Personne, personne...
Personne, personne ne nous désunit.
Sur la même terre, sous le même ciel sans fin
Ta chair et la mienne ne font qu’un
Dans la vie, dans la mort aussi
Et au-delà, au-delà, beaucoup plus loin.
Personne, non, ne peut nous partager
En deux : tous deux sommes unis,
Sommes un seul et même être, aussi
Longtemps que la lune ira rouler
Son visage entre le nord et le midi.
Os du même os, pensée de la même pensée,
De mes mains le sang toujours et encore
Passe en tes mains, tantôt brûlant, tantôt glacé.
En nous deux un seul loup affamé
Dans une cage enfermé
Mord,
De vie affamé.
Qui tenterait de dérober
Tes épaules aux miennes collées ?
Les mêmes blancs pigeons
Volettent au-dessus de la même forêt
Et sous la même hache, d’un coup, tomberont.
Si l’on pouvait de nouveau
Séparer la terre des eaux !
Mes yeux sont sous tes paupières à toi,
Ma poitrine pour toi respire, cueille pour toi,
L’ange de la mort lui-même ne nous déliera.
Ni le pâle, ni l’épouvantable ange de la mort…
(traduction en français par Aurel George Boeșteanu)
Herbe magique
Herbe magique, poésie,
Ouvre-moi ton cœur,
La nuit haute et bleue s'est mis
Des étoiles aux oreilles, à cette heure.
Herbe magique, brise les verrous
Entre l'amour qui fut et l'amour qui est né.
L'aube m'apportera le soleil tout à coup
Et à mes blés mûrs, la tendre rosée.
Va, herbe magique, va cueillir
Les sous d'or en mes tréfonds fanés.
Midi se lève et fait retentir
La cymbale du ciel émoussé.
Chamois, avec tes pas je veux
Jusqu'à l'herbe magique, grimper, vivement.
Au-delà de la forêt en feu
Le soleil croule longuement.
Herbe magique, sur mes mots ardents
Jette une poudre dorée, allons, jette.
Sur les marais, tels les contes d'antan,
Le vent souffle un parfum de sarriette.
Je monte vers les pics, parmi les rochers.
Là-haut l'herbe magique brille, nacrée,
Vois : la nuit bleue a paré
Ses épaules du renard de la Voie lactée.
(en français par Aurel George Boeșteanu)
Ils avaient installé les enfants à l'intérieur des roulottes, à l'ombre sous les bâches. Comme les chevaux, les mulets et les ânes étaient tous morts, les hommes et les femmes s'étaient attelés à leur place.
Maman, elle, n'a pas eu de chance. Mais jusqu'à il y a quatre jours, elle était encore en vie, elle avait de la vie. Hélas ! elle est morte et le troisième jour après son décès nous l'avons conduite au cimetière et nous l'avons enterrée. Or, avant même qu'on ait cloué le cercueil fait de solides planches, les fourmis l'avaient envahi par milliers, de grosses fourmis noires et poisseuses, tandis qu'entre le couvercle et le corps, attirées par les fleurs arrachées avec leurs racines et répandues un peu partout, des abeilles voletaient.
Les fourmis ont peut-être trouvé une sortie, une voie de salut à travers les mottes de terre. Mais les abeilles ? Les pauvres, elles ont dû voler pendant quelques heures dans l'obscurité totale, après quoi, suffoquées, elles sont à coup sûr tombées mortes sur les fleurs qu'elles avaient sucées et sur le cadavre auquel seules les fourmis s'intéressaient. Ainsi la tombe de ma mère sera devenue leur propre tombe.
[extrait de "Ce mult te-am iubit" ("Combien je t'ai aimée"), dans la traduction de Léon Negruzzi ]
Peut-être que ce que tu ressentais était de la joie. Peut-être était-ce du plaisir. Il serait difficile de le préciser. Mais, à mon avis, joie ou plaisir à voir que l'homme sur lequel tu avais tiré ne bougeait plus, ne venait pas du fait même d'avoir tué mais de la pensée qu'en tuant un homme, puis un autre et un autre, le nombre de ceux qui pouvaient te tuer diminuait et que le danger d'être descendu toi-même s'amoindrissait à mesure.
(p. 228)
Des journées ensoleillées succédèrent aux journées de pluie, des nuits étoilées et ruisselantes du vin de la lune à celles où les ténèbres dominaient.
– Comment mes chevaux se sont-ils comportés cette nuit, chien infidèle ?
– Très bien, mon maître. La pluie a ranimé la terre et une herbe printanière a commencé à pousser.
– Et personne n’a essayé d’approcher de mon troupeau ?
Enfin, nous nous trouvâmes brusquement devant la mer et le pont d'or que la lune avait jeté entre le rivage sablonneux et l'horizon où les eaux s'unissaient au ciel argenté.
La mort voyage aussi vite que la pensée.
(p. 62)