Citations de Zoé Oldenbourg (21)
La nuit était froide et sans lune. Mais il y avait tant d'étoiles qu'il semblait ne plus y avoir de place pour un coin de ciel noir. Il n'y avait qu'à regarder fixement pour en voir apparaître encore et encore ; parmi les grandes aux rayons jaunes et bleus et verts qui tremblotaient et clignotaient, il y en avait des milliers de petites, toutes blanches, comme du fil d'argent dans un tissu de brocard ; et la grande route de Saint-Jacques s'étalait toute parsemée de gemmes comme un long drap d'autel tout blanc. Couché par terre dans les herbes sèches, la tête renversée en arrière, Auberi regardait, s'efforçant de comprendre comment toutes ces lumières tenaient ensemble, il lui semblait entendre ces cascades d'étoiles rouler lentement et se déverser quelque part derrière la terre dans un gouffre au bout du monde.
Zoé Oldenbourg est une femme de lettres russe, historienne et romancière.
Elle naît en 1916 à Saint-Petersbourg. Elle passe une partie de son enfance en Russie, avant de venir s'installer définitivement avec sa famille en France (1925).
Passionnée d'histoire, elle devient spécialiste de la France médiévale, plus particulièrement des Croisades et de la société cathare.
Elle publie plusieurs romans, dont La pierre angulaire, avec lequel elle obtient le Prix Femina en 1953.
Le repas était long, et les viandes étaient apportées sur les tables, par ordre d'importance, la volaille d'abord, puis le menu gibier, puis les cerfs et les chevreuils assis comme vivants sur des plats longs d'une aune, dressant leurs têtes graciles, ornées de verdure et de rubans, les cornes dorées, et autour de leurs flancs les épices étaient disposées sur de larges feuilles de vignes faisant des arabesques noires et rouges en forme de plantes ou de bêtes. [...]
Pour le dessert, il y eut des cygnes, et des paons à la queue déployée, et de petites cailles posées en essaims sur les herbes épicées. Puis il y eut des fruits confits, et du miel servi dans des petits pots de couleurs vives, et de la pâte d'amandes.
Comme la fête ne devait pas être seulement pour la bouche et les yeux, mais aussi pour les oreilles, la musique était douce, et devant chaque table les vielleurs et les luthiers jouaient des airs nouveaux, les faisant accompagner de chant.
Le mal appelle le mal, et du mal il ne sort que du mal, jusqu'à ce que les temps soient révolus.
Mon Dieu, pour tous les brûlés de ce monde, pitié. Mon Dieu, pour tous ceux qui ont aimé autre chose que le monde, pour tous ceux qui ont aimé. Pour tous ceux qui avaient quelque chose de vrai à aimer.
Car ils furent un sur mille, et il n'y en eut pas plus de dix mille dans tout le pays, en cent ans.
Et parmi ceux qui les regardaient brûler, personne n'osait dire : "On les a condamnés à tort."
Écoute, Auberi, un enfant, vois-tu, c'est pire qu'une bête, parce que c'est plus rusé et plus paresseux. On ne fait jamais rien de bon d'un enfant qui n'est pas tenu durement.
On dit qu'un maître trop doux fait de mauvais serviteurs.
Songez que je suis votre dame et votre seigneur, puis-je être pour vous comme une autre femme ? Pour vous tous, la femme est une marchandise qu'on peut acheter, les moins chères avec de l'argent, les autres avec des chansons et des promesses, et des services, et une longue attente. Mais dans le fond, vous ne voyez pas de différence.
Toi qui est la loi inéluctable contre laquelle je ne peux pas tricher, toi qui est la lumière par laquelle je vois le monde. Tu es ma limite en ce monde comme je suis la tienne, mon dur contact avec ce monde sans lequel nous ne sommes que des ombres.
Comme il est difficile cet amour où l'on paie avec sa chair et son âme jusqu'à l'air qu'on respire.
Comme il est beau ce monde où l'amour est acheté si cher. Ce monde où la flamme brûle, où la pierre meurtrit. Car nous sommes l'un pour l'autre flamme, pierre, pain et eau, tant nous sommes vrais l'un pour l'autre.
Sachez, seigneur chevalier, que la première règle de courtoisie est de ne pas blâmer les dames et le libre choix de leur cœur.
Un homme se méfie souvent de ceux qui ont intérêt à le voir mourir.
