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Citation de alzaia


Lettre de Nathalie Sarraute


Cher Maurice Blanchot

Il m'a semblé, en terminant la lecture de "A rose is a rose", que mon livre était arraché à toute mesquinerie et la vulgarité dont il était recouvert, et transporté très loin, là où il fait bon exister, là seulement où cela en vaut la peine.
Vous avez éclairé comme vous savez le faire ce qui m'est toujours apparu comme l'essentiel. Vous m'avez donné envie de me joindre au dialogue, juste pour dire, très grossièrement, qu'il me semble qu'écrire c'est jeter et jeter encore sa ligne pour ramener quelque chose qui glisse et se dérobe,et, lorsqu'on la hissé, quand c'est là, étalé au grand jour, cela meurt. Et toujours on recommence. En fin de compte, c'est dans ce mouvement acharné à ramener quelque chose qui est en train de mourir que se concentre "la vie".
Mais vous avez su voir, mettre au point, justifier ce que je ne voyais pas ou n'entrevoyais que confusément. Rien ne m'intéresse davantage que ce que vous dites sur les "vraies pensées" qui ne sont pas des "mouvements de l'existence illogique", qui sont "repris de la pensée naturelle, de l'ordre légal et économique, lequel s'impose comme une seconde nature", de "la spontanéité qui n'est qu'un mouvement d'habitude sans recherche, sans précaution", sur les vraies pensées qui sont "des pensées d'éveil", "des pensées qui questionnent". Et sur l'impossibilité de les développer, et sur ces refus des ressources du développement. Et sur la répétition...
Je voudrais tout répéter.
Et comme vous avez su, en peu de mots, éclairer à mes yeux mes tentatives dans "les fruits d'or". Que vous rapprochiez ce livre de Tropismes me touche beaucoup, car c'est vers eux que j'avais l'impression de revenir en écrivant ce dernier livre, renonçant à m'efforcer, comme dans mes romans précédents, de saisir les pensées et aussi de les suivre dans leur mort.
Il est difficile de paraître sincère dans une lettre. Tout se fige aussitôt en formules convenues. Il faut donc me résigner à vous dire que vous m'avez donné une grande joie, une de celle auxquelles on retourne souvent, auxquelles on demande de l'aide dans les moments d'abattement.
Je vous remercie, et je vous prie de croire, Cher Maurice Blanchot, à mon admiration et à ma sympathie.
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