Alors arriva Mme Helena Rubinstein, des cosmétiques, celle à propos de qui on demandait: "Que lui est-il arrivé?" Et la réponse était Max Factor (...)
(Note de bas de page: "Blague répandue en Israël:"Max fucked her". Max Factor est une autre marque américaine de produits de beauté.)
(A propos du romancier Arnold Zweig)
Zweig était ronchon et myope. Un jour où je m'étais approché de lui, il me prit pour un chien. On le traitait avec hostilité et incompréhension et cela lui faisait mal. Cet homme, qui avait été un écrivain important en Allemagne, s'était fait siffler à cause de ses opinions pendant un débat public animé dans l'unique langue qu'il savait parler. Il était amer. Certains amis de Moshé collectaient de l'argent pour aider Zweig à vivre. Le seul livre qu'il eût écrit ici fut refoulé hors du pays et devint un livre mort.
Ici et là, on parlait déjà d'un Etat hébreu. Le concept d'"Etat" ne nous était pas familier, ne nous apparaissait pas comme quelque chose de concret, depuis quand notre peuple devait-il avoir un Etat, lui qui était resté deux mille ans sans rien? Et quel genre d'Etat? Comment vivrait un si petit Etat? Comme le Lichtenstein ou le Congo? Alors quoi, Ben Gourion allait se coiffer d'un haut de forme et monterait sur une caisse pour avoir l'air plus grand, imitant Herzl sur son balcon, à Bâle? Alors quoi, un policier juif allait se mettre à siffler... dans un shofar peut-être?
Il considérait que lire au lit était un manque de respect pour le livre.
Il avait connu à Heildenberg un Allemand converti au judaïsme qui avait épousé une femme juive de Berlin et avait émigré en Israël. Tous trois se trouvaient chez le rabbin Shorenstein, propriétaire d'un magasin d'oiseaux et de souris, qui rêvait de fonder un zoo. Enthousiasmé par cette idée, le converti, qui avant sa conversion avait chassé des animaux en Afrique, fit venir des tigres qui arrivèrent dans des caisses et qu'ils mirent dans la chambre à coucher du rabbin. Moshé et le converti se promenaient avec les tigres dans les rues de Tel-Aviv pour convaincre la mairie de la nécessité de créer une zoo. Mon père n'était pas peu fier de cette histoire et après avoir fondé le zoo, quand le converti se plaignait que Moshé ne vînt pas lui rendre visite, celui-ci lui répondait qu'il préférait voir les tigres dans la chambre à coucher d'un rabbin.
Je me souviens lui avoir cité Heine, qui a écrit que la Judée s'était cruellement vengée de Rome en lui envoyant le christianisme pour transformer les rugissements de ses empereurs en murmures de moines châtrés, je me réfère souvent à ce texte. (...) A la fin, je lui dis que Heine avait fait don de sa fortune à sa femme à condition qu'elle se remarie, car, écrivait-il, c'était le meilleur moyen de s'assurer que quelqu'un le regretterait.
Après cela, les batailles se sont enchainées et on n'a pas eu le temps de dormir. Aujourd'hui, je suis très vieux, j'écris ces choses mais mon cerveau est vide. Je suis moi-même le trou du bagel.
Nous étions peut-être des gars « à fière allure et belle frange », mais intelligents, ça non. Quelqu’un d’intelligent ne va pas, de son plein gré, mourir à dix-sept, dix-huit, ni même vingt ans. Quelqu’un d’intelligent préfère un État existant à un État rêvé. Quelqu’un d’intelligent n’essaie pas de créer un nouvel État dans la chaleur torride d’un pays déjà peuplé d’Arabes, cerné de pays arabes qui ne voient en lui qu’un étranger foncièrement nuisible.
(...) Seul un jeune fou peut se lancer dans un combat suicidaire pour défendre quelqu’un qu’il ne connaît pas et une chose dont il ne sait absolument rien. Car il nous faudrait attendre la fin des hostilités avant de découvrir, et pas toujours avec plaisir, que nous avions créé un État pour des gens qui n’y viendraient pas car ils étaient morts.
(p. 36-37)
p 169 : "Nous avons aussi chanté la fameux "Un qui sait" mais avec de telles erreurs que si Dieu n'était pas mort à Bergen-Belsen, Il aurait eu une crise cardiaque en entendant nos paroles.
Lorsque mourut le dernier des Juifs, Dieu retint son souffle un instant et dit : il n'y en a plus aucun?
Le P.D.G. du système solaire répondit : Plus aucun.
Ils avaient un petit quelque chose, mais quoi?
Ils vous aimaient de tout leur coeur.
Quel gâchis, conclut Dieu qui ferma les yeux pour mille ans de plus, millle ans qui passeraient à postériori en avant et en arrière.