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Critiques de Ödön von Horváth (30)
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Un fils de notre temps

Une oeuvre posthume de Horvath, parue quelques jours apres son accident mortel a Paris, en 1938.





En une trame parfaitement organisee, en un texte concis mais detaille, et surtout en une langue seche, precise, sans aucune fioriture, un jeune homme se raconte, trace la tragedie d'un “fils de son temps", ou la misere, le manque de travail, l'incertitude quand a un quelconque avenir l'amenent a s'enroler dans l'armee, une infrastructure securisante, embrigadante, qui lui enleve toute possibilite de pensee personnelle, qui change le sens des mots, ou le mal devient le bien et l'injustice est tenue pour justice. Une armee qui en fait un “volontaire" pour des actions inavouables. Une armee qui le jettera quand elle ne pourra plus se servir de ce “volontaire". C'est alors qu'il s'apercoit que tout son entourage, toute la societe, se sert des memes mots, des memes slogans, tous sont embrigades. L'individu “n'a aucun protagonisme", il est devenu completement vulnerable aux delires collectifs, de la compagnie qui lui pourvoie du travail, de l'armee, du parti, du peuple. Toute personnalite autonomiste, ou differente, ou simplement faible, est balayee, jetee aux orties. Prenant conscience de cela il tentera sa petite revolte personnelle. Il en mourra.





C'est raconte a travers une sorte de monologue altere, adultere. Les pensees du heros se melangent a ses paroles, quand il se parle a lui-meme ou quand il s'adresse a quelqu'un d'autre, ainsi qu'aux reponses des autres. le tout en phrases tres courtes, laconiques, des fois un seul mot. Pour peu que nous ayons quelque memoire ou quelque savoir historique nous reconnaissons ces mots, ces phrases, ces slogans: ils sont intoxiques par l'ideologie ambiante, meme quand le heros pense s'opposer a elle.





C'est un livre sans espoir, et meme quand il introduit des personnages positifs (le capitaine qui se suicide quand il se rend compte de l'abjection des ordres qu'il recoit, la jeune Anna, le seul personnage qui ait un nom, le seul personnage qui sourit au heros) il ne fait que renforcer l'impression de desastre, son caractere apocalyptique. Deja sans espoir, quand il est ecrit en 1937-1938, comme un prelude a la catastrophe qui est sur le point de s'abattre sur le monde.





Horvath avait ecrit dans sa jeunesse quelques pieces de theatre. Avec l'avenement du hitlerisme il se met a la prose et devient un lucide chroniqueur de la societe changeante qui l'entoure et qu'il est vite force de fuir. Il arrive a reproduire, a travers les us du langage fasciste, l'ascendant de ces partis sur les individus. Si dans “Jeunesse sans Dieu” le heros avait un rapport ambivalent envers ce langage et envers le parti, dans ce livre ce sera un homme qui s'enthousiasme pour les nouvelles idees, pour les nouveaux slogans, et qui restera impregne par ce discours meme quand il dechantera.





Horvath est plus qu'un bon ecrivain. C'est un courageux “fils de son temps". Il reste pour moi un ecrivain de notre temps.

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Jeunesse sans dieu

Encore une lecture que je dois a Danilo Kis qui, dans la nouvelle "L'apatride", racontait les errances et la Mort d'Odon von Horvath. Je te remercie, Danilo. Benie soit ta memoire.





Un prof d'histoire-geo dans une Allemagne qui commence a se nazifier. Ses eleves sont influences par les slogans que tonnent partout les haut-parleurs du regime. Ils veulent servir la patrie, se preparer a la guerre. Un prof mal vu, pointe du doigt pour avoir soutenu que les noirs ne sont pas des "infrahumains". Mais il s'accroche a son poste: il faut bien vivre. Il accompagne ses eleves en colonie de vacances, qui est en fait un camp d'entrainement para-militaire. Un des eleves y est assassine mysterieusement, et le prof est implique. Il s'evertuera a trouver le coupable et y arrivera finalement, mais marque comme "antipatriotique", il ne pourra continuer a enseigner et devra s'exiler en Afrique, chez "ses" noirs.





Un court roman ou Horvath essaie d'expliquer la genealogie du nazisme, comment tout un peuple se livre corps et ame a une ideologie raide, autoritaire, butee, comment il idealise un plebeien moyen, eleve au rang de "plebeien supreme" (le titre dont Horvath affuble le dictateur sans nom). Comment ce peuple s'abetise, plus, se bestialise. Et c'est ecrit en 1937!





