Eglantine Eméyé - On n'est pas couché 17 octobre 2015 #ONPC
Ce fut le début d'une histoire « spéciale» qui dure toujours. Une histoire dans laquelle toi et moi, nous nous cherchons. Moi, je cherche ce qui pourrait te faire du bien, t'apaiser suffisamment pour que tu puisses enfin prendre le temps de t'apercevoir que je suis là, que je suis ta maman, celle contre qui tu es censé venir te réfugier quand tu tombes, celle que tu devrais regarder avec cet amour passionné qui caractérise les tout-petits, celle qui guide tes premiers pas. Et toi, je sens que tu cherches à exister, à sortir de tes douleurs, de tes frustrations, à me faire comprendre un millier de choses qui font ce que tu es.
Cette loi de 2005 a suscité beaucoup d'espoir, et c'est peut-être une bonne chose de l'avoir promulguée. Mais peut-être aurait-il fallu d'abord informer, si ce n'est former, les premiers concernés par ces nouveaux venus à l'école. Combien d'instituteurs, de directeurs, de médecins scolaires savent réellement ce qu'est le handicap ? Qui leur a expliqué comment s'y prendre pour enseigner à la fois à une classe ordinaire, déjà complexe de tant de capacités et caractères différents, et à quelques enfants handicapés ?
« C’est tellement facile de donner des consignes que l’on n’a jamais eu à mettre en œuvre soi-même. »
« Le cœur d’une maman, c’est élastique »
« Tu es entré dans ma vie alors que je vivais une des pires périodes de celle-ci.
Tu es entré dans ma vie sur la pointe des pieds.
Quand tu as compris où ton cœur t’avait emmené, tu as pris peur, et tu as reculé.
Mais c’était trop tard. Si la mère de l’enfant handicapé te faisait fuir, tu n’as pas pu oublier la femme. Celle que je restais malgré tout.
Quelque temps plus tard, tu es revenu. »
« Il faut parfois se séparer pour mieux s’aimer. »
Toute ma tête, tout mon cœur, tout mon corps réclame de l'aide, oui, s'il vous plaît venez m'aider la nuit, quand je me bats physiquement avec mon fils, s'il vous plait, aidez-moi à mettre au point toute la logistique autour de Samy, à la tenir à jour, à remplir la multitude de dossiers inhérents à sa situation, dossiers auxquels parfois je ne comprends plus rien tellement je suis fatiguée, je vous en supplie, faites mes courses, je ne peux plus emmener Samy dans le moindre magasin, c'est un enfer, il ne supporte pas, il hurle tout le temps, et mon frigo est vide, vous ne voulez pas le garder une heure ce week-end, juste une heure, le temps que je m'affale sur le canapé avec Marco, que je rie un peu avec lui, que nous mangions tous les deux un énorme gâteau au chocolat, sans que Samy ne vienne l'écraser?

Le coeur élastique
-Maman, tu sais Samy, je ne l'aime pas vraiment en fait.
Marco a sept ans, et il vient de me faire un aveu courageux.
-Je comprends, mon amour. C'est ton petit frère, mais c'est pas évident de l'aimer.
-Et pourtant les autres, ils aiment bien leurs petits frères ou soeurs.
-Pas toujours, ce n'est pas obligatoire. Ce qui l'est en revanche, c'est que tu essaies de faire des choses avec lui. De temps en temps. Et que tu ne lui fasses jamais de mal. Mais je comprends que tu ne l'aimes pas. Il ne te regarde pas, ne joue pas avec toi, ne fait rien. Il n'y a aucune raison que tu l'aimes. Toutefois j'espère qu'un jour tu y arriveras.
-D'accord maman.
Marco semble réfléchir encore un peu. Il vient se lover contre moi, sur mon lit et me demande :
-Maman, quand même, tu me préfères à Samy, non? Tu m'aimes plus que lui?
-Non, mon amour. Je vous aime tous les deux. Passionnément.
-C'est pas possible, maman! Avec moi tu peux parler, tu peux jouer, tu peux rigoler. Et puis je te pose pleins de questions, je te fais rire aussi. Tu vois c'est forcé, tu m'aime plus que Samy.
