AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Zakhar Prilepine (164)


Je n'ai même pas trente ans, et je suis heureux.
Je ne pense pas à la fragilité de la vie ; cela fait sept ans que je n'ai pas pleuré - exactement depuis la minute où mon unique m'a dit qu'elle m'aimait, qu'elle m'aimait et qu'elle serait ma femme. Dès cet instant, je n'ai pas trouvé une seule minute pour les larmes, je ris au contraire très souvent et, plus souvent encore, je souris en pleine rue - à mes pensées, à mes amours, qui scandent à trois cœurs la mélodie de mon bonheur.
Et je caresse le dos de mon aimée, la tête de mes enfants, et je caresse aussi mes joues non rasées, et mes paumes sont tièdes, et derrière la vitre, c'est la neige et le printemps, la neige et l'hiver, la neige et l'automne. C'est mon pays, c'est là que nous vivons.
Commenter  J’apprécie          5812
Nous jouions à chat dans un terrain vague, derrière le magasin du village. Nous étions une bande de gosses.
Celui que le sort avait désigné se tournait vers la porte et comptait tout haut jusqu'à cent. Pendant ce temps, on devait tous aller se cacher.
Les gamins au visage hâlé, à la bouche édentée, aux épaules anguleuses se dispersaient dans les dédales du nouveau chantier voisin, de la hauteur d'un étage, qui sentait la poussière de brique et l'urine dans les coins sombres. L'un se trahissait en éternuant dans les broussailles épaisses. D'autres s'écorchaient les flancs en se glissant dans les trous de la palissade qui séparait l'école du terrain vague. On grimpait aussi dans les arbres, puis on redescendait des branches, et c'était la course pour arriver le premier à la porte du magasin et toucher le carré qu'on y avait dessiné avec un bout de brique, en criant : Chat !
Parce que, si on ne disait pas le mot, on était bon pour s'y coller soi-même.
J'étais le plus petit, et personne ne me cherchait particulièrement.
Ça ne m'empêchait pas de me cacher soigneusement et de rester sans bouger, à écouter le rire de ces garçons qui avaient déjà de grosses dents, en enviant secrètement leur effronterie, leurs jambes rapides et leurs gros mots. Leurs gros mots à eux étaient faits avec d'autres lettres que les miens : quand ils disaient des obscénités, chaque mot résonnait et bondissait comme un petit ballon gonflé de mauvaises choses.
Commenter  J’apprécie          538
Sonnet raté

Tu marchais de côté. Moi je traversais.
À chuchoter mes sentiments, j'en avais mal aux dents.
De temps à autre, je me battais au pistolet (sans viser).

Tu marchais au milieu. Je tournai à l'angle.
Tous les sentiments sont simples : crayon ou charbon.
La simplicité parfois : fierté d'épouvantails.

Mais à quoi bon tous ces discours !
Si tes mains, en automne, devaient effleurer mon cou
Moins souvent que mon écharpe,
Où puiserais-je l'espoir
Que les fleuves gèleront bien en hiver ?