Horvath ecrit dans un style simple, epure, sans fioritures, en courtes phrases. Quand il transmet les pensees de son heros c'est par une sorte de court dialogue interieur, par questions-reponses, par affirmations succintes, tres loin des monologues interieurs ou courants de conscience auxquels d'autres nous ont habitues. Je qualifierais son ecriture de naive, sachant quel travail, quelle intelligence, quel art, requiert ce semblant de naivete. Et cette simplicite, cette economie de moyens servent tres pertinemment le dessein de l'auteur.





Ecrit en 1937, ce livre ne peut etre publie a Vienne, ou habite Horvath. Il doit s'exiler, le faire paraitre en Hollande, puis rejoindre Paris, comme nombre de ses compatriotes. C'est la qu'un jour d'orage une branche de marronnier s'abat sur lui et le tue, dans les Champs Elysees. C'etait en juin 1938. Il n'avait pas 38 ans.





Jeunesse sans Dieu est un livre de combat. Cela suffirait pour que je le conseille. En plus il est ecrit admirablement, en une prose qui se veut maigre mais n'est jamais ni plate ni dessechee, une prose qui sert, epaule et soutient le message de l'auteur, qui enrichit ce message. Une prose qui, sans flatter le lecteur, est a meme de le seduire. Un style tres special, que j'ai trouve fascinant. C'est donc pour lui aussi que je conseille ce livre.
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Un fils de notre temps

Curieuse expérience que la lecture de ce court récit, écrit en 1938 par un auteur qui mourra la même année sur les Champs-Elysées, frappé par une branche d'arbre lors d'une tornade ( ! ).



Sur 150 pages, on suit l'évolution intellectuelle d'un narrateur anonyme, jeune chômeur miséreux qui trouve un sens à son existence en intégrant l'armée. Sans que cela soit jamais précisé, on sait que l'on est dans l'Allemagne nazie d'avant-guerre ; et plus que les aventures de ce jeune soldat, c'est leur contexte qui rend ce livre si particulier.

Car la force d'Odön von Horvath est de décrire le nazisme de l'intérieur, ses rouages et ses mirages, sans jamais s'appesantir sur les détails, sans jamais dénoncer frontalement ; tout n'est qu'ombres, regards et ricanements, comme dans un film expressionniste en noir et blanc. D'ailleurs, les freaks sont nombreux dans ce récit, entre monstres de foire et éclopés de guerre, mais leur apparence est moins effrayante que ce qui gangrène l'esprit d'un peuple qui renonce à penser et consent à nier l'individu. Ecrire cela en 1938 était courageux ; le lire en 2022 fait frissonner, tant les similitudes avec notre époque peuvent interpeler. En outre, j'ai été surprise par les considérations anti-capitalistes de l'auteur : "L'individu ne joue plus aucun rôle (...). Nous devons être rentables, la lutte commerciale est aussi une guerre, mon cher Monsieur (...)". Bigre, ce roman est décidément toujours d'actualité !

J'ai bien aimé le style de Horvath, qui était surtout dramaturge. Les phrases sont courtes, elles se conjuguent au présent comme si on était éternellement dans la tête du narrateur, qui est d'une franchise déroutante, doublée d'une morgue inhérente à la jeunesse. C'est parfois déstabilisant, mais le propre d'un bon livre n'est-il pas de bousculer le lecteur ?



"Un fils de notre temps" est un récit noir, mais fascinant et jamais plombant. La seule chose gênante, à mes yeux, est la contemporanéité de son titre ; le lire et le faire lire en cette année électorale pourrait être une bonne idée.
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Figaro divorce

La date de l'écriture de la pièce varie suivant les sources entre1935 et 1937), en tous les cas à un moment où l'auteur a fui l'Allemagne, à cause de la montée du nazisme. Figaro divorce est crée à Prague en 1937.



