Alexandre BLOK Florilège lu des 'Cantiques de la belle dame' (France Culture, 2003)
Une compilation des émissions « Poésie sur Parole », diffusée du 5 au 9 mai 2003 sur France Culture. Lecture : Christophe Brault. Référence des poèmes lus : 'Cantiques de la belle dame' (traduction : Jean-Louis Backès.
Toute poésie est un voile étendu sur la pointe de quelques mots. Ces mots-là brillent comme des étoiles. C'est à cause d'eux qu'une poésie existe.
Lettre du 21 décembre 1906
Dans le chœur de l'église, une fille chantait
Tous les harassés en des terres lointaines,
Tous les navires en allés sur la mer,
Et tous ceux qui ont oublié leur joie.
Ainsi s'envolait sa voix sous la voûte,
Un rayon scintillait sur son épaule blanche,
Et chacun, dans le noir, écoutait, regardait
La robe blanche dans le rayon qui chantait.
Et l'on crut alors que la joie s'annonçait,
Que tous les navires dans les anses paisibles,
Que tous les harassés des terres lointaines
Retrouveraient enfin une vie de lumière.
Et sa voix était douce, et le rayon si fin,
Et seul, tout là-haut, près de la Sainte Porte,
Aux Mystères Initié - un enfant pleurait,
Parce que personne jamais ne revient.
Août 1905
Je sais entendre
dans les bribes des mots
Le pas brumeux
des autres mondes
Je sais suivre
le sombre envol du Temps,
Je sais chanter avec le vent.
( " Le monde Terrible")
Russie
extrait 2
Qu'il te séduise, qu'il te trompe,
Tu ne peux ni te perdre ni périr,
Seul le souci va assombrir
La beauté de ton visage.
Ce ne sera qu'un souci de plus —
Une larme de plus dans la bruyante rivière,
Mais toi, tu es toujours la même : forêts et champs,
Et le fichu brodé qui tombe jusqu'aux sourcils.
Et l'impossible paraît possible,
La route longue paraît aisée,
Quand au loin, sur la route, scintille
Un regard vif sous le fichu,
Et que s'élève la plainte des bagnards
Dans le chant sourd du clocher.
18 octobre 1908
Comment rejeter cette somnolence…
Comment rejeter cette somnolence pénible,
Chasser cet intrus ?
Comment ne pas livrer ma bien-aimée
À l'étranger, au maudit ?
Comment ne pas tout lâcher en ce monde,
Ne pas désespérer de tout,
Si mon seul hôte est le vent,
Le vent sauvage et noir
Qui ébranle la maison ?
Pourquoi, ô vent,
Fais-tu ployer les carreaux ?
Pourquoi arraches-tu
Les volets de leurs gonds ?
22 mars 1916
En retenant ses sombres orages,
La vie par moments s'apaise un peu :
Deux mains sur nos épaules se posent,
Un regard clair plonge dans nos yeux.
Et dans un abîme noir, sans fond,
Le quotidien sombre avec sa fièvre.
Et sur cet abîme lentement
L'arc-en-ciel du silence se lève...
Alors, au coeur de l'apaisement,
Une jeune et frêle mélodie
Effleure l'âme telle une harpe,
Ses cordes engourdies par la vie.
Été 1912
-
Есть минуты, когда не тревожит
Роковая нас жизни гроза.
Кто-то на плечи руки положит,
Кто-то ясно заглянет в глаза.
И мгновенно житейское канет,
Словно в чёрную пропасть без дна.
И над пропастью медленно встанет
Семицветной дугой тишина.
И мотив, приглушенный и юный,
В затаённой затронет тиши
Усыплённые жизнию струны
Напряжённой, как арфа, души.
Лемо 1912
Traduit par Henri Abril et Cyrilla Falk - p. 255
Je sais entendre dans les bribes de mots
Le pas brumeux des autres mondes
Je sais suivre le sombre envol du Temps,
Je sais chanter avec le vent...
Dans les bribes de paroles
J'entends la marche brumeuse
des autres mondes
et du temps le sombre vol.
Je sais chanter avec le vent...
Soir noir.
Neige blanche.
Il vente, il vente !
On ne tient pas sur ses jambes.
Il vente, il vente !
Sur toute la terre de Dieu !
Le vent moire
La neige blanche.
Sous la neige — la glace.
Et l’on glisse. Que c’est pénible !
Tous les piétons
Glissent — Ah ! les pauvrets.
Les uns prenaient ce poème pour une satire de la révolution, les autres pour un poème à sa gloire.
[Maïakovski]