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Citation de Le_Raconteur


L’Égypte est la première de ces ondulations que sont les sociétés civilisées à la surface de l’histoire et qui paraissent naître du néant et retourner au néant après avoir passé par une cime. Elle est la plus lointaine des formes définies qui restent sur l’horizon du passé. Elle est la vraie mère des hommes. Mais bien que son action ait retenti dans toute l’étendue et la durée du monde antique, on dirait qu’elle a fermé le cercle de granit d’une destinée solitaire. C’est comme une multitude immobile, et gonflée d’une clameur silencieuse.

Elle s’est enfoncée sans un cri dans le sable, qui a repris tour à tour ses pieds, ses genoux, ses reins, ses flancs, mais que sa poitrine et son front dépassent. Dans son visage écrasé, le sphinx a toujours ses yeux inexorables, ses yeux sertis de paupières rigides, et qui voient à la fois au-dedans et au loin, de l’abstraction insaisissable à la ligne circulaire où sombre la courbe du globe. À quelle profondeur est-il assis, et autour de lui, au-dessous de lui, jusqu’où l’histoire descend-elle ? Il semble être apparu avec nos premières pensées, avoir suivi notre long effort de sa méditation muette, être destiné à survivre à notre dernier espoir. Nous empêcherons le sable de le recouvrir tout à fait parce qu’il fait partie de notre terre, parce qu’il appartient aux apparences au milieu desquelles nous avons vécu, aussi loin que notre souvenir remonte. Avec les montagnes artificielles dont nous avons scellé le désert près de lui, il est la seule de nos œuvres qui paraisse aussi permanente que le cercle des jours, les alternances des saisons, l’immense oscillation du ciel.

L’immobilité de ce sol, de ce peuple dont la vie monotone constitue les trois quarts de l’aventure humaine, semble avoir voulu tenir dans les lignes de pierre inflexibles qui nous les définissaient avant même que nous connussions leur histoire. Tout dure autour des Pyramides. Des Cataractes au Delta, le Nil est seul entre deux rives identiques, sans un courant, sans un affluent, sans un remous, poussant du fond des siècles sa régulière masse d’eau. Des champs d’orge, de blé, de maïs, des palmeraies, des sycomores. Un impitoyable ciel bleu, d’où le feu coule incessamment en nappes, presque sombre aux heures du jour où l’œil peut le regarder sans souffrance, plus clair la nuit, quand la « marée montante des étoiles y répand sa lueur. Des vents torrides montent des sables, la lumière où vibre l’air chaud découpe les ombres sur le sol, et les couleurs inaltérables, indigos, rouges cuits, jaunes sulfureux, liquéfiées en métal par les crépuscules de flamme, n’ont que le voile transparent des verts et des ors des cultures qui change périodiquement. Un silence où les voix hésitent comme si elles craignaient de briser des murs de cristal. Au-delà de ces six cents lieues de vie fixe et puissante, le désert, sans autre limite visible que ce cercle absolu qui est aussi l’horizon des mers.

Le désir d’y chercher et d’y façonner l’éternité s’y impose à l’esprit d’autant plus despotiquement que la nature retarde la mort elle-même dans ses actes nécessaires de transformation et de refonte. Le granit ne s’entame pas. Il y a sous le sol des forêts pétrifiées. Dans cet air sec, le bois abandonné garde des siècles ses fibres vivantes, les cadavres se dessèchent sans pourrir. L’inondation du Nil, maître de la contrée, y symbolise tous les ans les résurrections perpétuelles. Sa venue et sa décroissance sont aussi régulières que la marche apparente d’Osiris, l’éternel soleil, qui chaque matin sort des eaux et chaque soir disparaît dans les sables. Du 10 juin au 7 octobre il verse aux campagnes calcinées le même limon noir, le limon gras, le limon père de la vie.
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