Eric Valmir - Pêcheurs d'hommes
«Intervenez pour que cela ne se reproduise plus au lieu de construire des mythes auxquels plus personne ne croit; et dont la forme ne s’épanouit que dans une lucarne de télévision».
Ensuite, il y avait Silvio Berlusconi. Le patron de la télé voulait se lancer en politique pour le bien de l’Italie. Une des plus grosses fortunes du pays, on ne pouvait le soupçonner de vouloir voler. C’est le crédo qu’il défendait.
Là, tout le monde éclatait de rire, c’était la minute détente. Vous imaginez… Berlu président du Conseil. Ce type n’a peur de rien ! En plus, il surfe sur la même idée que nous, celle de l’antipolitique avec une campagne orchestrée par son département publicité. Comme si avec deux filles à poil et trois sourires, on pouvait être élu.
La salle était debout. Elle scandait le nom de Luigi. Le Centre droit naissait au milieu des bombes, des attentats, du sang, des suicides de chefs d’entreprise, des meurtres, des voitures bourrées d’explosifs à Florence, Milan et Rome, des victimes. Le climat de terreur était revenu. Le pays avançait comme un funambule qui a peur de tomber.
Tous les anciens de la Démocratie chrétienne, le clan des Caruso, étaient ceux qui tiraient les ficelles du futur CD, ils négociaient en coulisses. Eux se contenteraient au mieux de portefeuilles ministériels.
Luigi Squallocci voulait rénover la vie politique. Son analyse était simple : la corruption, les affaires et les croisements d’intérêts avaient entamé la confiance des citoyens.
Je serai ornithologue dans une réserve naturelle de Sicile, sur l'île de ma Francesca. Ma fille grandira dans des bouquets de baisers. Le dimanche, elle mangera les sardines palermitaines de sa grand-mère. La vie est ici.
Disons qu’on est le 24 juillet… et tu vois des reportages sur la splendide tenue du peuple italien autour de son Duce… Dans la nuit, le roi démet Mussolini de ses fonctions… Deux carabiniers l’emmènent… Le lendemain soir, le 25, dans le même journal d’information, tu entends les mêmes reporters de la veille qui s’extasient désormais devant la dissolution de la Chambre des faisceaux, se félicitant de l’arrestation du monstrueux Mussolini qui a mis la nation à genoux… Et toi, à ce moment-à, que fais-tu de tout ça ? Que dois-tu penser ? Que deviennent tes repères ? Toutes les valeurs qu’on t’a enseignées depuis que tu es né ?
On pourra toujours vanter, comme l'a fait le pape – le pape bon sang, je ne préfère ne plus le citer, il a écrit un communiqué dans lequel il parle de honte, parce que Dieu n'a pas honte de tolérer toute cette horreur peut-être ? – enfin bref, le pape et les autres pourront toujours saluer notre dévouement et notre solidarité à l'égard des naufragés, l'aide qu'on apporte et les soins qu'on prodigue, qui vient à notre chevet ensuite ? Cette douleur qu'on extirpe de nos corps, les lésions de notre âme, on ne peut les confier qu'au souffle du sirocco en espérant qu'il l'emporte, mais le vent ne peut rien pour nous.
La gastronomie, bon sang, les produits du terroir, les recettes que l'on se lègue... C'est le fleuve de la vie, ses truculences, ses soubresauts, c'est pour ça qu'on est là... Pour se sentir vivants dans la nature...
La vocation de pêcheur n'inspirait plus grand monde et l'été des chalutiers se transformaient en promène-couillons autour de l'île. Il a tout laissé tomber.
Le mal de mer, désormais, il l'éprouve depuis la terre ferme, la seule vision du large lui déclenche une bouffée d'angoisse, la tête qui tourne et des nausées. Fuir l'horizon est devenu son remède. Il s'est enfermé dans un hôtel, la loge nocturne d'un réceptionniste, quatre murs solides autour de lui dans un espace restreint et confiné qui le protège des agressions extérieures.
Saisir les mains des convulsés, plonger dans la terreur d'un regard et y distiller un peu de tranquillité avec ce qu'il faut de douceur, des paroles réconfortantes murmurées dans une langue incompréhensible pour celui qui la reçoit, mais avec les tonalités rassurantes qui rendent le message sensible, universel. En cas de tremblements serrer le corps dans ses bras et déposer un baiser sur le front.
Tu vas bientôt voter, Lorè… Tu sais ce que cela signifie… Ce n’est pas anodin…Au moment de cocher…. Ne donne jamais ta croix à la gauche ! Surtout pas dans les mois qui viennent… La Démocratie chrétienne est engluée dans ces affaires… beaucoup commencent à aller en prison, et les communistes se complaisent dans un rôle hypocrite de gentilshommes….