Ödön von Horváth reprend dans son œuvre un certain nombres de personnages de la pièce de Beaumarchais, Le mariage de Figaro. Les deux titres se répondent : au mariage du premier s'oppose le divorce du second. Nous sommes donc quelques années après, la Révolution gronde, et le comte et la comtesse Almaviva fuient leur pays pour se réfugier en Allemagne. Suzanne et Figaro, mariés, les accompagnent. Suzanne par attachement, Figaro pour suivre sa femme. La situation matérielle du comte et de sa femme se dégrade rapidement. Figaro décide de les quitter et de reprendre une boutique de coiffeur dans une petite ville. Sa femme l'accompagne, même si elle est pleine de doutes. Les relations se dégradent rapidement entre les époux, et l'accueil dans la petite ville est loin d'être chaleureux pour ces immigrés. Suzanne rejoint le comte (la comtesse est morte entre temps) et travaille dans un bar tenu par Chérubin. Figaro décide de revenir dans son pays, dans lequel la révolution passe à une nouvelle étape, dans laquelles « les repentis » peuvent retrouver une place. Figare devient ainsi l'intendant du château du comte, devenu entre temps un orphelinat pour les pupilles de la nation. Le comte et Suzanne finissent eux aussi par revenir, mais la réconciliation semble impossible.



Il est très difficile de résumer cette pièce, composée de courtes scènes, d'une grand intensité, qui suggèrent à travers une situation, énormément de choses à chaque fois. Même s'il situe sa pièce au XVIIIe siècle, von Horváth s'inspire à l'évidence de la montée du nazisme en Allemagne, mais, et c'est sans doute la très grand richesse de ce théâtre, il crée une situation prototypique, qui pourrait s'appliquer à énormément de lieux et de temps différents. Ce qu'il met en évidence, ce sont des mécanismes, au-delà d'événements précis et anecdotiques. Le discours de Figaro à sa prise de fonction dans l'orphelinat, est un exemple de manipulation de foules, inquiétant et d'une efficacité redoutable, qui pourrait être mis dans la bouche de n'importe quel dictateur de n'importe quel temps. Il y a aussi une analyse de l'exil, de ce qu'il suppose, chez les exilés, mais aussi chez les gens qui les accueillent, le moins que l'on puisse dire, pas forcément de bon cœur. La peinture de la petite ville allemande est effrayante, et aussi la façon dont Figaro refuse de le voir, essayant à tout prix de « s'intégrer » au risque d'y perdre son âme. Aux passages qui semblent réalistes, se superpose une dimension conte, présent en particulier chez certains personnages, comme le garde chasse et la sage femme, les scènes dans le forêt également, mais un vrai conte à l'ancienne, effrayant, qui remue les peurs ancestrales, qui évoque la mort.



Nous sommes très loin d'un Figaro plein de vitalité et de ressources, il y a quelque chose de mortifère et de malsain dans le personnage, et c'est pourquoi Suzanne qui ne le reconnaît plus, décide de le quitter. Les femmes semblent garder chez von Horváth davantage de lucidité et de bienveillance, d'humanité pourrait-on dire, tout en subissant un sort encore plus lourd que les hommes.



C'est terriblement pessimiste, très juste et dense. Une immense pièce.
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Légendes de la forêt viennoise : Pièce populaire ..

Un naufrage sur un air de Strauss joué sur un piano déglingué



Marianne croit pouvoir briser ses chaînes, échapper à une vie étriquée et mesquine, elle croit au grand amour qu’elle éprouve pour Alfred, qui la rend « si grande et si vaste », et rompt ses fiançailles avec son voisin, Oscar, le boucher.



Mais, dans cette Vienne des années 20, l’heure n’est pas à l’émancipation, et les amours de Marianne virent au désastre.



Une peinture sombre et amère de la puissance délétère du carcan social et des travers petits-bourgeois.



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L'institutrice

Il s’agit en réalité d’une esquisse de pièce, l’oeuvre n’a jamais été achevée. Elle a été publiée pour la première fois en 1970. Ödön von Horváth s’est sans doute inspiré d’un cas réel, celui d’une institutrice Elly Maldaque. Il a pu avoir connaissance de sa situation alors qu’il travaillait pour la Ligue allemande des droits de l’homme en 1926-1927 à Berlin.



Nous avons donc quelques scènes, dont certaines ont deux versions. Dans un premier temps, nous faisons connaissance avec Ella et son amie Eva tout juste sortie de prison. Ella a rejeté son éducation chrétienne ; son soutien à Eva lui vaut une perquisition, une phrase dans son journal intime qui laisse penser à une sympathie communiste, provoque son licenciement de l’enseignement. Elle tente de faire valoir ses droits, soutenu dans un premier temps par un journaliste. Mais très vite des menaces se précisent sur ceux qui l’aident, ses démarches se heurtent soit à une indifférence dissuasive, soit à une violence feutrée. Elle finit par perdre son calme et à être internée comme dangereuse.



