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3.33/5 (sur 24 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Limoges , le 03/12/1840
Mort(e) à : Paris , le 23/12/1913
Biographie :

Arsène Arnaud Clarétie, dit Jules Claretie ou Jules Clarétie, est un romancier, dramaturge français, également critique dramatique, historien et chroniqueur de la vie parisienne.

Au cours de sa longue carrière, outre la signature Jules Claretie, il a recours à plus d'une douzaine de pseudonymes afin de publier ses œuvres littéraires et ses articles dans la presse.
Abnot, Robert Burat, Arthur Byl, Caliban, Candide, Arnold Lacretie, Jules Clarty, Georges Duclos, Charles Geoffroy, Olivier de Jalin, Jules de Lussan, Perdican, Jules Tibyl, William

Il a également utilisé, avec Charles-Edmond Chojecki, le pseudonyme collectif de Jules Tibyl.

Jules Claretie collabore à de nombreux journaux, notamment au Figaro et au Temps, sous plusieurs pseudonymes. Il tient la critique théâtrale à l'Opinion nationale, au Soir, à La Presse. Ami d'Étienne Arago, il publie une analyse de ses Mémoires dans Le Temps du 28 mai 18921.

Historien, il compose entre autres une Histoire de la Révolution de 1870-1871.

En littérature, il publie en début de carrière des romans sentimentaux aux accents mélodramatiques, notamment "Eliza Mercœur" (1864) et "Le Dernier Baiser" (1864), puis fait quelques incursions dans le roman policier avec "Un assassin" (1866), récit d'un « crime mondain qui devint l'un des grands succès de l'année, et "Le Petit Jacques" (1885), un mélodrame plusieurs fois adapté au cinéma. Parmi les autres récits appartenant au genre policier, il faut compter "Jean Mornas" (1885), "L'Accusateur" (1895), "L'Obsession (Moi et l'autre)" (1905-1908), et des nouvelles, « en particulier "Catissou et Kadja" (publiées avec le roman "Jean Mornas") ; mais aussi "L'Homme aux mains de cire" (1878), dans laquelle le héros, persuadé que l'inconnu qui fait la cour à sa propre fiancée est un vampire, trucide son rival d'un coup de poignard béni dans le cœur ; ou encore, "L'impulsion" (1912), qui s'intéresse aux mobiles d'un meurtre, en apparence gratuit ».

Jules Claretie donne également de nombreux romans sur les milieux de la bourgeoisie et du pouvoir, tels que "Monsieur le Ministre" (1881) et "Le Million" (1882), ou quelques récits dans un registre plus exotiques, comme "Le Prince Zilah" (1884) qui est adapté à deux reprises au cinéma.
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La Commune de Paris : Analyse spectrale de l’Occident (1965 / France Culture). Diffusion sur France Culture le 12 juin 1965. Illustration : Une photo de la Barricade de la Chaussée Ménilmontant, Paris, 18 mars 1871 © Getty / Bettmann / Contributeur. Pierre Sipriot s'entretient avec Henri Guillemin (critique littéraire, historien, conférencier, polémiste, homme de radio et de télévision), Emmanuel Berl (journaliste, historien, essayiste), Adrien Dansette (historien, juriste), Pierre Descaves (écrivain, chroniqueur, homme de radio), Jacques Rougerie (historien spécialiste de la Commune de Paris), Philippe Vigier (historien contemporanéiste spécialiste de la Deuxième République), Henri Lefebvre (philosophe), et Georges Lefranc (historien spécialiste du socialisme et du syndicalisme). Dans les années 60, la Commune de Paris était encore "un objet chaud" qui divisait profondément les historiens. Comme en atteste ce débat diffusé pour la première fois sur les ondes de France Culture en juin 1965 et qui réunissait sept historiens, journalistes ou philosophes spécialistes du XIXe siècle. Textes d'Élémir Bourges, Jules Claretie, Lucien Descaves, Paul et Victor Margueritte, Jules Vallès et Émile Zola lus par Jean-Paul Moulinot, Robert Party et François Périer. « La Commune, objet chaud, a longtemps divisé les historiens. Elle a eu sa légende noire, sitôt après l’événement : celle de la révolte sauvage des barbares et bandits. Elle a eu sa légende rouge : toutes les révolutions, les insurrections socialistes du XXe siècle se sont voulues filles de l’insurrection parisienne de 1871 ; et c’était à tout prendre, politiquement, leur droit. Historiquement, cette légende a