Et Marco me serre fort. Il a besoin d'entendre que je l'aime plus que son frère qui nous cause tant d'ennuis. Besoin d'être rassuré, de sentir que je l'aime lui.
-Tout ce que tu dis est vrai. C'est ce qui fait que je vous aime différemment. C'est vrai, c'est plus facile de m'occuper de toi. Je rigole beaucoup avec toi. Je fais vingt milliards de chose en plus avec toi. Tu me ravis. Tu me plais, tu m'amuses, j'adore répondre à toutes tes questions, même les plus folles. Pourtant je vous aime tous les deux autant. Différemment mais autant, tu comprends? Le coeur d'une maman c'est élastique. Il y a de la place pour vous deux, largement. Et j'ai un très gros coeur, mon amour.
-Bon. Mais moi je l'aime pas, Samy.
-J'ai entendu, Marco. Je t'ai dis que je comprenais. Mais comme j'aime aussi Samy, tu vois, en fait ça me rend un peu triste quand tu me dis ça. Alors je préférerais que tu le dises à quelqu'un d'autre, d'accord? Il y a des gens dont c'est le métier. Comme des docteurs des sentiments. Tu peux tous leur dire. ça fait du bien. Et ils peuvent tout entendre.
-Non, j'ai pas envie.
-Mamoun, alors? Je crois que ça serait bien que tu lui racontes tout ça quand tu en as envie. C'est bien de parler, et une grand mère c'est encore mieux qu'un docteur!
-D'accord, ça je veux bien.
Je découvre surtout que je n'en ai pas fini de la situation que je vis avec Samy,je croyais l'avoir acceptée;Malo vient de nous démontrer brillamment qu'il n'en est rien:tes sourires,ta joie de vivre,ta gaieté,c'est du flan,Eglantine!Arrête de faire semblant!
-Je vais vous indiquer les vingt établissements soi-disant adaptés à votre fils. Il vous faudra remplir tous les dossiers pour chacun. Quand vous aurez reçu toutes les réponses négatives, je pourrais vous proposer une place dans un établissement belge.
-Pardon?Vous croyez que je n'ai que ça à faire? Vingt dossiers différents à remplir, sachant qu'ils seront tous refusés?
- Oui , c'est comme ça
On t'emmène loin de moi, prendre ton premier bain. Ton papa te suit. Pendant que je vous attends, je me sens un peu seule, vidée... mais tu reviens vite. Dans une couveuse, ce que je trouve triste. Enfermé dans une bulle de verre. Si j'avais su combien cette bulle était emblématique de ce que tu allais être, combien ce mot "bulle", reviendrait souvent pour parler de toi.
Si on dit souvent que la maladie isole, les régimes liés à la maladie isolent encore plus.

Un psychiatre me propose un jour de me mettre sous antidépresseurs. Je ne veux pas, ne voyant pas le rapport. Je ne suis pas dépressive. Ce qu'il me confirme. Mais, ajoute-t-il, il est important de stabiliser vos émotions. Et que vous dormiez. Vous ne pouvez pas réfléchir dans cet état. Un antidépresseur, que je vous promets léger et sans effets de dépendance, va vous aider à dormir et on pourra parler sans que vous pleuriez sans cesse. J'accepte. Pour six mois, pas plus.
Dès le lendemain, je dors huit heures d'affilée ! Et, petit à petit, je peux réfléchir calmement. J'écoute plus sereinement les avis des uns et des autres. Et je parviens à admettre que si les besoins de Samy nécessitent de l'emmener loin de moi, je dois m'y résoudre. Il me faut aussi admettre que d’'autres personnes que moi peuvent lui apporter chaque jour les câlins, l'attention, la patience dont il a besoin. Que je ne suis pas indispensable. Pas si facile pour une mère. Mais je l'ai compris. J'ai surtout compris que l'éloignement de Samy était devenu vital, qu'il avait besoin d'une structure hospitalière compte tenu de ses nombreux problèmes de santé. Que j'allais l'envoyer loin de moi pour lui, et non pour moi. Que je ne prenais pas cette décision pour mon bien-être, mais pour le sien.
C'est ainsi que Samy s'est installé à Hyères, et que l'hôpital de San Salvadour est devenu sa maison...