Mais je ne sais que trop combien il est difficile de pardonner à quelqu'un qui soutient qu'il n'a rien fait de mal. (p.45-46)
Quand ma mort m'apparaissait avec autant de précision, je tournais comme un fauve dans ma chambre exigüe, le regard inquiet, incapable de mettre un pied dehors.
Je me suis couchée après avoir une fois de plus vérifié ce que contenait ma chambre, sans parvenir à m'endormir. J'ai passé en revue toutes les raisons pour lesquelles l'imprimerie avait été découverte, mais mes réflexions ne pouvaient pas me mener bien loin. Je ne savais que trop peu de choses sur ceux de l'imprimerie. Sentant sur mon cœur le poids de la méfiance et du regret, j'ai gardé les yeux ouverts pour voir la nuit passer et me présenter les différents grains de l'obscurité. La nuit n'est jamais, pas même un instant, entièrement noire. Elle est violette, gris foncé... Les couleurs de la nuit d'inquiétude où j'ai attendu la venue de la police étaient réellement somptueuses.
Que mon père ait disparu avant ou après ma naissance ne faisait aucune différence. Ceux qui ont vécu une expérience semblable me comprendront immédiatement si j'explique que plus je tentais de chasser l'image de mon père, plus celle-ci s'immisçait dans les moindres recoins de la vie quotidienne.
Comment le ciel de cette saison peut-il être si innocemment clair? Et comment la douleur de cette période peut-elle être encore si vive? La douleur ne sait pas vieillir. C’est parce que l’espérance de quelque chose qui pourrait la guérir est aussi vive et aussi tenace.
Je marche vers la gare pour retourner dans mon village. Comment le ciel de cette saison peut-il être aussi innocemment clair ? Et comment la douleur de cette période peut-elle être encore si vive ? La douleur ne sait pas vieillir. C'est parce que l'espérance de quelque chose qui pourrait la guérir et aussi vive et aussi tenace. Cet hiver, je réunirai les enfants du village et je ferai avec eux, un immense bonhomme de neige dans un champ vide. Pour que les ondes atteignent l'étoile de cette femme qui a quitté la terre il y a quelques jours, il faudra y planter une antenne faite d'une longue branche. Mais les enfants ne savent-ils pas avant quiconque que les gens ne deviennent pas étoiles après la mort ? Ceux qui ont disparu en emportant une douleur laissent à ceux qui les connaissent une petite lumière, comme une cicatrice.
Il devait bien y avoir des moments où elle oubliait tout. Mais un bruit imperceptible, un visage flou, une odeur, un silence bref, quelque chose de trivial devait la rejeter brusquement vers des énigmes qui la paralysaient. Toujours la même question, la même intensité, la même douleur.
J'étais parfois prise d'optimisme en pensant que, si je le voulais, je pourrais faire partie de leur famille de façon beaucoup plus active et qu'alors, contrairement à ce qui m'était arrivé jusque-là, je n'aurais plus l'impression de marcher sur du sable mouvant.
Il y a des gens qu'on ne peut rattacher à aucune appartenance concrète, dont on ne peut deviner ni l'origine, ni les liens familiaux. Des gens qui surgissent brusquement devant vous comme s'ils tombaient des fils électriques, puis disparaissent, après avoir échangé quelques mots comme si de rien n'était.