pu se révéler redoutablement déformante. L’historiographie socialiste s’assignait pour tâche de démontrer "scientifiquement" que l’onde révolutionnaire qui parcourt le premier XXe siècle trouvait sa source vive dans une Commune dont elle se déclarait légitime héritière. On quêtait, par une analyse anachroniquement rétrospective, les preuves de cette filiation, oubliant le beau précepte que Lissagaray, communard, historien « immédiat » de l’événement avait placé en 1876 en exergue à son Histoire de la Commune. "Celui qui fait au peuple de fausses légendes révolutionnaires, celui qui l’amuse d’histoires chantantes est aussi criminel que le géographe qui dresserait des cartes menteuses pour les navigateurs." » Jacques Rougerie (in "La Commune, 1871", PUF, 1988) Source : France Culture

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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Jules Claretie
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M. Thiers et M. Mignet ont donné le signal de la réaction salutaire. Plus tard, M. Michelet a écrit l'histoire du peuple pendant la Révolution ; M. Louis Blanc a tracé les évolutions de l'esprit révolutionnaire ; M. de Lamartine a tenté le poème en prose de cette gigantesque épopée. Un autre historien, M Villiaumé, rapportait en même temps son contingent de preuves et d'arguments.
... A mon tour, j'ai voulu apporter ma pierre au monument à venir, en retraçant le tableau sinistre de l'Insurrection de prairial an III.
Il ne s'agissait pas d'écrire l'histoire de la Révolution, mais de raconter, dans tous ses éloquents détails, un terrible drame, navrant chapitre de l'histoire de la détestable réaction thermidorienne. Je l'ai fait, non sans passion, mais en toute justice, et du moins sans haine, sinon sans indignation.
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Ce que Paris consomme de denrées est énorme ; mais plus surprenant encore est ce qu'il dévore moralement, ce qu'il anéantit d'intelligences, ce qu'il engloutit de coeurs et d'âmes !
Minotaure, Minotaure sans cesse affamé, quand seras-tu lassé de ces mets saignants qui sont des douleurs, des dévouements, des vertus et des vices, des héroïsmes et des crimes ? Quand donc sera-t-elle fatiguée, ta gueule terrible, quand donc rassasié, ton boulevard ?
Ah ! le boulevard, voilà le grand danger de Paris, le gouffre où l'on tombe, le fossé, l'ornière !
(...)
Et par le boulevard, vous entendez bien que je veux seulement dire : un coin du boulevard, vous savez lequel. Ce coin-là est sinistre. Il est mortel. Une fois qu'on a pris l'habitude d'y aller, on y revient, et l'on n'en revient pas.
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Ainsi, je le répète, tout revit, tout s'anime, tout palpite : on oublie le temps présent, on est soudain reporté vers le temps d'hier ou d'autrefois. Et qui a fait ce miracle ? Des papiers jaunis, de l'encre à demi effacée. Mais une encre qui paraît chaude comme le sang d'une veine et des papiers qui semblent frissonner comme un épiderme !
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Il lui fallait maintenant se contraindre pour s'intéresser à ce duel qui l'eût passionné, quelques mois auparavant. La lune de miel de son amour pour le pouvoir était passée. Il avait trop ressenti, un à un, les écœurements de cette situation qu'il enviait afin de faire le bien, de réformer, d'agir, et où il se heurtait, depuis les premières heures, à la Routine, aux vieilles idées, aux petites ambitions, à tous les intérêts, à tous les égoïsmes. Il avait rêvé une sorte de Chimère emportant le pays vers le Progrès sur ses ailes étendues : il s'était trouvé pris dans l'engrenage poudreux d'une machine usée, et sentant l'huile rance qui tralnait l'État comme l'eût fait quelque cheval poussif. Alors, peu à peu, la lassitude et le dégoût étaient entrés dans le cœur de ce croyant qui voulait vivre, s'affirmer, en finir avec tant d'abus, et à qui ses collègues, ses chefs de division, ses chefs de service, le chef de l'État lui-même, répétaient prudemment :
- "N'innovez pas ! Laissez aller ! Cela a marché ainsi pendant si longtemps ! Â quoi bon changer ? Cela marchera bien encore !"