Ce n’est qu’une ébauche, mais c’est d’une grande force. Ödön von Horváth met à nu un système de violence institutionnelle d’état, la façon dont elle fait plier les individus pour en devenir des rouages, et élimine ceux qui ne veulent ou ne peuvent rentrer dans le rang. Certaines répliques font froid dans le dos, en particulier par leur actualité. Puissant.
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Théâtre complet, tome 4

Allers-retours





Une pièce écrite en 1933 par un auteur d’origine hongroise, mais de langue allemande, sujet de l’empire austro-hongrois à la naissance avant que cet état ne disparaisse.



Havlicek, commerçant en faillite, est expulsé du pays où il réside et dans lequel il est arrivé presque à la naissance. Mais voilà que le pays où il est né a changé ses lois : pour garder sa nationalité, Havlicek aurait dû en faire la demande. A défaut, il se retrouve apatride. Et il ne lui reste plus qu’à faire des allers-retours sur le pont qui sépare les deux pays. Un certain nombre de personnages assistent à l’affaire, où vont jouer un rôle dans le destin de Havlicek : un couple en villégiature venu pêcher, les douaniers ou gendarmes préposés à la frontière, la fille de l’un d’entre eux amoureuse du préposé de l’autre côté, des trafiquants de drogue…



Une situation absurde, un personnage perdu, écrasé, mais aussi une incontestable drôlerie, un décalage permanent. C’est très fort, sans être pesant. L’indésirable permet de nouer des liens entre les deux rives et résoudre des problématiques avec lesquels les personnages ne se sortent pas. Les personnages qui ont un statut social qui paraît stable sont presque plus désarmés que l’homme sans place. Von Horvath ne pousse pas l’aspect tragique jusqu’au bout de ce qu’il pourrait être, ce qui ne l’empêche pas d’être suggéré d’une façon marquée. La pièce est rythmée, savamment construite l’air de rien et avance petit à petit vers son dénouement, en machinerie d’une grande efficacité. C’est virtuose.
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Jeunesse sans dieu

C'est un nouveau coup de cœur que je viens de terminer !

Je ne connaissais pas Ôdön von Horvath, son nom m'était inconnu jusqu'alors... et quel tort ! Sa plume ne fait pas grand bruit, mais pourtant quelle pertinence !



Ce livre a été écrit en 1938 en Allemagne, le narrateur est un jeune professeur qui est en proie a un violent décalage avec ses élèves. En plein questionnement sur sa "foi" (après avoir vécu une guerre), il doute que la jeunesse croie encore en quelque chose... Montée du nihilisme, ou d'un idéalisme assez singulier...

Ce roman fait écho en nous, ne serais-ce que pour l'attitude des générations précédentes à l'égard d'une jeunesse que l'on ne comprend pas, qui nous est étrangère...



A lire sans plus tarder, les chapitres sont très courts (le plus long fait 9 pages !) et l'histoire vaut le détour. La réflexion sur Dieu peut en irriter certains, cependant en cette période troublée de l'histoire cela offre une clé de lecture pour la pensée de l'époque.



Bref, à lire d'urgence !
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Théâtre complet, tome 1

La pièce Le Belvédère a été écrite pour une création prévue à Dresde en 1929. Elle a été finalement éditée en 1970 et jouée pour la première fois en 1969 à Graz. le village d'Europe centrale dans lequel Ödön von Horváth situe l'action a été inspiré par Murnau en Haute-Bavière, que connaissait très bien l'auteur. Certains personnages de la pièce peuvent même être identifiés, comme le garçon Max, qui aurait eu pour modèle un serveur impertinent, qui avait l'habitude d'effectuer son service sans chaussures.



Le premier acte expose la situation. Strasser, le propriétaire de l'hôtel du Belvédère est au bord de la faillite. Il a une seule cliente, Ada, baronne von Stetten. La vieille femme appâte tous les hommes présents par sa fortune, en a fait ses amants, et les manipule avec cruauté. En plus de Strasser, il y a Max le garçon, et Karl, le chauffeur. Ils sont tous les deux un passé trouble. Arrive Müller, un représentant, qui réclame de l'argent à Strasser, qui ne peut le payer, puis Emmanuel, le frère d'Ada, qui a besoin d'argent ; sa soeur joue avec lui, ne lui disant ni oui ni non. L'acte se termine par l'arrivée de Christine, une jeune femme pauvre, avec qui Strasser a eu une liaison.



