Citations de Éric Brucher (29)
Plus tard je me dis , ma colombe , n'espère pas l'hospitalité en ce monde ; crains plutôt l'hospitalisation .
Puis j'ai cette peur. Un effroi que je n'avais jamais connu.
Le sentiment d'un néant, d'une négation radicale. Une chose plombée au fond de mon corps devenu caveau scellé.
Plus rien ne bat lorsque je tente faiblement de sonder mon cœur.
Comme si l'oiseau était mort. Comme si l'on avait tué ma colombe.
L'impression d'une dévastation, une solitude dévastée. La vérité d'une perte infinie. Je ne connais pas d'autres mots.
Là-haut, à l’abri des cheminées, Laszlo lui a appris l’amour. C’était ça aussi la blancheur des étoiles."
Mon thorax est une cage qui enferme une colombe fragile, ses ailes veulent s’ouvrir pour s’en aller. Mon corps l’empêche et la blesse
Elle guettait les mouvements du foetus, cherchait à sentir bouger les ondes lentes, le relief bizarre d’un pied contre la paroi tiède du ventre. Elle parlait tout bas, descendait jusqu’au bébé avec sa pensée, ainsi qu’elle l’avait inventé, pour le couver dans la paix. Une vibration pour lui infuser l’amour au coeur."
Elle descendait en elle-même, lentement pour ne rien effrayer, à la rencontre de la crevette minuscule. Cette plongée, comme elle l’avait inventée, en cherchant les frémissements secrets, suivant les mouvements du sang, des veines, son rythme un peu sourd, imperceptible et saccadé. Sa pensée telle un fluide qui se propage par les nervures et se diffuse, s’instille à travers les filaments roses et blancs de la matière, cherche au fond d’elle le centre précieux de l’univers. Cette petite vie où commence tout l’amour du monde, une forme de langage, un mystère, le battement d’une communion secrète.
Je passais pour une intello parce que j'avais le nez toujours plongé dans des livres . Je les empruntais aux bibliothèques ou les achetais en seconde main .
Et cela me fait bien rire aujourd'hui de m'entendre dire que je n'ai pas d'appétit , je dévore , j'ai toujours dévoré
J’appartiens à ce peuple ailé (les colombes) qui rêve d’élévation et aspire à l’absolu
Vous savez, la misère a ceci de terrible qu'elle aspire toute énergie, jusqu'à priver la personne du plus élémentaire soucis d'elle-même.
Il disait son nom Laszlo Kohler, toujours en insistant sur le nom.
Serena était trop surprise ou grisée pour lui poser des questions, elle croyait qu’il inventait. Il voulait écrire partout sur le béton sa phrase semblable à un slogan la bave des crapauds n’atteint pas la blancheur des étoiles, sa propagande pour secouer la ville. Comme parler des choses infinies, ôter la taie aveugle sur le regard des gens, leurs ricanements de sarcasme, l’ignorance sinistre.
Je n'habite plus ce corps que par intermittence .
Les jeûnes sont la couronne invisible de mon sacre .
La toile de Magritte est en moi , celle de la colombe volant sur la mer . J'appartiens à ce peuple ailé qui rêve d'élévation et aspire à l'absolu .
...tu sais également que l'arbre qui dépasse la forêt ramasse seul la tempête.
Dors petite lumière
dors petite luciole
les étoiles sont loin
les étoiles sont proches
d'amour mon coeur est plein
le monde n'est pas si moche
Tous ces murs, partout. Vivre était peut-être cela, une sorte de prison dont on tâchait toujours de bouger les murs.
" Quand ils jaillissaient des rues, des giboulées noires, furieuses, la gueule ouverte pour happer l’air et crier sans répit. Leurs ailes affilées telles des faux aspergeant à travers l’espace leur encre volatile."
Les mains posées sur les côtés de son ventre pareil à un ballon, elle sentait les ondes de l'enfant à l'intérieur, ses petites gesticulations. Cette torpeur au soleil était un délice. Etre là uniquement, n'être occupée que des mouvements infimes au creux d'elle-même, et cette durée quand elle finissait par s'enrouler sur elle-même et s'estomper, disparaître dans une béatitude. Des heures flottantes et pleines à la fois.
Vraiment , est-on en bonne santé lorsqu'on ne cherche pas l'absolu ?
La sourde cacophonie carcérale. Hors les ateliers, Lukasz restait volontiers seul dans sa piaule. Il écoutait seulement les bruits. Le brouhaha des couloirs, le tintouin des télés et la criaillerie des radios, les appels d'une cellule à l'autre, le raclement des portes ou le claquement de grilles lourdes, des cliquetis des clés, le grincement sec des serrures, des phrases inachevées, des pas lourds et des frottements, le tapage morse sur les tuyaux.
Et le tapement de ses pensées aussi.
Cette colère qu'il porte en lui, sans qu'il sache d'où elle vient, d'où elle sourd, une tache aveugle, un truc qui lui colle à la peau ou aux tripes depuis quand ? Telle une malédiction originelle, depuis toujours peut-être, une tare constitutive, un défaut de fabrication, une anomalie foncière , et qui génère cette énergie terrible. Ou une rancœur obscure, comme la blessure d'être au monde, cette contrariété parce qu'on n'a rien demandé, ni demandé de venir dans ce bled où, de l'amour justement, il n'en est jamais assez.