Ah ! C'était à secouer le joug et à tenter l'impossible ! Vaudrey se trouvait placé entre ses rêves les plus chers et la plus écœurante des réalités. Ce n'était pas des réformes qu'on lui demandait, c'était des places. Ce n'était pas le progrès que poursuivaient ces hommes chargés du sort du pays, c'était leurs intérêts propres, leurs intérêts de boutique et de terroir. Il en avait comme la nausée. Il les prenait en mépris, ces députés qui assiégeaient son cabinet et emplissaient son antichambre pour demander, réclamer et quémander. Tous, étranglés eux-mêmes de sollicitations par leurs électeurs, sollicitaient quelque chose, Ils apparaissaient à Sulpice non comme les serviteurs, mais comme les domestiques du suffrage universel. Cet abaissement devant les manieurs de bulletins indignait Vaudrey. II sentait avec effroi que la France devenait peu à peu un vaste marché aux promesses, une nation où tout le monde demandait des places à quelques-uns qui, pour garder la leur, les promettaient toutes. Les ministres, cramponnés à leur situation, devenaient les domestiques des députés, domestiques eux-mêmes de leurs électeurs. Tout se tenait dans un vaste réseau de sollicitations et de marchandages. Et dans tout cela, la haine du talent vrai, l'âpre égoïsme, l'étroitesse navrante des idées !
Sous l'Empire, au temps où l'empereur, effaré, se sentant isolé, demandait, cherchait un homme, Vaudrey se rappelait qu'on lui avait conté l'histoire de cette sonnette des Tuileries spécialement destinée à avertir les chambellans de l'entrée au château d'un visage nouveau, de la visite d'un inconnu, afin que la camarilla, prévenue par ce timbre particulier, eût le temps de se mettre sur ses gardes et d'éconduire le nouveau venu qui pouvait devenir un appui pour le maître, mais un danger pour les serviteurs.
Eh bien, Sulpice ne l'entendait pas, cette sonnette invisible et sourde, mais il la devinait, il la devinait autour de lui, avertissant les intéressés, toujours prêts à chasser l'inconnu; il sentait que son fil secret était partout étabii autour des puissants, puissants de quatre jours ou d'un quart de siècle, et que, tant qu'il y aurait au monde un pouvoir, il aurait des courtisans, et que ces courtisans, âpres au morceau, empêcheraient l'inconnu, c'est-à-dire la vérité, d'arriver jusqu'à la lumière, de crainte qu'il ne se fit, cet inconnu, la part du lion, et ne chassât les mouches du gâteau de miel. Aussi comme il en avait, de ce pouvoir passager, inutilisé malgré lui, la nausée et le mépris ! Un pouvoir qui le mettait à la merci de la criaillerie d'un collègue, d'un ennemi, à la merci lui-même de ce maitre tout-puissant, et si facilement mécontent : Tout le monde.
Il avait vu de trop près les intrigues basses, les tripotages attristants, la triture de cette cuisine politique dont tant de gens, ce Warcolier, avec sa faconde rhétoricienne, ce Granet, avec son petit sourire de supériorité, étaient avides de tenir la queue de la casserole. Il se rappelait un mot que Denis Ramel lui avait souvent répété : "À quoi bon se démener pour avoir une place au soleil ? Les meilleures sont à l'ombre !".
Il lui prenait des colères contre ses propres ambitions, contre son manque d'énergie qui l'empêchait de balayer les obstacles - hommes et idées de routine, et il se rappelait avec une amertume navrée cette entrée aux affaires, dans une clarté d'apothéose, et ses rêves, ses pauvres beaux rêves ! : "Un grand ministre ! Je veux être un grand ministre !".
Ah ! Bien oui ! On est ministre, voilà tout ! Et c'est assez ! Et c'est souvent trop ! Nous verrons bien ce qu'il fera, lui, ce Granet, qui doit faire tant de choses !
Vaudrey riait nerveusement.
Ce qu'il fera ? Rien ! Rien ! Et rien ! C'est bien simple ! Pour faire quelque chose il faut être un grand homme et non un politicien tout étourdi de se trouver au sommet du pouvoir.
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Le jour de l'an ! la première aube de l'année ! le réveil plein d'espoir après la dernière pensée à l'année qui s éteint!
On s'était courbé, la veille, sur les souvenirs. On se réveille, ce matin-là, plein d’espérance !
