnette, je fus convaincue qu’un seul coup d’œil me suffirait à savoir si mon père allait vivre ou mourir : comme les devins de l’Antiquité dans les entrailles fumantes d’animaux ­sacrifiés, je lirais cet augure sur ses traits.

Ma mère m’ouvrit et me fit entrer sans prononcer un mot. Je la suivis jusque dans la chambre où mon père était allongé. En le voyant, je sus qu’il était condamné. La douleur avait à ce point remodelé son ­visage que j’eus du mal à le reconnaître. Je lui adressai malgré tout un bonjour désinvolte, d’une voix haut perchée, dont la légèreté feinte me fit honte. Il se redressa dans son lit et me sourit. Je m’approchai et nous nous serrâmes dans les bras l’un de l’autre. Puis, d’instinct, je déposai un baiser sur son front, comme si je lui disais déjà adieu.

Deux mois plus tard, ses cendres reposaient dans le fond d’une urne funéraire, au columbarium du Père-Lachaise.

« Mon père est mort » : tels furent mes premiers mots lorsque je retrouvai mon psychanalyste.
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Yassaman Montazami
Une chose était sûre: Shadi Khanoum n'avait jamais autant réfléchi. Elle en avait des migraines. Elle en faisait même des cauchemars.
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« Être libre de son temps lui laissait également toute latitude de donner le sien. Car mon père était d’un dévouement incommensurable. » (p. 56)
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Zâhra [qui] présentait cette singularité de n'être pas concernée par le sentiment amoureux, comme si la nature l'en avait préservée. A l'instar de ces êtres auxquels il manque certains chromosomes, l'hérédité l'avait privée des gênes de l'attachement. Aussi les hommes ne l'intéressaient-ils pas plus que les insectes volants dont elle eût suivi du regard les circonvolutions aériennes, avant que de les chasser d'un revers de la main, agacée qu'ils tournoient autour d'elle. Son coeur était une mer étale, que la houle d'aucune passion ne troublerait jamais. (p.26)
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L’hospitalité n’était pas la moindre manifestation de la générosité de mon père. Aussi, avant comme après la Révolution islamique, notre appartement resta-t-il longtemps un point de passage pour des dizaines d’exilés politiques.
Si certains avaient quitté l’Iran légalement, la grande majorité d’entre eux avaient enduré la rudesse et bravé les dangers d’un voyage clandestin à dos de mulet à travers les montagnes du Kurdistan et de la Turquie. Une fois requinqués par la cuisine de ma mère et les rasades de vodka que leur servait mon père, ils se mettaient à nous narrer toutes les péripéties de leur terrible odyssée.
J’adorais les écouter. Il m’arrivait de veiller auprès d’eux jusqu’au milieu de la nuit […]
À force d’entendre toutes ces histoires, il m’était apparu qu’un vrai Iranien était nécessairement un fugitif. Aussi m’arrivait-il quelquefois de regretter que nous nous soyons installés en France avant la révolution.
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Elle était certes moins belle que son amie, mais elle recelait au plus profond d'elle même ce quelque chose qui ensorcelle les hommes, jusqu'à les rendre fous: un coeur inaccessible.Sa conquête devient dès lors un défi pour Behrouz.
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« Il était parfaitement dénué du désir de dépasser les limites étriquées de son enveloppe charnelle et de l’étendre au monde matériel. » (p. 26)
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Karl Marx et mon père avait un point commun : ils ne travaillèrent jamais pour gagner leur vie. « Les vrais révolutionnaires ne travaillent pas », affirmait mon père. Cet état de fait lui paraissait logique : on ne pouvait œuvrer à l’abolition du salariat t être salarié –c’était incompatible. Il fallait avoir l’esprit disponible, on accaparé par des questions d’ordre pratique.
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Le jour même, mon père chaussait une paire de lunettes noires. Il les porta six mois durant, jour et nuit. Il s'agissait moins de soustraire à notre vue ses yeux gonflés et rongés par le chagrin, que d'étendre en quelque sorte un voile de deuil sur le monde des vivants.
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Et c'est ainsi que le petit garçon fut nommé Behrouz, ce qui signifie en persan "le meilleur des jours".
(p. 16)
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Si Marx avait passé sa vie à la mine ou dans une usine,il n'aurait pas pu écrire Le Capital", soutenait-il.
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Son coeur était une mer étale qu'aucune passion ne troublerait jamais.
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Si ton père ne finit pas,nous ne rentrerons jamais en Iran,prophétisait-elle.Nous serons condamnés à rester dans ce pays d'adorateurs de caniches frisés.
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Si ton père ne finit pas, nous ne rentrerons jamais en Iran, prophétisait-elle. Nous serons condamnés à rester pour toujours ans ce pays d’adorateurs de caniches frisés
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Même s’il arriva plusieurs fois à mon père d’en interrompre la rédaction, cette thèse fut la grande affaire de sa vie. C’est pour l’entreprendre que, juste après son mariage, il était venu s’inscrire en troisième cycle de science économiques à la Sorbonne à la fin des années 1960, encouragé par mes grands-parents qui l’avaient assuré de leur soutien pécuniaire jusqu’à la fin de ses travaux –ils ne pouvaient imaginer que ceux-ci seraient, à proprement parler, interminables.
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Avec les années, Behrouz en vint à admirer la frugalité des domestiques, et pus particulièrement le jeûne que ceux-ci observaient au cours du ramadan. Le cruel destin qui les avait amenés à travailler dans cette maison où l’on recevait presque chaque jour et qui était une sorte de temple dédié à la bonne chère en faisait à ses yeux des héros –ou plutôt des martyrs. Tout ce qu’ils enduraient ici dépassait de loin de qu’Allah exigeait d’un bon musulman.
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