À l'occasion du festival Hypermondes 2022, Emilie Querbalec vous présente son ouvrage "Les chants de Nüying" aux éditions Albin Michel.
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Note de musique : © mollat
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Prélude
Le murmure de l’océan monte dans la nuit fraîche, comme une caresse, une promesse, un souvenir doux. Les étoiles se reflètent à la surface, des milliers d’étoiles qui palpitent et dansent dans le courant, frêles éclats de ciel tombés du firmament. Les vagues s’enroulent autour de ses chevilles. Un souffle effleure son visage, ses épaules…
Elle frissonne, et plonge.
Les friselis de l’eau sur sa peau lui disent qu’elle est vivante. Les échos qui vibrent dans la matière liquide lui rappellent qu’elle n’est pas seule. Non loin, le parfum âpre d’une présence l’invite à la suivre. Elle se met en mouvement. Sans effort, elle glisse. Ses muscles puissants ondulent et roulent sur ses côtes. L’air qu’elle a puisé dehors embrase ses cellules. Elle n’est entravée par aucune chaîne, aucune chair ne la retient. Elle est libre, libre ! Ivre, elle jaillit, sous le regard sévère des colosses pétrifiés. Impatiente, elle file, elle vole à travers les nappes d’eau mélangées, celles qui montent, tièdes et vives, celles qui tombent, lourdes et lentes. Joueuse, elle flâne, elle flaire, elle frôle, puis dans un sursaut, elle évite les rôdeurs, ces géants saisis par le froid qui dérivent dans la nuit.
Soudain, elle se fige.
La mer a un goût de sel, presque piquant. L’éclat argenté d’un poisson perce l’obscurité. Elle l’effleure, le suit et s’arrête à nouveau. Devant elle s’ouvre un corridor étroit entre deux falaises. Le ciel renversé se drape de transparences turquoise. Au-delà, c’est l’inconnu.
Elle s’avance, change de position.
Viens ! entend-elle.
Les sons se diluent dans le silence, échos lointains, incertains.
Sur le qui-vive, elle écoute encore.
Viens ! l’appelle-t-on.
Kamasapa veillait sur l’assemblée, un sourire effleurant ses lèvres comme un songe, assise sur son trône de nuage. La pâleur de son ventre dessinait une tache vaporeuse dans l’ombre, ronde et rassurante. Les montagnes, les vallées et les mers peintes au sol rayonnaient autour d’elle, symboles de sa puissance créatrice. Car Kamasapa avait enfanté le monde, et le Verbe né de son souffle l’avait animé.
La beauté […] est une expérience cruelle. Y avoir goûté ne serait-ce qu’une fois oblige à la rechercher toujours.
- Il faut bien nommer les choses pour pouvoir en parler, non ?
- Ce que je veux dire, c'est que ces êtres possèdent peut-être un langage, et des manières de se désigner qui leur sont propres. Nommer sans respecter les usages linguistiques, c'est déjà une façon d'aliéner.
Le voyageur arriva à la tombée de la nuit, à l'heure où le chant des cigales s'apaise pour laisser la place au carillon des insectes nocturnes.
Mais sache que la mémoire est une compagne infidèle, qui ment comme une poissonnière. Il n'est pas jusqu'aux dates, qu'elle soit capable d'altérer! Garde donc bien à l'esprit que les événements que je m'apprête à te relater ne sont qu'un reflet de la vérité, et que d'autres, probablement, t'auraient livré un récit différent.

Mes mères adoptives furent d'abord surprises, puis ravies, de me voir soudain si déterminée dans mes apprentissages. Elles s'inquiétèrent aussi, parfois. Mais danser représentait désormais pour moi le seul moyen de gagner ma liberté, et personne n'allait me l'ôter. Je m'astreignais à des heures d'un entraînement solitaire et rébarbatif, à un âge où le corps se transforme et où l'esprit n'aspire qu'à vagabonder. Mille fois, je répétai tel ou tel geste, plantée devant le miroir de ma coiffeuse, ne m'interrompant que quand mes muscles endoloris refusaient de m'obéir. Une simple inclinaison de la tête, selon la manière dont elle était exécutée, pouvait exprimer toute une palette de sentiments dont je devais maîtriser chaque nuance. Je devins experte dans l'art de manier l'éventail, j'appris par cœur chaque posture, j'écumai tout le répertoire traditionnel et lorsque cela ne suffit plus, j'en inventai d'autres. Pour me détendre, j'improvisais des jeux d'ombres avec mes doigts, créant des fantasmagories plus bizarres les unes que les autres.Tout ceci à l'abri des regards, naturellement. Les journées passaient vite.
L'ignorance n'est pas un vice, et le ridicule ne tue pas !
Les histoires sont comme les nuages: on a beau vouloir les saisir, elles finissent toujours par s'effilocher au vent. Mais elles ne disparaissent pas.
Dans cette société où aucune expression écrite n'était autorisée, on vénérait les conteurs comme des demi-dieux - et en vérité, ne l'étaient-ils pas un peu? Tels des oracles sacrés, ils donnaient vie et forme à des histoires assoupies dans les méandres invisibles du Flux, gardiens d'une mémoire aussi vieille que l'humanité.