La délinquance en col blanc avait le vent en poupe ces derniers temps. La sous-division des crimes financiers était débordée et manquait de personnel, encore plus que les autres services de la police d’Etat. Ils avaient dû suspendre deux enquêtes conséquentes pour se consacrer à ce qui ne manquerait pas de devenir la plus faramineuse escroquerie d’Islande avec son cortège de détournements et de transferts de fonds légaux et scandaleux. Des milliards de couronnes étaient en jeu. On n’en verrait jamais le bout.
Une société qui consomme plus de numéros d'identification et de renseignements par citoyen que d'eau courante. Et puis, ici, nous avons un peuple inerte qui ne se mobilise jamais pour rien.
La joie maligne de Steinar polluait encore l’esprit d’Arni quand il prit place au volant de sa voiture. Il l’avait un jour baptisée par erreur sa « Puceau 307 », et s’était juré, mort de honte, de ne jamais récidiver. Du coup, ce mot redouté assaillait son esprit dès qu’il introduisait sa clé de contact dans la serrure, ouvrant grand les vannes de sa culpabilité et des ruminations qui l’accompagnaient.
- Savez-vous si l’une de ces personnes connaît Birgitta? questionna-t-il. Elle fit une moue avisée. […]
- Et vous? Elle prit un air étonné qui lui allait tout aussi bien que la moue qu’il avait chassé. Connaissez-vous Birgitta?
Cette blouse était plutôt seyante en fin de compte. Soutien-gorge ou pas? Elle haussa les épaules ; on aurait dit que non. Arni perdait sa concentration.
- Un peu avoua-t-elle. […]
- Lui avez-vous parlé au Broadway?
- Non.
Elle s’adossa d’abord pleinement, en appui sur les accoudoirs, la poitrine offerte, avant d’étirer ses bras vers l’avant. Ses seins ainsi comprimés bravaient Arni à travers l’étoffe vaporeuse. Il était en état de soumission, le regard pétrifié.
- Vous l’avez vue ou non?
- Oui oui, je l’ai vue.
- Vous l’avez vue?!
Sans réserve, il donna libre cours à son étonnement, qui du même coup interrompit son attraction visuelle vers la terre promise.
Arni n'avait pas peur des morts. Des vivants, si. Eux, avaient le pouvoir de lui nuire de le menacer, de le blesser. Alors qu'un corps n'était qu'un corps. Inoffensif.
Karin était douée, il l'avait compris dès le jour de son arrivée dans la section, cinq ans plus tôt. Elle deviendrait chef de brigade, au bas mot. C'était une question de temps et, toutes carte en main, elle pourrait assez vite se trouver en position de donner des ordres. Il s'attendait à vivre pareille situation avant de partir en retraite. Ce qui ne le dérangeait nullement. Il y avait pire comme supérieur.(p.59)