Nous vivons une société de passants, une figure plus modeste que celle de l'étranger. L'étranger prend place dans une société sans en être membre véritablement. Il est issu d'une autre société dans laquelle il ne vit pas tout à fait non plus. L'étranger est une figure d'entre-deux, une figure paradoxale, un homme, une femme marginale. Il n'y a aucune étrangeté dans la figure du passant, aucun paradoxe, il n'y a que la banalité de l'autre qui me ressemble partout sans être d'ici.
Les conflits d'hospitalité opposent les habitants d'un territoire rt lrd passants qui y séjournent ponctuellement. Ces situations de coprésence d'autochtones et d'allochtones sur un même espace (une ville, une station balnéaire, un parc national...) se multiplient avec l'accroissement et l'enchevêtrement des mobilités quotidiennes et touristiques, résidentielles et migratoires. La cohabitation des habitants et des passants prend quatre formes.
L'hospitalité intervient quand l'autochtone accueille l'allochtone et luis fait une place. L'hospitalité est un devoir dans les sociétés traditionnelles (...)
On parle de cohabitation quand les habitants et les passants vivent les uns à côté des autres, chacun sur son territoire, sans qu'il y ait beaucoup d'échanges (...)
L'envahissement survient quand les habitants (...° ne supportent plus le trop-plein de visites, de touristes, de photos, de voitures, de déchets, de bruits, de pollution et finissent par limiter le droit du passant (...)
Dans certains cas, que la généralisation des mobilités multiplie, l'envahissement prend des formes vécues comme agressives par les habitants (...) L'expulsion signifie que les populations de passants s'approprient durablement l'espace et le transforment.
La représentation commune de l'engagement citoyen est celle des cercles concentriques. L'engagement se distribue sur des espaces emboîtés du plus proche au plus lointain.
Dans une société mobile, l'engagement citoyen ne s'organise plus sur ce modèle. En se dispersant au fil des déménagements, le long des réseaux automobiles et des lignes aériennes, des voyages de loisirs et des voyages virtuels, la citoyenneté se désencastre de la vie des clochers, des terroirs et du blason des villes. Elle prend des formes nouvelles individualisées et diasporiques.
Nous sommes heureux de partir en week-end et en vacances, la voiture chargée et la famille réunie. Nous sommes heureux de la visite d’un ami lointain. Nous pratiquons avec plaisir nos réseaux sociaux préférés et sommes soulagés de recevoir le colis attendu. Nous sommes encore plus heureux quand nos enfants franchissent les frontières et découvrent d’autres horizons. Mais les déplacements de semaine entre domicile et travail nous épuisent et nous avons du mal à accepter qu’il faille gagner une grande ville pour faire des études et trouver un emploi…
Le soi diasporique est, dans une société mobile, le régime normal de l'identité individuelle.