Citations de Zeina Abirached (76)
Avoir l'accent, enfin, c'est, chaque fois qu'on cause, parler de son pays en parlant d'autre chose...
Il aurait voulu plonger dans ses livres. Être traversé par leurs lettres et nager dans un océan sans ponctuation.
Khaled racontait qu'il était né au Texas. Pour les beaux yeux de Linda, disait-il, il avait consenti à vivre ici.
Il racontait que là bas, il y avait un très beau phare,
une grande roue, une corniche de bord de mer, des restaurants, des magasins illuminés
des marchands ambulants, des cafés trottoirs
et surtout, les meilleurs "merry creams" du monde.
" ...et la Méditerranée à perte de vue! "
Le Texas ...C'était ce que Khaled avait trouvé de plus éloigné pour désigner le quartier de Beyrouth-ouest où il avait vécu et dont la guerre l'avait privé.
Un jour elle en a eu assez
Elle a décidé de m emmener chez le coiffeur (…)
Je croyais que le coiffeur avait le pouvoir d’ allonger les cheveux (…)
Il m’a laissé avec un gros chagrin
et une tête de mouton !
Héberger un mouton sur ma tête n’est pas toujours commode.
J’ai tout fait pour me débarrasser de lui !
Je me souviens de juillet 2006.
Je suis à Paris, ils sont tous là-bas.
Il y a vingt ans déjà, ma plus grande angoisse était de les perdre.
Je me souviens que ma mère m'envoyait plusieurs textos par jour...
...pour me rassurer.
Mais je sais que ce qu'ils ont vécu est dans tous les textos qu'elle ne m'a pas envoyés.
S'il existait un métronome pour le cœur des hommes, il aurait indiqué qu'Abdallah était tout allegro, avec de soudaines pointes presto...
Et cela ne facilitait pas la vie à Victor qui affichait, lui, l'imperturbable adagio
des personnes habituées aux voyages.
Victor Challita était le premier grand copain d'Abdallah.
Autant dire que ça faisait un bail qu'ils s'accordaient.
Je me suis rendu compte que le français
et l'arabe sont intimement liés en moi
inextricables, le français
et l'arabe sont ma langue.
Je tricote depuis l'enfance une langue faite de deux fils fragiles et précieux.
Il y a deux jeux de mikados renversés en vrac dans ma tête.
C'est l'ADN de ma langue maternelle.
Ernest, qui était bien trop timide pour regarder les clientes,
soulignait des passages entiers de texte... Et son crayon bien taillé faisait un joli bruit sur le papier un peu grêlé de ses livres en français dont il découpait une à une les pages avec le coupe-papier [...].
Il aurait voulu plonger dans ses livres
être traversé par leurs lettres.
Pour éviter le franc-tireur, les habitants du quartier avaient mis au point un système de circulation entre les immeubles. Pour traverser les quelques rues qui nous séparaient, il fallait respecter une chorégraphie complexe et périlleuse
Abdallah n'aimait pas beaucoup les grands magasins
il aimait
repérer un article,
lui tourner autour,
l'essayer,
réfléchir,
réfléchir,
réfléchir encore...
Et revenir plus tard pour l'acheter enfin.
Ce qui passe par le regard en Orient passerait donc par la parole ou l'ouïe, en Occident...
Je tricote depuis l'enfance une langue faite de deux fils fragiles et précieux.
Je suis née avec plein de cheveux sur la tête.
Puis j ai grandi
Et ça ne sest pas arrangé.
Je me souviens
Que ma mère passait des heures entières tous les matins
À essayer de dompter mes boucles.
Beyrouth est notre étoile. Je porte le deuil de ces souvenirs qu'on m'a confisqués. Mais que ceux qui œuvrent à la destruction de notre passé se rassurent : quoi qu'ils fassent, et même si je n'ai plus mes yeux pour voir, Beyrouth m'habite. Elle est hors de l'espace et du temps.
Dans ces livres scolaires, je me suis construit mes premières images de la France.
La France était une cou d'école enneigée...
où les écoliers étaient vêtus de "pèlerines" noires,
où poussaient de grands marronniers,
dont le maître d'école secouait les branches
pour faire tomber les marrons dans la neige, à la plus grande joie des enfants.
C'était exotique, paisible...et rassurant.
- (...) Vous les jeunes, vous pouvez encore partir et sauver votre avenir !
- Ou rester... et essayer de sauver le pays !
Mais tu sais, parfois, je me dis que c'est peut-être eux qui ont raison.
Et puis, qui sait, si j'avais un enfant, peut-être que j'aurais tout fait
pour partir moi aussi. Après tout, cette guerre qui a pris Papa, elle ne
me concerne pas.
Un piano oriental... cette étrange juxtaposition de deux visions du monde que rien ne semble pouvoir lier, sa musique double, le son léger du déhanchement inattendu d'une note au milieu d'une phrase. Je les porte en moi.
S'il existait un métronome pour le cœur des hommes, il aurait indiqué qu'Abdallah était tout allegro, avec de soudaines pointes presto...
Je suis partie sur la pointe des pieds, laissant la ville se réveiller sans moi
Qui suis-je ?
C'est une question que les autres posent.
Moi, je suis ma langue.
Mahmoud Darwich
(Citation du début)