Au deuxième acte, l'action se resserre autour de Christine. Ada veut que Strasser la mette à la porte, Emmanuelle suggère que les hommes présents fassent semblant de reconnaître en elle une ancienne maîtresse, ce qui permettra à Strasser s'en débarrasse sous prétexte de mauvais conduite. Les hommes s'en donnent à coeur joie sous le regard goguenard d'Ada. Mais la scène a une fin inattendue : Christine a hérité une jolie somme et elle était venue dans le but de remettre à flot l'hôtel de Strasser. Après le traitement qu'elle a subi, elle veut prendre le premier train le lendemain matin pour repartir.



Au troisième acte, les hommes tentent tous de convaincre Christine de prendre le train en question en leur compagnie. Ada est délaissée et humiliée à son tour. En tentant de séduire la jeune femme, chacun des protagonistes se révèle tel qu'il est. Elle décide de partir toute seule et d'élever l'enfant qu'elle a eu de Strasser.



Plus qu'une comédie de moeurs, c'est une farce cruelle. Elle met en évidence les différentes façons dont les hommes utilisent et instrumentalisent les femmes. Strasser le charmeur, au fond totalement impitoyable sous des allures avenantes, Karl qui veut s'imposer par la force, Müller qui veut les réduire à des épouses soumises et conventionnelles sans aucune liberté, Emmanuel qui veut les attirer par un titre une position sociale, des manières policées et en échanger les dépouiller… C'est à chaque fois un jeu de dupes. C'est aussi un tableau pitoyable d'une société en décomposition : le noble ruiné, décadent, prêt à tout pour conserver sa manière de vivre, l'individu dangereux et prêt à basculer dans la violence pour obtenir ce qu'il désire, et tous les autres, capables de tous les mensonges et de toutes les compromissions pour un gain plus ou moins dérisoire, prêts à s'avilir devant n'importe qui possédant un peu d'argent, la seule valeur qui a cours. Au final, l'opportunisme et l'absence de toute éthique, ne va amener tous ces personnages qu'à une impasse, à un échec sans recours.



Excellente pièce.
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Un épilogue

Un très court texte, un dialogue, écrit sans doute en 1920, publié pour la première fois en 1971. Un jeune homme, une jeune fille, presque sans visages, en tous les cas sans noms. Il sont ou ont été amoureux, elle est enceinte. Quelque chose d’étouffant semble rôder autour d’eux, sans que la nature exacte du malaise soit explicitée ; juste une mention à l’hostilité de la mère de la jeune fille. Mais leur relations, leur avenir, sont d’une certaine manière impossibles.



C’est très court, un peu elliptique, c’est juste une sorte d’ébauche. Mais, indéniablement, dès cette première tentative, on sent le potentiel, une capacité à installer une atmosphère, une ambiance, quelque chose d’impalpable mais dense.
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Théâtre complet, tome 1

Ce texte, daté de 1928, résulte de la réécriture d’une pièce créée en novembre 1927, Révolte à la cote 3018. Il est inspiré de faits réels : un accident survenu en 1925 lors de la construction d’un téléphérique censé être à la pointe du progrès. La pièce sera la cible de violentes attaques, aussi bien nationalistes, que communistes. Von Horváth s’attaque à un sujet d’actualité, il est à la recherche « d’une forme nouvelle pour le théâtre populaire ».



Nous sommes sur la chantier de la construction du funiculaire. Un homme, Schulz, se présente à la recherche d’un travail. Une altercation survient entre lui et Moser, un ouvrier, Shulz est rossé. Les ouvriers attendent la venue de l’ingénieur et de l’administrateur, qui veulent constater l’avancement des travaux. Oberle, un ouvrier expérimenté, prévoit un très prochain changement de temps, qui risque d’interrompre le chantier et les priver d’emploi. Schulz est engagé. L’administrateur presse pour terminer le chantier, l’ingénieur envisage la survenu d’intempéries qui risquent d’allonger les délais jusqu’à l’année prochaine. L’administrateur le menace de le licencier si cela devait se produire. L’ingénieur suit les ouvriers dans la montagne pour presser l’exécution des travaux. Schulz a fait une mauvaise chute, et meurt, l’ingénieur refuse que le corps soit descendu, faisant passer l’avancée des travaux avant tout. Mais la tempête arrive. Les ouvriers demandent à l’ingénieur s’ils seront licenciés, ce qu’il leur annonce brutalement. Une violente querelle s’en suit, l’ingénieur à moitié fou finit par tirer sur les ouvriers, mais chute lui aussi dans le vide.



