Comment décrire cette beauté ? Elles étaient dotées de réalité, une réalité douce et froide, et n'étaient pourtant pas réelles. Elles avaient l'air d'être humaines, et en même temps, pas du tout. Elles étaient bien de ce monde, et pourtant n'y appartenaient pas. Elles existaient, mais leur existence tenait à un fragile équilibre, entre ce côté-ci et l'autre côté.
Involontairement, ma respiration est devenue plus profonde, comme si c'était à moi de respirer à leur place. Cette pensée a pris soudain une énorme place dans mon esprit.
C'est parce que l'ensemble de la classe est proche de la mort qu'un défunt se mêle à la classe. Ou le contraire, si tu veux : quand un défunt se mêle à la classe, cette dernière se retrouve très proche de la mort. Que tu le prennes dans un sens ou dans l'autre, le résultat est le même : la mort est vide, comme les poupées. Et comme les poupées, ce vide aspire à être comblé, et si on s'approche trop, on se fait aspirer...
-J'en ai assez des funérailles... a répété lentement grand-père.
Le mot "funérailles" venait de faire une tache sur mon coeur. Immédiatement, un tourbillon noir commença à se former à partir de cette tache, et puis... qu'est-ce que c'est... un son très grave, très profond... jailli de je ne sais où...
J'ai de nouveau serré les paupières. Au même instant, dans ma tête, quelque chose s'est arrêté net.
-Non, c'est le tableau de Munch qui est souvent mal interprété. Dans son tableau, ce n'est pas l'homme qui crie, c'est le monde qui l'entoure. Ce cri l'effraie, c'est pourquoi l'homme se bouche les oreilles.
-Tu veux dire que ton dessin non plus, ce n'est pas le citron qui crie.
-Exactement.
-Et le citron se bouche les oreilles ?
-Pas précisément, non.
-Hum, laisse tomber.
Ma conversation avec Mlle Mizuno dans le restaurant familial m'est revenue. Ca ne datait que de la veille...
"Fais quand même attention. Surtout aux accidents improbables..."
Et c'était elle qui était morte.
Personnellement, je me dis qu'il est plus facile de mourir quand on est dans un lieu proche de la mort. Les gens qui se trouvent éloignés de la mort ne meurent pas.
Le poids vide de la mort m'est soudain apparu dans toute sa réalité, et j'ai cru que mon cœur allait finir écrasé.
- Tu lis quoi d'autre, alors ?
- Eh bien... Koontz, aussi.
Ça m'avait échappé. Ça l'avait fait éclater de rire, évidemment. J'avais compris qu'elle avait un genre d'humour d'homme de cinquante ans, en fait. Depuis cette fois, elle m'avait surnommé Horror Boy, l'amateur de romans d'horreur.
- Ce n'est pas exactement le genre de livres que lisent les gens qui sont hospitalisés, en général...
- Ah bon, pourquoi ?
- Disons qu'habituellement, ils évitent de lire des choses qui parlent de malheur, de souffrance et de peur. Je suppose que c'est parce qu'ils n'ont pas besoin de fiction pour savoir ce que c'est.
- Bof, c'est juste une histoire dans un livre... Ça ne me gêne pas.
Derrière elle, j'ai suivi son regard. Les nuages s'accumulaient de plus en plus. De nouveau, le tonnerre s'est fait entendre. Des corbeaux effrayés se sont mis à crier et se sont envolés à tire-d'aile depuis les arbres autour du terrain de sport.
- Tu n'es au courant de rien, Sakakibara ! a répété Mei, le visage toujours tourné vers le ciel. Personne ne t'a rien dit ?
- Mais dit quoi ?
- Tu le sauras bien, tôt ou tard...
- ...
- Et puis, tu ferais bien de ne pas trop t'approcher de moi.
—Si vous voulez le fond de ma pensée, je dirais que c'est l'appétit d'Ellery qui mange sans problème tout ce qu'on lui donne qui me semble suspect...