31 Décembre, 1 er Janvier. Pour toutes les créatures humaines, que de réflexions viennent tous les ans, entre ces deux dates !

Éternelles songeries des vivants à l'heure où une année expire
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Elle pensait à frapper un grand coup. Jusqu'à présent, son aventure avec Sulpice avait flotté dans les sentimentalités de roman ou de romance. Le ministre se croyait aimé pour son amour même. Il ne voyait dans Marianne qu'une fille excentrique, affranchie de tout préjugé et de tout devoir, qui disposait de sa vie comme bon lui semblait, sans avoir à en rendre compte à un mari ou à un amant. Libre, elle faisait de sa liberté du plaisir ou de la passion à sa fantaisie. Les terribles questions pratiques, les nécessités quotidiennes, échappaient à cet homme, chargé de la question gouvernementale de la France. Encore une fois, il ne se demandait pas d'où provenait le luxe de Marianne. Il s'en affolait sans penser à rien analyser, à rien savoir, naïvement. Le premier mot de Mlle Kayser devait brusquement l'éveiller.
Elle savait que Vaudrey devait venir, et, brusquement, quittant le coin du feu, elle s'habilla pour lui d'un peignoir de satin noir, doublé de surrah rouge, à revers de velours ouvert sur des plissés de vieilles dentelles laissant voir les blancheurs du cou et de la poitrine. Les cheveux blonds tombaient sur le col de velours, et cette tête pâle, au-dessus de ce costume bizarre, prenait, sur le fond sombre du salon drapé de rouge, le charme inquiétant d'une apparition.
Sulpice, en la voyant, ne put s'empêcher de s'arrêter, en l'admirant, au milieu du salon où elle l'attendait, assise, rangeant des tas de paperasses dans une corbeille à pieds dorés, capitonnée de satin rose.
Elle lui tendit la main, une main pâle, tombante comme une main de morte, et languissamment lui demanda pourquoi il restait là, stupéfait, sans venir
à elle.
- Je regarde, dit le ministre.
- Vous êtes toujours le plus galant des hommes ! fit Marianne. Vous n'êtes donc pas déjà las de m'avoir contemplée ? Ordinairement, les caprices durent moins longtemps.
- L'affection que j'ai pour vous n'est pas un caprice.
- Qu'est-ce que c'est donc ? Je serais curieuse...
- C'est de la passion, Marianne, une passion absolue, profonde, folle...
- Oh ! Laissez ! Laissez ! dit Marianne. Je sais que vous parlez infiniment bien. Je vous ai entendu à la tribune. Une déclaration d'amour ne vous coûte pas plus qu'une déclaration ministérielle. Mais aujourd'hui, mon cher ministre, je ne suis pas disposée à en entendre, même de vous !
Il y avait, dans ces derniers mots, une certaine tendresse qui atténuait un peu le ton d'ennui ou de maussaderie dont Marianne parlait. Sulpice y vit comme une acceptation muette de son amour offert.
- Oui, fit brusquement Marianne; je suis très triste, horriblement triste.
- Sans cause ? demanda Vaudrey.
Elle haussa les épaules.
- Oh ! Moi, je ne suis pas de celles que leurs nerfs dominent. Quand je m'ennuie, il y a toujours une cause. Cela dit une fois pour toutes.
- Et cette cause ? Je serais heureux de la connaître, Marianne, car je vous jure que de vos ennuis et de vos peines, je voudrais avoir toujours la moitié.
- Merci !... Mais il est des peines assez vulgaires dans la vie qu'on ne pourrait confier qu'à ses amis les plus intimes.
- Vous n'avez pas d'ami plus dévoué que moi, dit Vaudrey d'un ton de conviction profonde.
Elle le savait bien. Elle lisait à nu dans cette âme.
- C'est quand on a rencontré des amis comme vous qu'on tient à les garder et à ne pas les attrister de ce qui est stupide !
- Mais enfin ? demanda Vaudrey en se rapprochant de Marianne. Qu'avez-vous ? Je vous en supplie, dites-le-moi !
