Avec son premier roman Ouvre ton aile au vent, Éloi Audoin-Rouzeau nous entraîne dans une chasse au canard, fictive certes, mais ô combien révélatrice des subtilités de l'âme humaine !
Le titre et la belle couverture énigmatique du roman sont deux éléments qui, dès le départ, ont attiré ma curiosité.
Une effroyable pandémie due à un virus aviaire ayant frappé la planète, les oiseaux d'élevage sont désormais interdits. Ainsi, dans un Paris apocalyptique règnent un pouvoir autoritaire et une violence latente, suite à ce qui a été nommé par la suite, les évènements.
Une fois par an, une grande fête est célébrée en automne, le 31 octobre, un charivari rituel. À cette sorte de carnaval, la foule peut se déchaîner puisqu'elle est y est autorisée. À cette occasion, un canard est lâché du haut du célèbre restaurant la Tour d'Argent et tous les moyens sont bons pour le capturer. « Celui ou celle qui parvenait à l'attraper et à le rapporter vivant à la Tour d'Argent avait le privilège de le partager sur place avec le président, une fois le volatile préparé par les maîtres-canardiers, selon une très ancienne recette de Rouen, qui veut que l'oiseau soit servi « dans son sang. » » En outre, il reçoit une coquette somme d'argent.
La vie étant devenue bien morose depuis la fin des richesses et des libertés, l'ennui les submergeant, lorsque l'opportunité se présente pour les hommes, avec l'autorisation officielle des dirigeants, de se défouler en pourchassant le volatile, ils ne se privent pas pour laisser libre cours à leurs pulsions. Cette foule déchaînée concentrée sur cet oiseau ne réfléchit plus, ne pense plus, ne se maîtrise plus. L'auteur réussit parfaitement à nous faire vivre cette folie qui s'empare des hommes soudain livrés à leurs plus bas instincts, folie qui fait peur et nous interroge à la fois. Dans une telle situation, saurions-nous résister ou nous laisserions-nous emporter par la masse ?
Quelques marginaux, des insoumis ne suivent pas cet instinct populaire et grâce à l'aide de cette poignée de rêveurs rencontrée dans sa fuite, notre canard va jouer crânement sa chance et donner bien du fil à retordre à ses poursuivants. En effet, voilà que face à la barbarie et à la violence sociale se dressent des êtres épris d'humanité, pour qui la liberté n'a pas de prix. Éloi Audoin-Rouzeau n'hésite pas à les incarner dans ceux que l'on nomme souvent, à tort, de « petites gens », mais en fait de grands coeurs !
Il est très intéressant de suivre le cheminement qui s'opère dans la tête du narrateur lui-même, d'assister à sa transformation et de le voir reprendre goût à la vie, retrouver sa sensibilité et enfin aspirer à la liberté, après s'être quasiment coulé dans cette noirceur.
J'ai pris un grand plaisir à découvrir cette sorte de conte philosophique, cette fiction très imaginative dans laquelle la poésie est omniprésente, où la chance et la malchance ne sont jamais loin l'une de l'autre tout comme le passé et le présent, ou encore le fictif et le réel, le mal et le bien.
Impossible de lâcher le livre une fois embarqué dans cette sorte de course poursuite folle, enragée et très rythmée.
Comment ne pas être touché par cette phrase prononcée par le narrateur : « Et je compris que lui venir en aide (au canard) revenait à me sauver moi-même. »
Ne jamais baisser les bras et toujours se battre pour la liberté, tel est le message porté par cette fable. Et pour ne pas perdre la liberté : « Ouvre ton aile au vent » !
Un plan de Paris pour suivre au plus près cette chasse au canard dans les rues de la capitale souvent chargées d'histoire et m'approcher de Rimbaud, aurait comblé l'Ardéchoise que je suis.
Je remercie chaleureusement Babelio et les éditions Phébus pour la découverte de cet auteur plein de talent.
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