Pièce d’une grande intensité et violence, avec la mise à nu des rapports sociaux, et aussi des contradictions et aspirations des individus. Les ouvriers luttent pour la survie, mais chacun a une position qui lui est propre, ses priorités, sa personnalité ; leurs revendications peuvent donc être contradictoires. L’ingénieur est obsédé par la réalisation de son œuvre, presque à n’importe quel prix. L’administrateur a pour seul objectif l’aspect financier de l’affaire, le reste n’a aucune importance et c’est lui qui a tout pouvoir. La catastrophe prévisible et inévitable arrive en conclusion, comme une évidence. Au-delà d’un fait divers, von Horváth met à nu des mécanismes généraux, presque abstraits, qui peuvent se reproduire d’une manière quasi mécanique dans de nombreuses situations. Implacable.
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Un fils de notre temps

Un fils de notre temps. Les enfants de nos villes. « en réalité tu découvriras l'enfer sur terre et tu mourras seul, loin de chez toi ». C'est une phrase de la campagne lancée par le gouvernement à l'adresse de ces enfants qui partent se jeter dans le gouffre de la haine. Est ce que cela est suffisant ? Que doit on dire à tous ? Que doit on enseigner à cette jeunesse, quels mots se sont trouvés absents de nos livres, de nos bouches, nous tous parents de ces enfants ?

Comment leur faire entendre que cette histoire est vieille comme le monde ? Que lorsqu'il y a une guerre c'est toujours au départ une question d'argent. Une question de draps, de poudre, d'acier, de charbon, de ciment. Que s'ils ont faim, s' ils ont froid, si ils pensent n'être rien, n'être personne, qu'ils sachent que même le dernier des pauvres chiens sait qu'il ne doit pas partager le festin d'une hyène.

Les mots absents. L'absence des mots que l'on comble, comme on remplirait une tombe. Qui efface peu à peu toute possibilité de réponse.

Ödön Von Horvath est étonnant par sa lucidité, sa clairvoyance. Son écriture est stupéfiante par son ton, sa modernité, son rythme. Il nous est entièrement contemporain. Par la façon dont il dresse devant nous l'effroyable vérité qui éclaire toute l'injustice d'une réalité.

« Lorsqu'en 1933, les nazis brûlent les livres, ceux d'Ödön von Horváth en sont. Un ami lui écrit : « L'information disant que tu n'es plus joué, « auteur dégénéré », vaut plus que n'importe quel prix littéraire. Elle te confirme publiquement comme poète ! ». »

Lorsqu'une parole est immortelle, qu'elle s'adresse à tous, quelque soit le siècle, la religion, la couleur, le sexe de l'homme, lorsque cette parole l’interpelle, et se dresse face à lui et lui rappelle qu'il n'est ni chien, ni hyène, et que son seul choix reste l'humain, alors cette parole est belle parce qu'elle est juste, et cette parole il faut la donner et la faire entendre.

« Un fils de notre temps » , création 2015, adaptation, mise en scène par Simon Delétang se joue au Théâtre des Célestins à Lyon jusqu'au 31 janvier 2015.



Astrid Shriqui Garain

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Jeunesse sans dieu

Cela change du style des vieux emmerdeurs. La jeunesse sans Dieu libère aussi des idéaux littéraires qui ne plaisent qu’aux esthètes, c’est-à-dire, à ceux qui n’aiment pas l’humain qui se cache parfois derrière l’écrivain. Les temps le nécessitaient : il fallait démystifier. Il était urgent de faire tomber un certain style d’imaginaire qui précipitait un réel effroyable.





La disparition de Dieu entraîne la prévalence d’autre chose, par exemple un demi-dieu, un dictateur. Je me demande ce qui succède au demi-dieu : la demi-merde ?

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Meurtre dans la rue des Maures

Considérée comme la première pièce de von Horváth, Meurtre dans la rue des Maures ne sera publiée qu’en 1970 et jouée pour la première fois en 1980. C’est une pièce courte, (en trois actes) et donc en principe associée à une autre œuvre lors de représentations.



Au premier acte, nous sommes chez les Klamuschke. La mère s’entend mal avec sa belle fille, la jeune fille, Ilse est courtisée par un étudiant, Müller, avec qui elle doit sortir ce soir. La venue du fils prodigue, Wenzel, alourdit encore l’atmosphère : Paul, son frère a peur qu’il ne soit venu encore une fois, pour extorquer de l’argent à leur mère. Mais Wenzel ne demande pas d’argent et semble quelque peu étrange.



