30 mai 2019
Interviews de romanciers, d'éditeurs et de professeurs de creative writing traduite en français :
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Le romancier et dramaturge français Yves Ravey explique sa manière de travailler l'écriture de ses romans. Interview réalisée dans le cadre des Assises Internationales du Roman 2019.
Les larmes ça ne sert à rien,c'est trop tard pour regretter,de toute façon ça ne change pas grand-chose...
Il est venu hier soir, a répliqué ma mère, donc...vous pouvez l'arrêter,il est venu,je vous dis.
L'interdiction d'approcher est levée, a répliqué le gendarme,quinze ans de bonne conduite, madame Rebernak,ça pèse dans la balance.
En attendant, fallait quand même être gonflé pour déranger une brigade pour un chien assis au milieu de la cour, qui ne fait aucun mal, évidemment. Le brigadier a ajouté qu’il n’allait quand même pas mettre une amende au chien pour violation de propriété privée et pour tapage nocturne.
La file de visiteurs a progressé vers la billetterie. J’ai suivi Luisa : Et si j’émettais l’idée que tout ceci n’était qu’un ennui causé par le hasard ? Et si, à partir de notre débarquement, tout s’était joué pour que nous prenions cette route précisément ? pour que nous fassions halte devant ce snack-bar, et pas un autre ? Aurait-il donc fallu que je commette l’erreur, sans le savoir, guidé par une main invisible, de prendre l’embranchement sur la droite, qui ne conduisait nulle part ? Aurait-il fallu également qu’il se mette à pleuvoir et que la nuit tombe à cet instant ? Luisa, jetant un regard fuyant sur les visiteurs agglutinés dans la file d’attente, m’a prévenu : Stop ! s’il te plaît, Melvil, on ne parle plus de ça, on ne parle plus de rien, plus de journal, on visite, tu entends ?
Elle est sortie avec Dietrich dans le fond du jardin, mesurer la distance entre sa propriété et le clocher de l'hôpital Sainte-Croix, qui jouxtait la maison de retraite. Elle a aperçu le chien, puis son cousin assis sur son banc devant une cabane de jardinage. Elle a dit : "Il ne va quand même pas passer l'hiver dans cette cabane ? L'éducateur a répondu qu'on aménagerait l'endroit. Comme ça, il serait sur place pour travailler dans le potager de l'hospice. Elle a ouvert la barrière du fond. Ils ont traversé la nationale. Elle s'est approchée, le chien est venu à sa rencontre. Ils ont parlé, elle et son cousin. Elle a demandé à Freddy s'il ne préférait pas retourner d'où il venait. Ensuite elle lui a ordonné de ne pas approcher de la maison. Elle lui a dit : La frontière, pour toi, c'est cette route nationale. Interdit de passer cette ligne. Ni toi ni ton chien. Il a répondu oui.
Luisa se demandait si tout cela finirait un jour, car ce n'était quand même pas trop difficile de décrocher un emploi, suffit d'en avoir envie. Tout est question de respect de ma personne, lui avais-je répondu. Mais Luisa avait rétorqué que tous ces postes, refusés par moi, m'étaient pourtant offerts sur un plateau d'argent.
Je ne vous demande pas de l'héberger sous votre toit, madame Rebernak, je dis qu'on peut faire autrement... ! Vous avez bien une petite remise au fond du jardin ? Il pourrait aller et venir, sans vous déranger. Elle a stoppé net. C'est une plaisanterie ? Puis elle lui a tourné le dos, elle s'est courbée pour atteindre l'arrivée d'essence, elle a enfourché son cyclo en pédalant et lancé le moteur. Jamais son cousin n'habiterait le garage au fond du jardin. D'ailleurs, elle se demandait comment une idée aussi stupide avait pu germer dans la tête d'un éducateur. (p.35)
Mon père ne travaille plus, depuis une semaine. Le matin, il reste assis à la cuisine, devant son bol de café. Il penche la tête, le coude sur la table, la main sur le front. Le médecin lui a signé un arrêt-maladie de quinze jours. Il a dit, vous devez consulter des spécialistes à l'hôpital, monsieur Carossa. C'est inutile, l'hôpital, a répondu mon père. Je n'ai jamais vu un docteur de ma vie, je n'ai jamais été malade.
Elle m'a demandé si je regrettais la promesse faite à son père. Elle me connaissait si bien ! Et elle le savait : Je m'en voulais d'avoir accepté. J'ai répondu : C'est pas le moment, Mathilde, de me casser les pieds avec tes questions ! Elle s'est penchée vers moi. J'ai frissonné : Tu sais que je ne regrette jamais rien, Mathilde.
Je suis retourné au grenier. Les outils des inspecteurs étaient toujours là, à côté du bidon de xylophène. J'imaginais les colonies d'insectes qui creusaient des galeries à l'intérieur des poutres comme mon père me l'avait expliqué. J'ai plaqué mon oreille contre le bois et j'ai perçu un bruit. Pas un grignotement ainsi que l'avait dit l'inspecteur, mais une sorte de vibration peut-être due au poids-lourds qui circulaient sur la nationale, comme sir la poutre était vivante. J'ai pensé que c'était la preuve qu'elle était habitée.