Si le parent ne fournit pas cette base secure, en rejetant les comportements de rapprochement de l'enfant, en se moquant de lui, en ne lui prêtant aucune attention, ou simplement en n'étant pas présent et disponible, l'enfant est limité dans ses explorations qui s'avèrent bien trop dangereuses dans ces conditions. Or ce qui se joue avec le bébé ou le petit enfant risque fort de se reproduire ultérieurement (...). Un schéma de ce type aura tendance à se trouver renforcé jour après jour, aboutissant à la construction d'une représentation du monde comme un lieu plein d'inconnu et de menaces potentielles, où l'enfant devenu adolescent, puis adulte, se sentira incapable d'affronter seul toute nouveauté, où il se dira que les autres ne sont pas fiables, qu'ils ne sont pas disponibles en cas de problème et que de toute façon, il ne mérite pas d'être aidé.
Le bébé est extrêmement sensible à tous ces détails, un regard irrité ou vide d'expression le déstabilise et lui fait peur, et si ce type d'interactions se répète régulièrement, son amygdale en vient rapidement à coder ses pleurs comme aboutissant à une issue négative. Il apprend alors à se taire, et à se débrouiller autrement pour gérer son propre malaise et attendre que l'on veuille bien venir s'occuper de lui.
Recâbler son cerveau autrement consiste donc à exercer une réflexion permettant de retrouver la réalité de son vécu antérieur, et de ne plus s'appuyer uniquement sur un discours sur celui-ci et sur soi, exclusivement issu de ce que les autres en ont dit. Cela consiste aussi à apprendre à se laisser guider par l'ocytocine, rechercher les situations qui en favorisent la fabrication, c'est-à-dire celles qui induisent un véritable état de bien-être avec autrui, celles où l'on se sent compris, soutenu, accepté et reconnu, ce qui devrait être la caractéristique incontestée de l'amour et de l'amitié. Cela étant, ni évitants ni anxieux n'ont appris à coder les relations à autrui de cette manière, car ils n'en n'ont pas fait l'expérience sur une base stable et prévisible.
Le codage par les neurotransmetteurs ne sera pas le même en fonction de la réaction de la figure d'attachement. Si celle-ci arrive dans un temps raisonnable, nourrit l'enfant en s'occupant tendrement de lui et en prenant un plaisir manifeste à l'interaction, cette séquence sera dans le cerveau du bébé globalement codée par la dopamine. A l'inverse, si la personne chargée de s'occuper de lui exécute sa mission mécaniquement, ou avec l'air irrité car elle s'estime dérangée, le codage émotionnel de l'ensemble sera marqué par la noradrénaline.
L’attachement est un instinct, qui a cependant besoin de conditions favorables pour se développer de manière saine. L’oublier est ouvrir la porte à l’indifférence et à la violence, en particulier relationnelle, et ce dès le plus jeune âge. Le lien à autrui est le garant d’un épanouissement et d’une bonne santé tant physique que psychique. C’est là la grande leçon que nous a léguée Bowlby, sans doute il serait judicieux de s’en souvenir.
Il est difficile pour une personne ayant eu l'habitude d'être écoutée, comprise et soutenue de demeurer avec un partenaire qu'elle n'estime pas sécurisant. La "force de l'amour", comme on dit, ne suffit pas à l'emporter, car elle se heurte au quotidien de la gestion des problèmes traduisant dans les actes les représentations relationnelles héritées de l'enfance.
L'attachement évitant, par contraste, est caractérisé par la rigidité des comportements et des stratégies relationnelles. Il intervient en réponse à des réactions parentales faites de négligence affective, c'est-à-dire de manque d'attention face à la détresse de l'enfant, des réactions de colère ou d'irritation, ou encore une façade faussement positive semblant se moquer de l'enfant en difficulté. Globalement, il se résume par l'accent porté sur les cognitions au détriment des affects, sur la rationalisation donc et un certain détachement émotionnel, ainsi que sur l'idée de se contraindre en cherchant à plaire à autrui, tout en maintenant ses distances.
Grâce à des parents dont les processus défensifs ne sont pas systématiquement engagés dès qu'il s'agit de choses "émotionnelles", les enfants apprennent à parler ouvertement et de manière cohérente de leur vécu personnel et des émotions qu'ils ressentent, qu'elles soient positives ou négatives. [...] En outre, ces enfants ont appris qu'ils peuvent se confier à leurs proches en cas de difficultés psychiques, que raconter ce qui s'est passé permet de réguler le débordement affectif lié à des situations difficiles, qu'il est important d'avoir accès à ses propres pensées et émotions, ainsi qu'à celles des autres.
C'est là que l'on mesure les effets de l'insécurité psychique dans l'enfance, qui n'a pas permis à ces personnes d'apprendre à réguler leurs affects au sein d'interactions équilibrées avec leurs parents. Bien qu'ayant mis en place des stratégies différentes pour s'en sortir, le calme pour les uns, l'agitation pour les autres, elles finissent cependant au même point lorsque le stress se fait trop intense, et elles n'ont, ni les unes ni les autres, recours au soutien effectif d'autrui pour s'apaiser et rechercher des solutions.
La nature prévoit ainsi un surplus de neurones à la naissance par rapport à l'âge adulte, qui permet de faire face à un maximum de possibles, et une sorte de ménage est fait au bout d'un certain temps avec ceux qui ne servent pas régulièrement. Le système s'épure pour se consacrer à l'amélioration de ce qui lui est vraiment utile pour s'adapter aux conditions d'existence dans lesquelles il évolue.