Au deuxième acte, nous suivons Wenzel dans la rue. Il rôde devant une bijouterie, au rideau fermé. Des prostituées et agents de police vont et viennent, le rideau baissé, finit par attirer l’attention. Le bijoutier a été assassiné, Wenzel est le coupable, mais il réussit à s’échapper.



Au troisième acte, la police vient au domicile des Klamuschke chercher Wenzel, mais ne trouve que son cadavre : il s'est pendu. Les membres de la famille se défont encore plus.



Un univers habité par la médiocrité et la mesquinerie de la petite bourgeoisie, entre égoïsme et sentiment de culpabilité dans une société de contrôle de l’individu, aussi bien par la famille, que par les institutions (la police). Tout cela dans une atmosphère crépusculaire, en noir et blanc, comme dans un vieux film.



Sans doute pas encore complètement maîtrisé, mais prometteur.
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Jeunesse sans dieu

Il ne s’agit pas de la révolte de l’enseignant d’une jeunesse fanatisée. Pas de stéréotypes dans ce texte qui n’a rien de la fresque historique, le propos est dense, intimiste, sans pathos. Il se fait révélateur de situations et d’une période troubles – comme le sera ce meurtre, aux mobiles qui n’ont rien de politique au sens strict -, révélateur de cette société allemande entre crise économique, nationalisme et racisme. Il se fait annonciateur de jours froids, de la damnation d’un peuple, de la quête de rédemption d’un homme.



Ni l’époque ni le pays ni la doctrine nazie ne sont nommés explicitement, le lecteur sait – par l’intervention de personnages secondaires plus âgés que le narrateur y faisant référence en précisant qu’ils sont de la génération l’ayant vécue – que les faits se déroulent environ une dizaine d’années après la Grande Guerre.



Amère et cruelle lucidité dans ce roman rédigé en monologue rythmé par des chapitres courts, une narration particulière tant sont prégnantes les angoisses et les questions du narrateur : l’écriture, exigeante et incisive, néanmoins parfaitement limpide, parvient à rendre le paradoxe entre cette acuité, ce réalisme social et la forme de démence dans laquelle ces scènes, ces dialogues, semblent entraîner parfois le narrateur. Mais cette folie n’est pas la sienne. C’est en cela que son enquête sur l’assassinat de l’élève durant un camp de plein air ( d’entraînement militaire ), ses choix de vérité, se font quête. Pourtant, Ödön von Horvath ne donne pas de sens à son récit – y-a-t-il encore du sens ? « Les hommes ont perdu la tête et ceux qui ne l’ont pas perdue n’ont pas le courage de passer la camisole des fous » -, il prononce une sentence : pour jugement, l’enfer qui attend les adolescents de cette génération et leurs parents, filant non pas la métaphore du mouton mais celle du poisson, de la métamorphose en poisson, hors humanité ce corps froid au regard rond, impavide. Métamorphose, oui, il y a quelque chose de kafkaïen dans les angoisses du narrateur aux prises avec son monde, son temps.

Un roman écrit en exil en 1938 qui raconte l’égoïsme, la bêtise, la misère, la lâcheté ordinaires, le nazisme au quotidien sans le nommer, « la peste brune » qui contamine les esprits. Bien-sûr le meurtre, mais la violence de ce roman est finalement ailleurs, plus complexe malgré l'évidence, elle est grouillante, grondante. Ce malaise, le malsain, les âmes perdues, encore quelques unes avec des idéaux face à l’idéologie quelques jeunes, dans cette classe ils sont quatre, déjà, encore… Rien de sensible dans ce roman au sens premier du terme, pourtant une perspicacité au cœur des hommes, dérangeante tant elle semble juste. Et universelle.
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Dósa (fragments)

Il s’agit juste d’un fragment, datant de 1923-1924. Cela devait être un vaste « drame historique hongrois ». L’action se passe en 1495, et la figure principale, qui donne son titre à la pièce, est un personnage historique, le chef d’une révolte paysanne, mis à mort par le voïvode de Transylvanie en 1515. Le texte n’a été publié qu’en 1970.



Même si nous somme en face d’un fragment, il laisse entrevoir une grande ambition, un grand souffle. Les personnages sont nombreux, très caractérisés, entre les nobles voulant à tout prix défendre leurs privilèges, et l’entourage de Dósa, prêt à en découdre avec les précédents. Le personnage titre est dessiné de façon puissante : guerrier, indomptable, fier.



