La vie de Mark tout entière avait été une succession de buts fastidieux qui le dominaient entièrement. Depuis plusieurs années, il s’était donné pour objectif de mourir demain. « Mourir ? Oh, oui ! Je l’espère bien ! Avec tout ce que j’ai enduré et tout ce que je continue à supporter tant que je suis encore en vie, la mort aura pour moi la douceur du miel ! Un peu de baume sur toutes mes blessures ! Oui, oui, allez, donnez-m’en encore ! Mais pas aujourd’hui. Car, aujourd’hui justement, je suis occupé. En revanche, demain, je mourrai avec grand plaisir. Je veux vivre aujourd’hui encore, pour mourir demain, et avec plaisir. »
Après avoir réchappé à trois infarctus, il était toujours, à l’en croire, aussi frais « que les petits fromages blancs sur les étalages du marché ».
On ne pouvait que louer le succès de cette hygiène de vie, décuplée par la discipline qu’il s’imposait. Mark menait « 3 à 0 ». Hélas, son adversaire n’était pas de ceux qu’on domine éternellement. Il fit un quatrième infarctus, et la mort rattrapa ce bon marcheur. La partie fut interrompue et, de surcroît, très déloyale : Mark avait beau mener « 3 contre 1 », il fut obligé d’emporter ce beau score avec lui dans sa tombe. Il mourut.
La mort de la vieille dame devait arriver. C'était simplement son tour : elle était dans sa quatre-vingt-huitième année. Tous ses amis, des gens de son âge, étaient déjà partis. Maintenant, c'était son tour.