Il y a eu des saints qui ont aimé Dieu en croyant n'aimer que les hommes, et même des poètes qui ont eu du génie en croyant ne chanter que la femme aimée.
Ce n'est pas une critique. C'est plutôt pour confirmer ce que dit le résumé qui accompagne la présentation du livre. C'est tout à fait çà. J'ai vraiment lu ce livre avec beaucoup , beaucoup d'intérêt et je regrette de ne pas trouver les mots nécessaires pour attirer l'attention des lectrices et lecteurs pour qu'elles (ils) le lisent. Du moins celles et ceux que le passé intéresse, bien entendu.
Nos villes se détruisent ainsi peu à peu, nos vieux quartiers et les derniers petits espaces verts. Le "progrès" ? Vers quoi ? Ce n'est que l'image visible de l'évolution de notre civilisation mortelle. Allons-nous (il y a beau temps qu'on le dit) vers "Le Meilleur des mondes", "Fahrenheit", "1984", etc ? Qui, déjà, peut-être, à certains jeunes d'aujourd'hui paraissent plus compréhensibles que Shakespeare et Proust. Nous y allons malgré la visible horreur, l'effroi, le désarroi qui de plus en plus saisissent les jeunes (ne parlons pas des vieux), parce que les moyens techniques sont devenus si puissants qu'il ne suffit pas de volontés humaines pour les enrayer dans leur course.
Écrit en 1976 !!!
L'admiration la plus passionnée nous pousse non pas à écrire comme tel auteur, mais autrement que lui, car le propre d'une grande oeuvre est de rendre tout désir d'imitation impossible. L'influence de tel ou tel maître est comme un fleuve souterrain, qui forme votre sensibilité à votre insu. Consciemment, c'est toujours contre lui que vous écrivez. Donc, ce qu'on appelle les grands modèles ne sont pas des modèles du tout.
Quel que puisse être le sort réservé pour l'éternité à l'âme de Simon de Montfort, ceux qui admirent Napoléon, César, Alexandre et leurs semblables ne sauront, en toute justice, refuser leur admiration à ce grand soldat ; les autres sont libres de constater qu'il fut, somme toute, un être assez médiocre, choisi pour une besogne cruelle dont il s'est acquitté du mieux qu'il a pu. La responsabilité morale de ses actes lui incombe bien moins qu'à ceux qui avaient pouvoir de les bénir et de les absoudre au nom de Jésus-Christ.
La nécessité de lutter pour les plus élémentaires besoin de la vie quotidienne enrichit l'homme autant qu'elle l'asservit ;
Si [...] la vie des peuples d'Occident ne semble pas avoir été profondément influencée par le drame des croisades (sauf peut-être, brièvement, en 1190), le sentiment de la supériorité latine, de l'imprescriptible et implicite droit des peuples catholiques à la domination du monde faisait souterrainement son chemin dans les consciences grâce à ces guerres lointaines et en apparence gratuites au cours desquelles une chevalerie latine avait pendant près d'un siècle possédé le Saint-Sépulcre.
Les bêtes se mangent entre elles, mais l'homme est pire, car le mal qui est en lui est sans limite et sans nom.
La vie animale est abondamment figurée dans la sculpture romane.
Qu'il s'agisse d'animaux exotiques - comme les lions (ci-dessous) - ou fantastiques, les sculpteurs avaient une prédilections pour toutes les formes de représentation de la faune.
Ce goût s'explique par la conception philosophique et théologique des penseurs du Moyen Age.
On sait que Vincent de Beauvais, au XIIIe siècle, distribuait la connaissance du monde en quatre miroirs : miroir de la nature, miroir de la science, miroir moral et miroir historique.
Cette classification regroupe la diversité des thèmes traités dans la sculpture et la peinture médiévales.
Le miroir de la nature rappelle l'œuvre de la Création.
Toutes les images de la vie humaine, animale et végétale, même dans leurs aspects les plus étranges, sont représentés pour glorifier le Créateur.
L'art roman replace toujours l'homme au milieu de l'univers en soulignant la diversité des êtres vivants.
C'est selon ce principe que les peuples les plus extraordinaires du monde figurent au tympan de Vézelay.
Les sculpteurs sont plein de curiosité pour les formes animales étonnantes qu'ils découvrent sur les manuscrits orientaux.
Ce bestiaire exotique, propre à déclencher leur imagination, s'épanouit sur les sculptures des églises.
Pour l'homme médiéval, les êtres mystérieux de l'univers soulignent le mystère de la création divine.
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