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Citation de michelekastner


Et finalement, ce fameux "jour de la révolution", secrètement redouté par les jeunes révolutionnaires, n'arriva pas. A la place, la grande crise économique causée par l'endettement envers le FMI bouleversa totalement la Corée du Sud, tout autant que l'avait fait la venue de l'armée américaine dans le pays en 1945. Au moment où je suis arrivé au Sud, dans les années quatre-vingt, cette société ressemblait davantage à celle de la Corée du Nord qu'à ce qu'elle est devenue aujourd'hui, songe Kiyeong. La plupart des travailleurs étaient assurés de conserver leur emploi, jusqu'à l'âge de la retraite. Les étudiants n'avaient aucun mal à trouver du travail dès leur sortie de l'université. Les banques et les grandes entreprises, avec leurs halls d'entrée en marbre d'importation, semblaient devoir durer éternellement. Les enfants prenaient soin de leurs parents âgés, qui exerçaient encore une certaine autorité. Les présidents étaient élus au suffrage indirect avec une majorité écrasante au palais des Sports, comme de coutume. L'opposition n'existait que de nom. La plupart des gens s'intéressait peu à ce qui se passait au-delà de leurs frontières. Le slogan "Nous sommes heureux" - qu'on voyait partout dans le Nord - représentait littéralement la mentalité des Coréens du Sud à cette époque. En matière de distribution des ressources, l'Etat prévalait sur le marché. Aussi la corruption des fonctionnaires était-elle monnaie courante, pots-de-vin et fraudes de toutes sortes se pratiquant un peu partout. Dans ce domaine aussi, le Sud avait des points communs avec le Nord. Tous les lycéens et étudiants faisaient partie de l'Association patriotique des jeunes et, plusieurs fois par semaine, se rendaient à l'école en uniforme kaki. Chaque mois, dans une grande effervescence, le pays tout entier participait à un gigantesque exercice de simulation de guerre. Et plusieurs fois par an, Séoul, comme Pyongyang, plongeait dans les ténèbres à l'occasion de l'extinction des feux imposée par l'exercice d'entraînement en vue d'une éventuelle attaque aérienne.
Mais le Sud d'aujourd'hui est un pays neuf qui n'a presque plus rien à voir avec cette époque, radicalement différent de ce qu'est resté le Nord. Il est peut-être plus proche de Singapour ou de la France que la Corée du Nord. Les couples mariés ne font plus d'enfants ; les revenus moyens atteignent 20 000 dollars ; la longévité des banques et des grandes entreprises est imprévisible ; chaque année, plusieurs centaines de milliers d'étrangers entrent dans le pays pour se marier ou trouver du travail ; tous les jours, un grand nombre d'étudiants quittent le pays pour poursuivre leurs études dans les pays anglophones. A Pusan, on vend des revolvers made in Russia. On cherche des partenaires sexuels sur Internet. On suit la retransmission des JO d'hiver sur l'écran de son mobile. L'ecstasy fabriquée à San Francisco est transportée par FedEx. Plus de la moitié de la population investit dans des fonds offrant à la fois sécurité et rendement. Les chefs d'Etat n'ont plus le charisme qui prévenait la critique et les moqueries. Pour la première fois depuis la libération du pays, le parti politique représentant la classe ouvrière est entré à l'Assemblée nationale. Si en 1984, année où Kiyeong est passé au Sud, quelqu'un avait prédit ce que deviendrait la société sud-coréenne vingt ans plus tard, on l'aurait pris pour un fou.
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