C’est frustrant de ne pas pouvoir en lire plus.
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Casimir et Caroline

Une pièce surprenante où tout dépasse du cadre.

L'histoire est des plus banales en apparence : un couple de jeunes gens se dispute, à l'occasion de la fête de la bière à Munich (1931), et pour des raisons futiles et des prétextes bancals, se séparent, regrettent, se retrouvent et se fuient.

Casimir est un chauffeur idéaliste que la désillusion d'un licenciement récent rend amer, jusqu'à la dureté : la hantise de son déclassement l'isole et le rend taciturne. Caroline, jeune employée de bureau, est au contraire toute légèreté : elle rêve d'ailleurs, d'une vie simple et facile.

La dispute initiale pose les bases de ce qui va affleurer sur toute la pièce : entre deux phrases, entre deux gestes, deux scènes, se révèlent des abîmes de non-dits qui séparent les protagonistes de cette histoire d'amour et de société, qui les font se croiser, se lier, se délier... L'enchaînement de scènettes en apparence décousues et musicale colle d'ailleurs au décor surréaliste : un manège, qui tourne, tourne, et tourne.



Cette pièce ne brille pas par la finesse du scénario, bien au contraire : elle s'illustre plutôt par son épaisseur, cette couche d'informulé qui articule les dialogues. Derrière les personnages, c'est une société de classe en pleine mutation qui se dessine, des déceptions et des illusions qui se devinent dans cette Allemagne de l'entre-deux-guerres.



Inconséquence, refus, cynisme, colère : autant de d'attitudes qui défilent dans le carrousel des mots d'Ödön von Horth, qui passent, disparaissent, et puis...



Et puis, "encore trois autres tours", demande Caroline, d'une voix mutine. Quelqu'un a-t-il décidé de l'arrêter, depuis ?
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Un fils de notre temps

Près de 80 ans après sa publication, ce petit roman peut se lire avec un regard contemporain et offrir un parallèle troublant avec l'époque actuelle. Le titre 'un fils de notre temps' s'applique tout à fait aux moments présents. Il montre en effet comment le déclassement social alimente les dérives et hystéries collectives et peut conduire une personne à aliéner sa liberté individuelle pour se soumettre à un ordre et une autorité supérieurs. J'ai lu ce livre en pensant par exemple à ces jeunes qui ne trouvant pas leur place dans notre société, décident de rejoindre la Syrie pour y combattre au sein de l'armée islamique.

Le roman met bien en lumière le conflit entre le collectif et l'individuel, les accommodements de survie que chacun peut être amené à mettre en oeuvre pour échapper à sa fragilité, les idéologies de récupération et d'embrigadement des individus dans lesquelles Odön von Horvath inclut aussi les idéologies actives dans le monde de l'entreprise. C'est un roman noir et désespéré, description d'un monde où chacun doit se débrouiller seul et où les plus faibles sont voués à la marge et à la mort. Roman d'une étonnante actualité.
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Jeunesse sans dieu

Un récit à lire aujourd'hui pour comprendre la mécanique des changements de mentalités, l'automatisation des pensés et la mise en place d'une norme dont on peut difficilement échapper.
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Un fils de notre temps

Ödön von Horváth est un auteur relativement méconnu en France. Ses écrits auscultent avec acuité les mécanismes individuels et sociaux de la montée des autoritarismes en Europe, et ce malgré une mort

prématurée en 1938.



Un jeune homme né en 1917 et qui survit de petits larcins, convaincu par l'idéologie nationaliste et belliqueuse ambiante, s'engage dans l'armée comme volontaire. Sa volonté, son besoin d'en découdre vont rapidement être servis avec une opération menée pour écraser des « sous-hommes » et s'emparer de leur petit pays. Et puis surviendra la blessure, grave…



Le récit est à la première personne, nous sommes à la place de ce jeune homme et nous vivons sa vie, nous connaissons ses pensées les plus intimes et ses ressentis.



Le récit des expériences d'entre deux guerre du narrateur s'accélère au fil des pages.

La vie réglée de ce jeune homme déraille avec la blessure qui le rend à la vie civile, désoeuvré. Nous suivons alors les méandres de son esprit, ses questionnements sur son sort, ses illusions déçues et son avenir incertain dans ce monde en révolution. Il se rendra alors progressivement compte que ses idéaux étaient peut-être trop grands voir mal placés.



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