Il la regardait dans le fond des yeux, cherchant en ces prunelles bleues un secret ou un aveu qui lui échappait et, instinctivement, ses deux mains avaient cherché les deux mains de Marianne qu'elle abandonnait, toutes froides. En se penchant vers elle pour la supplier de parler, il sentait la douceur de cette haleine, le parfum de cette fine peau de blonde, et le satin du peignoir dessinait, sous ses plis noirs, un corps aux courbures exquises. Sur son genou, le genou de Marianne se pressait doucement, tandis que les paupières lourdes tombaient comme des voiles sur les yeux de la jeune femme, où il semblait à Vaudrey qu'il apercevait des larmes.
- Marianne, je vous en prie, si vous avez un chagrin quelconque et que je puisse le soulager, je vous en conjure, dites-le-moi !
- Eh ! Si c'était un chagrin !.... dit-elle en retirant brusquement sa main gauche des étreintes chaudes de Sulpice. Mais c'est pis : c'est un tracas d'argent, oui, d'argent, dit-elle brusquement en voyant l'expression étonnée du visage de Vaudrey.
Elle prit, comme à poignée, les papiers jetés dans la corbeille à ouvrage et dit avec une sorte de colère pleine de dégoût :
- Ça, tenez, vous voyez bien ça ? Ce sont les notes de cet hôtel : notes de créanciers criards, tapissiers, serruriers, maçons, est-ce que je sais ?
- Comment ! Votre hôtel ?
- Vous pensiez que je l'avais payé ? Il est loué, mon hôtel, et rien de ce qui est dedans n'est soldé. Je dois tout cela, et à une meute.
Elle se mit à rire.
- Vous vous imaginez donc que la nièce au père Kayser pouvait mener cette vie de luxe où vous l'avez trouvée ? Je n'ai pas un sou et j'aurais à moi tout ce qui est ici ?... Non !... J'ai fait la folie de commander toutes ces choses, et maintenant je dois, et maintenant il faut payer ça, et maintenant on va me poursuivre. Voilà ! Vous aviez bien besoin de me pousser à vous avouer tout cela !... Ce sont mes tracas, ce ne sont pas les vôtres, je vous demande pardon, mon cher Vaudrey; voyons parlons d'autre chose. Eh bien, l'interpellation Fraynais, comment a-t-elle tourné ?... Qu'est-ce qu'il y a eu à la Chambre ?
- Ne parlons que de vous, Marianne, dit le ministre, en regardant la jeune femme avec une espèce de pitié naïve, comme un médecin ami regardant une malade.
Nerveusement elle faisait craquer ses doigts et battait, de ses pieds croisés, cette marche fébrile de tout à l'heure.
Lui, se rapprochait davantage, essayant de la calmer, d'obtenir d'elie des explications, des renseignements; et Marianne, comme si elle avait cédé, en livrant tout d'abord son secret à un mouvement irréfléchi, refusait à présent de compléter sa confidence. Elle répétait que rien de ce qui pouvait être ennuyeux ou bas ne devait attrister ses amis. D'ailleurs, on devait s'arrêter au secret même de sa vie. Elle avait bien le droit de se taire. Vaudrey en l'interrogeant ainsi, la faisait horriblement souffrir.
- Et vous, dit-il, vous, Marianne, vous me torturez bien plus encore en ne me répondant pas, à moi que le moindre détail de votre existence intéresse, à moi qui vous sais préoccupée, angoissée, et qui voudrais, je vous le jure, vous enlever toute tristesse.
Elle se tourna vers lui d'un mouvement brusque, et, ses yeux gris pailletés d'or jetant comme des étincelles, elle sembla obéir à un parti pris violent, soudain, presque involontaire, et dit à Sulpice :
- Alors vous voulez connaître la misère même de ma vie ? Soit. Mais je vous préviens que ce n'est pas gai. Aussi bien, fit-elle, après être restée muette un moment, - Sulpice frissonnant sous son regard -, mieux vaut jouer carte sur table, et si vous m'aimez comme vous le dites, me connaître tout à fait; vous verrez ensuite ce que vous aurez à faire ! Moi, je suis habituée aux déceptions.
