VLEEL 270 Rencontre littéraire avec Éloi Audoin-Rouzeau, Au-delà des linceuls, Éditions Phébus
La solitude et le silence ont des vertus sous-estimées.
Mais à vous, je peux le dire : pour être heureux, depuis les évènements, il suffit de s’accoutumer à vivre chaque jour comme si la Mort nous attendait au détour du suivant.
Il se trouve que je sais, pour l’avoir longtemps observé , que Chance et Malchance travaillent depuis toujours main dans la main. L’une suit l’autre de près.
Des cris s’élevèrent. Un premier spasme parcourut une partie de la foule, soudain électrisée. Les mâchoires se crispèrent, sans que l’on montre les dents. Contrairement aux chiens et leurs gueules ouvertes, on nous a appris à contrôler nos instincts. Nous enrageons le plus souvent la bouche fermée, ce qui me semble plus dangereux encore. Rien n’est plus imprévisible que la violence quand elle est sourde ou muette. Car alors, elle n’a plus d’autre choix que de se traduire en actes.
Mais tout type de bonheur est précaire, dans l’époque fangeuse qui est la nôtre.
Sans même le savoir, Vadim jouissait d’une haute réputation place Lépine, et lorsque les huissiers débarquaient, au premier du mois, pour l’expulser, les fleuristes s’interposaient, payant ses dettes à son insu, sans que jamais Vadim ne soit inquiété. Quelque chose de rare perdurait sur cette petite place au cœur de Paris. Quelque chose qui s’apparentait à un vieux sentiment de tolérance et de panache.
Il existe certainement beaucoup d’hommes comme moi, même si cela n’excuse rien. Je ne suis pas original, bien que je m’en donne l’air. En fait, je suis à l’image des hommes de mon temps, sans loyauté, sans honneur.
Je m’agenouillai au beau milieu de ma chambre … Voilà que tout d’un coup, je repensais à mon enfance, aux colverts du bassin des Tuileries, à ma mère et aux comptines qu’elle me chantait. « Le canard a dit à sa canne … » Et quelle était la suite, déjà ? « Ris, canne ! Ris, canne … » Oui, c’était cela.
Il paraît qu'autre fois, les grenouilles avaient réellement existé. De nombreuses sources avait été détruites et celles qui demeuraient étaient sujettes à caution. Elles vivaient soi-disant entre l’air et l’eau, le jour, comme la nuit, emplissant les forêts de leur chant au cours de la saison nuptiale. Puis, disparues, disaient certains car trop sensibles aux rudesses de temps. Imaginaires, disaient d'autres. Certains allaient jusqu'à prétendre qu’à de rares équinoxes , il était possible de les voir tomber du ciel par pluies entières.
Le coeur ne nous sert plus qu'à vivre, du moins à faire circuler le sang.