Tous les sentiments sont simples. Seules les poses sont compliquées.
Nous avons vécu l'automne jusqu'aux premiers givres.
Et on sent le gel, comme s'il était déjà là.
Et la couleur des pluies est grise à en mourir.
Commenter  J’apprécie          5215
À minuit, au plus fort de cette mauvaise gaieté faite d'alcool et de cigarettes, débarquèrent les bandits du quartier : quatre jeunes du même âge que Molotok et moi, qui se baladaient jusqu'au matin de boîte en boîte ; l'un d'eux, aimable, bien charpenté, les cheveux poivre et sel, était une des "autorités" de la ville. Il nous salua, m'appela personnellement par mon prénom : "Salut, Zakhar, comment ça va ?" et, une fois de plus, je remarquai en mon for intérieur que ça m'était agréable, ô combien agréable, putain !, qu'il se souvienne de moi, serre ma main dans sa grosse poigne et, en plus, me sourie.
"Et pourquoi, nom d'un chien, ça devrait m'être désagréable ?" me dis-je, furieux.
"Et qu'est-ce qui te met en joie ? me répondis-je aussitôt. Pourquoi tu frétilles de la queue, espèce de bâtard ? Tu t'imagines peut-être qu'il te rendra service un jour ? Il te marchera dessus sans le remarquer, c'est un loup, c'est de la chair de loup, du sang de loup, plein de cruauté..."
Disel entra dans la salle posément, jeta du coin de l'oeil un regard sur la table "des gens sérieux" qu'on apercevait de l'autre côté du rideau pas entièrement baissé, et se détourna aussitôt, comme avec indifférence.
"Ah, Disel, pensai-je avec lyrisme, tu es un homme fort, un homme d'expérience, on a peur de toi et en même temps on te respecte ; pourtant, à côté de ces gens là, tu n'es qu'un criminel de droit commun... Ton temps se termine, Disel."
Commenter  J’apprécie          494
Tu sais les journalistes ne comprennent rien à rien. Tout le monde le sait. Ça ne les empêche pas d’écrire sur tout. C’est le propre de ce métier, de ne rien comprendre et de s’exprimer sur n’importe quel sujet.
P.32
Commenter  J’apprécie          382
La sortie de l'ivresse est un miracle que l'on peut reproduire sans cesse et qui n'en finit pas de nous étonner ; les sensations ne s'émoussent pas. Ce doit être comparable - en aviation - à la sortie d'un piqué. Le grondement dans la tête enfle, la terre plate se rapproche de plus en plus, on est pris de vertige et soudain, ce sont des saccades, les yeux se ferment en une seconde, la tête se renverse en arrière, la gorge se remplit de salive, et c'est à présent le ciel devant soi, les espaces, le bleu.
Commenter  J’apprécie          373
Tout était sombre. La surface d’une mare était tout ridée, un arbre soupirait, un chaton s’ennuyait tout seul avec une boîte de conserve vide.
(Le diable et les autres) p.139
Commenter  J’apprécie          330
Je réfléchis une seconde et décidai en mon for intérieur qu'elles ne nous conviendraient pas.
"Adieu, brebis à fine toison", pensai-je avec tendresse, et, après avoir légèrement klaxonné, la voiture s'éloigna de ces deux filles visiblement chagrinées.
Je n'aime pas organiser d'orgies chez moi. On peut boire autant qu'on veut, même en compagnie de gens grossiers et graveleux. Mais si, sous mon toit, des personnes que je ne connais pas - qui peuvent être très bien par ailleurs - s'accouplent dans tous les coins, cela blesse profondément mon sens esthétique.
Commenter  J’apprécie          331
L'histoire avec la Crimée était déjà terminée, l'histoire avec le Donbass venait tout juste de commencer et le feu était en train de se propager quand une grande conférence se réunit chez l'empereur. Étaient là, assis autour de la table, tous les principaux cadors du gouvernement, L'empereur leur distribua ses instructions. Untel, resserrer les boulons, untel éteindre l'incendie, untel, presser le mouvement, untel commencer à frapper. Presque tout le monde avait quelque chose à faire, mais l'essentiel demeurait inexpliqué. Entre-temps, l'empereur s'était levé, prêt à partir. C'est alors que le plus hardi des cadors gouvernementaux s'éclaircit la gorge et demanda avec précipitation : "Chacun d'entre nous a compris ce qu'il devait faire, mais...nous aimerions comprendre quel est l'objectif ultime de notre travail?" L'Empereur s'immobilisa une fraction de seconde et prononça distinctement : "L'Ukraine toute entière".
Commenter  J’apprécie          323
J'essayais de lui expliquer ce que c'était qu'un poème : non point des mots, ni même des idées, ni un récit - qu'il ne fallait carrément pas leur chercher un sens - mais un souffle qui, pris dans un lacet, était parvenu à s'en extraire et à s'envoler au milieu d'un tournoiement de plumes multicolores.
Commenter  J’apprécie          295
Dans le monde du showbiz russe, tu pouvais dire que, quand tu étais enfant, tu vais arraché la tête d'un pigeon avec les dents ; que ton enfant illégitime vivait en orphelinat ; que tu avais goûté du sang humain et aussi tous les autres liquides humains ; que tous tes autres enfants avaient été conçus de manière artificielle ; que tu avais trois citoyennetés et pas une seule citoyenneté russe, parce que la Russie n'était pas un pays, c'était du dégueulis qu'il fallait nettoyer avec de la poudre et que tu avais déjà la poudre ; que tu avais trois tétons, deux nombrils, ainsi que des suçoirs spéciaux sur le corps...Mais se rendre au Donbass, mon Dieu ! c'était épouvantable, c'était impossible.
Commenter  J’apprécie          297