Ah ! Quoi que cette femme fût prête à lui dire, Vaudrey sentait bien qu'une confidence ne pouvait qu'ajouter de l'amour à l'amour qu'il éprouvait. Elle s'était levée, les bras croisés sur sa robe noire où les velours rouges ressemblaient à des éclats de blessures, et ses yeux incendiés dans sa figure pâle, ses lèvres étrangement avivées, d'une sensualité bizarre appelant le baiser, tandis qu'une amertume colère enflait ses narines, elle se mit à conter à Vaudrey, assis devant elle et regardant d'en bas, - comme d'à-genoux -, une histoire attristée d'enfance mauvaise, d'adolescence ignorante, de jeunesse gâchée, des tristesses, des fautes, des élans de foi, des chutes, des ressauts d'amour, d'orgueil, de vertu, de rachat par le repentir, des espoirs flagellés, des confiances mortes : toute une existence déchirée de femme, laissant moins de la chair de son corps que de son cœur aux clous des calvaires, - quelque chose de banal et de déjà vu, de déjà entendu, mais de cruellement vrai, et qui allait droit au cœur de Sulpice, à ce cœur gonflé de pitié, à ce croyant attiré par tout ce qui lui semblait si douloureusement exquis et nouveau dans cette femme.
- Je vous ennuie peut-être ? dit-elle brusquement.
- Vous ! dit-il.
Il montrait ses yeux où montait une larme.
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Le sculpteur, en art, est comme le mâle du peintre. Il faut, non-seulement pour se colleter, pour ainsi dire, avec une statue, l'inspiration de l'artiste, mais le courage physique, la patience et la dépense de force musculaire de l'ouvrier. Tailler, ciseler le marbre, palpiter d'angoisse lorsqu'on soumet son oeuvre à la fonte, quelle tâche!
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À tromper Vaudrey, elle n'avait pas grand mérite. Sulpice était aveuglé littéralement par cet amour. Il avait été, un moment, sur le qui-vive, lorsque Jouvenet lui avait conté que son secret ne lui appartenait plus. Pendant quelque temps, il semblait alors se détacher de Marianne; mais, après de nouvelles précautions prises, il revenait avec des frémissements ardents vers cet hôtel de Mlle Vanda, où l'attendaient les baisers, un peu las, de sa maîtresse.
Des mois passaient ainsi, tout l'été, les vacances de la Chambre, la saison morte de Paris. Adrienne partait, un moment, pour le Dauphiné où Vaudrey allait présider le Conseil Général, et elle retrouvait avec des joies d'enfant la vieille maison de Grenoble où elle avait autrefois vécu si heureuse ! Et même sous ce toit, entre ces murs témoins de ses amours honnêtes, surtout devant eux, Vaudrey pensait à Marianne, n'avait d'autre idée que de la revoir, de la tenir dans ses bras, et, chaque jour, il lui écrivait des lettres éperdues qu'elle parcourait à peine du regard en haussant les épaules, et qu'elle brûlait sans y attacher d'importance.
Lui, au fond de sa province, s'ennuyait, dans le continuel fracas de fêtes, de réceptions en son honneur, de discours à prononcer, de cérémonies à présider, de députations à recevoir, de statues à inaugurer. Des statues ! Toujours des statues ! Et on le traînait, dans les petites villes, à Allevard ou à Marestel, de la mairie à la grande place, entre des haies de pompiers, dans des cortèges bruyants, où les cuivres lui crevaient les oreilles, sous des tentes rayées de rose, tapissées de drapeaux tricolores, devant des défilés interminables de Sociétés de Gymnastique, d'orphéons, de corporations, d'associations, d'Amis de la Paix ou d'Amis de la Guerre ! Et c'était des harangues éperdues, des dévidages de lieux communs, des discours émaillés de latin de professeurs de rhétorique, des professions de foi politiques de conseillers municipaux éloquents, tout satisfaits de happer un ministre au passage. Ce que Vaudrey en entendait de ces harangues ! Plus qu'à la Chambre. Plus drues, plus serrées, plus implacables qu'à la Chambre. Et des avis et des considérations politiques et les remontrances qui se terminaient en demandes de places ! Des cantates qui sollicitaient des subventions ! Partout des demandes, demandes de subsides, demandes d'allocations, demandes de secours, demandes de croix ! C'était le harassement, l'énervement, la courbature, l'assourdissement. Ils voulaient le tuer en criant : "Vive Vaudrey !".
