Extrait du livre audio « Nous, les indomptables » de Yuval Noah Harari lu par Taric Mehani. Parution numérique le 5 octobre 2022.
https://www.audiolib.fr/livre/nous-les-indomptables-9791035412043/
Il n'y a pas de dieux dans l'univers, pas de nations, pas d'argent, pas de droits de l'homme, ni lois ni justice hors de l'imagination commune des êtres humains.
Depuis les temps les plus anciens jusqu’à aujourd’hui, tout le monde le sait : les employés de bureau et les comptables ne pensent pas en êtres humains. Ils pensent comme on remplit des dossiers. Ce n’est pas leur faute. S’ils ne pensent pas comme ça, leurs tiroirs seront tout mélangés, et ils seront incapables de rendre les services que leur administration, leur société ou leur organisation demande. Tel est précisément l’impact le plus important de l’écriture sur l’histoire humaine : elle a progressivement changé la façon dont les hommes pensent et voient le monde. Libre association et pensée holiste ont laissé la place au compartimentage et à la bureaucratie.
"Celui qui a une raison de vivre, disait Nietzsche, peut endurer n'importe quelle épreuve ou presque". Une vie qui a du sens peut être extrêmement satisfaisante même en pleine épreuve, alors qu'une vie dénuée de sens est un supplice, si confortable soit-elle.
L'instinct qui nous pousse à engloutir des aliments très caloriques est profondément inscrit dans nos gènes. Nous pouvons bien habiter aujourd'hui de grands immeubles équipés de réfrigérateurs pleins à craquer, notre ADN croit encore que nous sommes dans la savane.

Aujourd'hui, aux États-Unis, on lit plus de livres numériques que de livres imprimés. Des appareils comme le Kindle d'Amazon sont capables de recueillir des données sur leurs utilisateurs pendant qu'ils lisent. Par exemple, votre Kindle peut surveiller quelles parties d'un livre vous lisez rapidement ou au contraire lentement, à quelle page vous marquez une pause, et quelle phrase vous fait abandonner le livre pour ne plus jamais le reprendre. (Mieux vaut dire à l'auteur de réécrire le passage.) Si Kindle est perfectionné et doté d'un système de reconnaissance faciale et de capteurs biométriques, il saura quel effet chaque phrase lue a eu sur votre rythme cardiaque et votre tension. Il saura ce qui vous aura fait rire, rendu triste ou mis en colère. Bientôt les livres vous lirons pendant que vous lisez. Et alors que vous aurez vite fait d'en oublier la majeure partie, Amazon, lui, n'oubliera jamais rien. Ces données lui permettront de choisir des livres pour vous avec une précision troublante. il lui permettra aussi de savoir qui vous êtes exactement, comment allumer ou éteindre votre intérêt.
Il n'existe rien qui ressemble à des droits en biologie, juste des organes, des facultés et des traits caractéristiques . Si les oiseaux volent, ce n'est pas qu'ils aient le droit de voler, mais parce qu'ils ont des ailes.

La quantité d'informations qu'il faut obtenir et emmagasiner pour suivre les relations en perpétuelle évolution de quelques douzaines d'individus seulement est renversante. Tous les singes montrent un vif intérêt pour ces informations sociales, mais ils ont du mal à bavarder efficacement. Les Neandertal et les Homo sapiens archaïques avaient probablement aussi du mal à parler dans le dos des autres : une faculté très calomniée qui est en vérité essentielle à la coopération en nombre. Les nouvelles capacités linguistiques que le Sapiens moderne a acquises voici quelques 70 millénaires lui ont permis de bavarder des heures d'affilée. Avec les informations fiables sur les personnes de confiance, les petites bandes ont pu former des bandes plus grandes, et Sapiens a pu élaborer des formes de coopération plus resserrées et plus fines.
On pourrait croire à une plaisanterie, mais de nombreuses études corroborent cette histoire de commérage. Aujourd'hui encore, la majeure partie de la communication humaine - e-mails, appels téléphoniques et échos dans la presse - tient du bavardage. Celui-ci nous est si naturel qu'il semble que notre langage se soit précisément développé à cette fin.
Comment faire cadrer l'éthique consumériste avec l'éthique capitaliste de l'homme d'affaires, suivant laquelle il ne faut pas dilapider les profits mais les réinvestir dans la production ? Élémentaire. Comme dans les périodes antérieures, l'élite et les masses se partagent le travail. Dans l'Europe médiévale, le aristocrates insouciants dépensaient leur argent en luxes extravagants, tandis que les paysans vivaient frugalement, comptant chaque sou. De nos jours, la table a tourné. Les riches prennent grand soin de gérer leurs actifs et investissements alors que les moins nantis s'endettent pour acheter des voitures et des télévisions dont ils n'ont pas vraiment besoin.

Pour ce qui est de la condition humaine, nous avons accompli de réels progrès au cours des toutes dernières décennies, avec la régression de la famine, des épidémies et de la guerre. Mais la situation des autres animaux se dégrade plus rapidement que jamais, et l’amélioration du sort de l’humanité est trop récente et fragile pour qu’on en soit assurés.
En outre, malgré les choses étonnantes dont les hommes sont capables, nous sommes peu sûrs de nos objectifs et paraissons plus que jamais insatisfaits. Des canoës nous sommes passés aux galères puis aux vapeurs et aux navettes spatiales, mais personne ne sait où nous allons. Nous sommes plus puissants que jamais, mais nous ne savons trop que faire de ce pouvoir. Pis encore, les humains semblent plus irresponsables que jamais. Self-made-dieux, avec juste les lois de la physique pour compagnie, nous n’avons de comptes à rendre à personne. Ainsi faisons-nous des ravages parmi les autres animaux et dans l’écosystème environnant en ne cherchant guère plus que nos aises et notre amusement, sans jamais trouver satisfaction.
Y a-t-il rien de plus dangereux que des dieux insatisfaits et irresponsables qui ne savent pas ce qu’ils veulent ?
Au milieu du XIXe siècle, Karl Marx a eu de brillantes intuitions économiques. Sur la base de ces intuitions, il a prédit un conflit toujours plus violent entre le prolétariat et les capitalistes, qui se terminerait par l'inéluctable victoire du premier et l'effondrement du système capitaliste. Marx était certain que la révolution commencerait dans les pays qui étaient le fer de lance de la révolution industrielle - comme la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis - avant de se propager au reste du monde.
p70