Sur la fenêtre, entre les deux battants, il y avait un bocal d’un demi-litre où surnageait un cornichon solitaire complètement ramolli, couvert d’une moisissure duveteuse, si blanche, que le Père Noél aurait pu en être. jaloux........Dans un coin suintait un robinet. L’évier était rempli d’une montagne de légumes à moitié pourris. Sur ces légumes grouillaient toutes sortes de bestioles ailées où à antennes.
Commenter  J’apprécie          290
Dans les rues, les jeunes femmes russes, sensibles à l'appel du printemps, portaient déjà des jupes et des chaussures fines. Les hanches ardentes des plus belles semblaient équipées d'un élégant balancier. Si son mouvement n'avait aucune précision ni fiabilité, en revanche, il offrait toujours de l'espoir.
Je suivis l'un d'entre eux, logé dans une jupe marron en stretch et je compris que ce balancier ne m'intéressait pas et que les espérances promises n'avaient pour moi aucune importance.
C'est bien de rester sans espoir, lorsque le cœur vide n'est rempli que d'un léger courant d'air. Quand on prend conscience que tous les êtres qui vous ont tenu par la main ne vous retiendront plus, et que vos poignets glissent de leurs paumes.
Commenter  J’apprécie          292
Le prêtre prit la place de celui qui était mort cette nuit-là.
Plusieurs détenus s'approchèrent de lui pour qu'il les bénisse, il les plaignait tous, leur caressait la tête.
(...) On avait l'impression que tout ce lieu s'était rempli des paroles du prêtre. Elles bruissaient comme des feuilles d'automne qui tombent. Lorsqu'il y avait un courant d'air, les mots s'envolaient jusqu'aux voûtes et se remettaient à tourbillonner doucement. On aurait pu attraper chacun d'eux dans sa paume. S'il y en avait un qui tombait dans un rayon de soleil, on voyait sa chair très fine parcourue de veines bleues. p 565-566
Commenter  J’apprécie          290
Sur le bas-côté, il y avait deux filles qui semblaient indifférentes à tout, et dont les jupes auraient fait une octave et demie si, de ses doigts, on les avait mesurées sur un piano.
Commenter  J’apprécie          283
En une heure, il parvint à rêver d'un oeuf dur -- un oeuf tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Son jaune brillait de l'intérieur, comme s'il était rempli d'or, c'était chaud, c'était tendre. Artiom l'effleura pieusement de ses doigts et ses doigts se réchauffèrent. Il le cassa avec précaution, le blanc se coupa en deux, dans l'une des deux moitiés reposait le jaune, impudemment nu, excitant, comme animé de pulsations -- on aurait pu dire, avant de l'avoir goûté, qu'il était inexplicablement doux et moelleux, jusqu'à en donner le vertige. De quelque part, dans son rêve, apparut du gros sel, et Artiom sala l'oeuf, en voyant parfaitement tomber chaque grain, et le jaune devenir argenté : de l'or plein de douceur dans de l'argent. Pendant un moment, Artiom regarda l'œuf ouvert, incapable de décider par quoi commencer -- le blanc ou le jaune. Dans une attitude de prière, il se pencha vers l'oeuf afin de lécher le sel, d'un geste délicat.
Il se réveilla en sursaut, et comprit que c'était sa main salée qu'il était en train de lécher. p 29
Commenter  J’apprécie          283
A midi moins trois, frais, les yeux clairs, j'entrais au café, je me commandais un verre de vodka et un demi-litre de bière blonde.
Je m'asseyais toujours sur un haut tabouret, face au barman ; c'est mieux si le barman est une femme, mais un homme, ça va encore. Il ne faut pas boire en face d'un mur aveugle, et dans le silence en plus : c'est une règle, et même deux, auxquelles il ne faut jamais déroger.
(mais on peut boire de la vodka avec de la bière, il n'y a rien de mal à cela.)
Commenter  J’apprécie          261
Je vivais seul à cette époque-là et je dormais seul : sinon, comment voulez-vous qu'il y eût un été d'ivresse ? Ceux qui sont encombrés d'une femme ne savent pas boire. Ils ne boivent pas, ils tourmentent leur femme. Ce sont des occupations très différentes.
Commenter  J’apprécie          261
-- On t'a frappé là-bas ? Qu'est-ce qui t'est arrivé ? demanda-t-elle doucement, et elle s'accroupit à côté de lui.
Ce mouvement précis, empreint de féminité, très beau, découvrit ses genoux et la ligne de ses hanches, pourtant cachés sous la jupe. Et même s'il ne redonna pas à Artiom le sentiment d'une autre vie possible, paisible, physique, source d'aucune douleur, il lui avait au moins rappelé son existence. p 640
Commenter  J’apprécie          250
J'aime l'odeur d'un lendemain de cuite entre jeunes gens : je trouve même cela esthétique, lorsque de ses draps se lève un homme frais comme un gardon et qu'il court sous la douche en se moquant de l'image qu'il a donnée de lui, la veille.
Commenter  J’apprécie          240



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Zakhar Prilepine (241)Voir plus

Quiz Voir plus

Les savants dans la Bande Dessinée

Ce personnage d'un « comic strip » français muet en quatre images a été créé et dessiné par André Daix en 1934. Avec plus de 13.000 aventures sur près de 60 ans, cette série reste la plus publiée dans les quotidiens français et la plus populaire.

Le Professeur Nimbus
Le Professeur Stratus
Le Professeur Cumulus
Le Professeur Cirrus

12 questions
93 lecteurs ont répondu
Thèmes : science , bande dessinée , savants , personnages , Personnages fictifsCréer un quiz sur cet auteur

{* *}