Le préfet et le général commandant la division, flanquaient éternellement Vaudrey, ce supplicié trainé entre ces deux habits brodés. Sulpice entendait, des lèvres du préfet, tomber la même harangue banale : le progrès, l'avenir, la fusion des partis et des intérêts, la grandeur du département, les cotonnades et les tanneries, la splendeur du ministre qui... du ministre que... de l'enfant glorieux du pays... de l'Aigle du Dauphiné ("Vive Vaudrey !","Vive Vaudrey !"). Le général du moins variait ses effets, grondait, serrait les poings, et Vaudrey, le jour de l'inauguration de la statue d'un certain M. Valbonnans, ancien député et notable fabricant de gants, - gloire du pays, lui aussi, - avait entendu le guerrier murmurer, du matin au soir, dans un mouvement de machoire qui faisait sauter sa barbiche : "J'aime le bronze !... J'aime le bronze !...", avec une persistance qui stupéfiait le ministre.
C'était peut-être le seul souvenir un peu gai des tournées de Vaudrey dans l'Isère. Ce couronnement éternel du général : "J'aime le bronze ! J'aime le bronze !" l'avait mis en éveil, et il se demandait gaiement quel diable d'appétit avait là ce militaire qui répétait son mot d'un ton goulu, assis à côté de lui sur l'estrade, tandis que les orphéons chantaient un hymne en l'honneur de feu M. Valbonnans composé pour la circonstance par un amateur de la ville :
"Chantons, oui, chantons M. Valbonnans,
Le meilleur fabricant de gants,
Élégants !"
Tandis que les fanfares reprenaient au refrain et que les pompiers découvraient, dans une immense acclamation, la statue de M. Valbonnans, portant ces mots sur son socle : "À l'inventeur, au patriote, au négociant"; tandis encore qu'à son oreille gauche le préfet reprenait son éternel discours : la ganterie, gloire de l'Isère, le progrès, les intérêts, la grandeur du département, le ministre qui... le ministre que... ("Vive Vaudrey !"), Sulpice entendait toujours, même au milieu des acclamations, le grondement de machine du général répétant, ressassant, remáchant :
- "J'aime le bronze ! J'aime le bronze !"
Le soir du banquet, le ministre avait enfin l'explication de cet amour farouche. Le général se levait, serrait son verre à le briser, et pendant que le parfait fondait dans les assiettes, il s'écriait, de sa grosse voix, comme sur le front de sa division :
- J'aime le bronze !... J'aime le bronze, parce qu'il sert à la fois à élever des statues et à fondre des canons ! J'aime le bronze dont la voix gagne les batailles, l'artillerie étant aujourd'hui l'arme supérieure, quoique la cavalerie soit la plus chevaleresque ! J'aime le bronze qui est l'image du cœur du soldat et je voudrais voir à notre pays une armée d'hommes de bronze qui... que...
Il s'embarrassait, s'embrouillait, roulait des yeux blancs dans une face pourprée et, pour en finir, brandissait son verre comme il l'eût fait de son bancal et, aux applaudissements frénétiques des convives, hurlait vaillamment :
- J'aime le bronze ! J'aime le bronze !
Vaudrey avait failli éclater d'un fou rire, malgré toute sa dignité ministérielle, et quand il était rentré à Grenoble, sa voiture pleine des fleurs qu'on lui avait lancées, il n'avait, à Adrienne lui demandant s'il avait bien parlé, si cela avait été beau, rien répondu, en jetant à terre ses bouquets, que :
- J'ai beaucoup ri ! Mais je suis écrasé, abruti ! Quelle migraine I...
C'était tout cela que Sulpice écrivait, racontait à Marianne, en Iui disant, le naif : "Ah ! toutes ces voix qui m'acclament ne valent pas une parole de la tienne ! Quand te reverrai-je, Marianne, chère âme ?".
- Le plus tard possible ! disait la chère âme.
Elle voyait même avec un ennui profond l'été finir, l'automne commencer et venir l'approche de la saison parlementaire qui ramènerait Vaudrey et lui infligerait la présence de son amant. Sulpice lui donnait largement ce qu'il fallait à ses appétits de luxe, et c'était bien pourquoi elle ne se décidait pas à rompre, quoique depuis longtemps cet homme fût sacrifié dans son esprit.
- "Ah ! quand je pourrai le balancer !" disait-elle avec son ton de fille.
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Restait l'opinion publique. Favrol avait sur elle les idées d'un philosophe pratique ; il la connaissait mobile, excessive, toute disposée aux surprises, et naturellement préparée aux changements à vue, aux effets de théâtre.
─ L'opinion publique se croira au spectacle, disait-il ironiquement ; elle applaudira.
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