EMISSION LES COUPS DE COEUR DES LIBRAIRES 19-10-18
En politique, l'amitié est un leurre et Valéry Giscard d'Estaing le souligne souvent. Mais presque toujours, les acteurs de la scène politique n'ont d'autre choix que d'arbitrer entre deux solutions non satisfaisantes à leurs yeux (page 234).
"L'échec de l'Europe est possible. N'oubliez pas que la tentative équivalente qui a été faite au États-Unis a abouti à la guerre civile [de Sécession] soixante ans plus tard, entre le Nord et le Sud. Pourquoi n'y aurait-il pas de déchirement en Europe ? [...] S'il doit y avoir un échec, il se fera sans doute sur l'immigration. Supposez que l'Europe ne réussisse pas à gérer les problèmes dans ce domaine et que nous parvenions à une situation intolérable du point de vue du chômage ou des conflits culturels. Dans un certain nombre de pays, des référendums d'initiative populaire seront organisés et les populations de ces pays diront : non à l'Europe. Cela risque de se produire" (Valéry Giscard d'Estaing, dans le Figaro Magazine, le 10 juin 1989. Cité par Éric Roussel, page 543 de son livre sur V.G.E.).

Hypothèse absurde ? Une chose est certaine, deux ans auparavant, en 1971, le président de la République était encore résolument opposé au quinquennat. A Roger Ikor, qui s'était inquiété auprès de lui du déséquilibre des pouvoirs, il avait répondu sans ambages : "Je ne crois guère au danger que tu redoutes quant à la durée excessive d'un pouvoir quasi personnel ou en tout cas présidentiel. Mais, si un jour j'avais à faire une réforme des textes, ce qui est très compliqué, je serai prêt à limiter cette durée à un maximum de deux septennats. Je ne suis pas pour le mandat de cinq ans qui conduit fatalement à une convergence des élections présidentielles et législatives et donc au régime présidentiel intégral, ou au régime d'assemblée."
A partir de cet élément d'information, on peut s'interroger, rechercher les motifs qui ont amené Georges Pompidou à changer d'avis. A dire vrai, plusieurs raisons paraissent l'avoir incité à modifier son attitude. L'expérience décevante
du referendum de 1972 a-t-elle joué ? Tout l'indique. En organisant cette consultation, le successeur de Charles de Gaulle entendait non seulement mettre la gauche dans l'embarras et accroitre son prestige internationale, mais aussi retremper à mi-parcours sa légitimité. L'essai s'étant révélé non concluant, il est permis de supposer qu'il a alors estimé que le septennat n'était pas une bonne solution, qu'il convenait de réduire la durée du mandat afin de donner à l'élu du peuple pleine autorité jusqu'à la fin de ses fonctions. Cela dit, il n'est pas impossible que l'altération de sa santé l'ait également amené à réfléchir. Pour sa part, Pierre Messmer reste convaincu qu'en la circonstance il a voulu "forcer le destin."
Plus tard ils comprendront pourquoi il y avait de la pertinence à se comparer à Jeanne d'Arc; pour l'instant cela avait de quoi surprendre et inquiéter.
Pragmatisme, tel est aussi le maître mot du général dans ses rapports avec les Soviétiques qu’il entend utiliser pour contrebalancer les Anglo-Saxons. Le problème auquel de Gaulle se heurte tout de suite est son manque de moyens. À Moscou, on prend volontiers acte de ses ouvertures, de son désir de contact mais le cynisme demeure la règle, d’où la méfiance patente des autorités du Kremlin quand, au grand dam des Anglais, la France Libre enverra sur le front de l’est la célèbre escadrille aérienne Normandie-Niémen.
Bien que ces deux pôles ne soient nullement comparables — le pôle américain respecte les libertés ; le pôle soviétique peut s’effondrer s’il ne fait pas sa place à l’homme — il est dangereux tout de même que le monde soit pris entre ces deux seules forces. Le monde est riche et varié. L’Amérique latine est nécessaire à son équilibre, tout comme l’Europe si elle sait s’unir. La politique française vise à aider l’Europe à s’unir et l’Amérique latine à se développer.
Nous sommes en présence d’une vague qui emporte tous les peuples vers l’émancipation. Il y a des cons qui ne veulent pas le comprendre, ce n’est pas la peine de leur parler. Mais il est certain, si nous voulons nous maintenir en Afrique du Nord, qu’il faut accomplir des choses énormes, spectaculaires et créer les conditions d’une nouvelle association. Or ce n’est pas le régime qui peut le faire. Moi-même je ne suis pas sûr de réussir.
Le célèbre « Je vous ai compris », lancé en début d’allocution et accueilli par une immense ovation, est la géniale et ambiguë réponse du général. Face à lui, à la fois des Européens et des musulmans. Tous peuvent s’estimer « compris », à cette réserve près que dans la suite de son discours le général insiste sur la nécessité de réformes, en particulier l’instauration du collège unique toujours refusé par les pieds-noirs.
Pour empirique qu’il soit quand les circonstances l’exigent, de Gaulle est l’homme des grands desseins. Peu de dirigeants contemporains ont davantage planifié leur action. Après avoir liquidé l’affaire algérienne, il compte mettre enfin en œuvre la diplomatie d’envergure dont il rêve depuis longtemps, mais auparavant il doit refaire de la France une puissance respectée. D’où un effort de modernisation.
Par son comportement, ses coups d’éclat, un certain autoritarisme, il faut bien le dire, de Gaulle donne des arguments à ses adversaires tant au sein des Français de Londres que du côté anglo-saxon. On en oublierait que, s’il défend les intérêts français avec une ardeur parfois un peu exclusive, il a pris position de manière catégorique quand des enjeux fondamentaux se sont trouvés en cause.