Avec Eric Alary, Manon Pignot, Régine Sirota, Florent Georgesco
A l'occasion de la publication des ouvrages : Éric Alary, Histoire des enfants. Des années 1890 à nos jours (Passés Composés); Manon Pignot, L'Appel de la guerre. Des adolescents au combat, 1914-1918 (Anamosa) ; Régine Sirota, Inégalités culturelles : retour en enfance (Coédition Les Presses Sciences Po/Ministère de la Culture)
Comment les évolutions de la société française ont-elles façonné la figure de l'enfant, telle que nous la connaissons aujourd'hui ? Par quels processus les enfants ont-ils commencé à exister pour eux-mêmes, voire, de plus en plus, par eux-mêmes, comme une catégorie neuve au sein de la société ?
L'Histoire des enfants (Éditions Passés Composés) d'Éric Alary, les livres de Manon Pignot sur les enfants dans la Grande Guerre, de la Guerre des crayons à L'Appel de la guerre (Éditions Anamosa), et les études sociologiques de Régine Sirota, qui a dirigé le classique Éléments pour une sociologie de l'enfance (Presses universitaires de Rennes), représentent des étapes importantes dans la prise de conscience de la place unique et mouvante qu'occupent les enfants dans nos sociétés depuis la fin du XIXe siècle.
L'enfance constitue un objet difficile à saisir pour l'historien, confronté à des archives rares, témoignages souvent indirects de l'expérience enfantine, comme pour le sociologue, pour qui elle était encore, il n'y a pas si longtemps, une terra incognita. Nous raconterons la manière dont les chercheurs s'en sont progressivement emparé, tout en récapitulant avec les trois auteurs les apports essentiels de ces travaux pionniers.
Florent Georgesco
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Corps mutilés, chevaux éventrés, carcasses de voitures calcinées, enfants perdus au regard hébété, grands-mères assises sur des landaus, matelas sur les toits des voitures, encombrements routiers gigantesques. Ce sont là quelques images instantanées qui nous viennent à l’esprit lorsque nous évoquons l’exode de mai-juin 1940. D’emblée, une question nous interpelle : pourquoi et comment l’une des sociétés les plus policées du monde a-t-elle pu exploser aussi vite et voir des millions d’habitants se jeter sur les routes ?
Depuis juin 1940, l’exode a sans conteste fait partie de ces hontes nationales qu’il a fallu recouvrir d’un voile, car ce cataclysme national a humilié des millions de Français. La mémoire est sélective. A quoi bon ressasser les mauvais souvenirs ? Tant pis pour les disparus, les morts, les blessés ; tant pis pour l’éclatement brutal et rapide de la société française, si longue à reconstruire après la Libération.

L'armistice rédigé par les nazis met les Français dans une position intenable et il devient le cadre d'une collaboration contrainte: vivre dans un pays dont ils n'ont plus ni la maîtrise territoriale ni la gestion totale de l'économie. Des millions de Français vivent désormais loin de chez eux; des familles sont décomposées ou démolies. Plusieurs régions sont ravagées par les combats. Et plus des 3/5 du territoire sont occupés par les Allemands. [...]
Au quotidien, plusieurs catégories de la population ont sans doute plus souffert que d'autres, telles des centaines de milliers d'épouses de prisonniers de guerre. Plus largement, le simple fait d'être une femme a constitué un handicap supplémentaire, entre servitudes quotidiennes qu'elles assumaient plus encore qu'à l'ordinaire, survalorisation de l'ordre familial et moral, investissement idéologique faisant reposer le redressement national sur la fécondité, le repentir et la consolation.
On proposa même que les veuves puissent voter pour les défunts.
« Quand l'heure du départ arriva, certaines femmes qui sanglotaient, se jetaient au cou de leur mari ou de leur fils. » Ces scènes se répètent des milliers de fois dans toute la France. Les gares sont pleines de familles qui se séparent, pleurent, espèrent un retour rapide, se taisent et retiennent leur souffle.
La vie quotidienne des paysans est rythmée par les repas, moments de sociabilité qui témoignent du niveau de vie et des relations entre les acteurs de la ferme. […] Traditionnellement, le repas paysan se compose d’un féculent ou d’une pâte cuite conçue à base de farine ; d’un aliment gras et d’une boisson. Après une longue matinée de travail, le déjeuner se compose de pommes de terre et de tartines de fromage blanc ; le dimanche, il y a parfois de la viande. À 16 heures, une nouvelle bolée de chicorée est offerte, après celle du matin. Puis arrive l’heure de la soupe, à 19 heures, avant de retourner au travail jusqu’à 22 heures.
(p. 16)
La commission de contrôle postal lit plusieurs centaines de milliers de lettres écrites par les soldats; certaines sont censurées quand elles sont pessimistes ou douteuses.
Des abus ont été commis, mais retenons que les préoccupations environnementales sont très récentes et, dans les trois premiers quarts du XXe siècle, c'est loin de soucier les paysans et ceux qui les incitent à traiter la terre avec des tonnes de produits chimiques. Au lendemain de 1945, il fallait reconstruire une agriculture capable de nourrir tous les Français.
Des millions de poulets et de dindes sont élevés de nos jours sans jamais voir la lumière du jour, sans même courir un peu pour se muscler, et sont nourris avec des farines d'origine animale.
Les déportés en parlaient pourtant, encore fallait-il les écouter.