Uniquement occupé de la perfection de son art, et supérieur aux faiblesses de l'amour-propre, dont tant de grands hommes n'ont pu se défendre, Raphaël consultait sur ses ouvrages, et avec une modestie qui n'avait rien d'affecté, tous ceux qui, par leurs lumières et leurs conseils, pouvaient le servir utilement; et tel était l'agrément de son esprit et l'aménité de son caractère, que les hommes de lettres les plus distingués de son temps se firent un honneur d'être comptés au nombre de ses amis.
Un fait remarquable dans l'histoire des arts , c'est que quand Sébastien de Venise , dit Sébastien del Piombo, qui avait étudié le coloris d'après les excellentes leçons et les exemples non moine utile du Giorgion, eut la noble audace de lutter contre Raphaël, Michel-Ange lui dessina son tableau. C'était une Résurrection de Lazare, devenue justement célèbre , mais qui ne put balancer le succès qu'eut l'ouvrage de Raphaël, puisque c'était son chef d'oeuvre et celui de l'art, la Transfiguration.
Le Parmesan alla demeurer chez son cousin Jérôme Mazzuoli, bon peintre, qui dans la suite devint son élève, et ils firent ensemble plusieurs ouvrages. Les troubles du pays les ayant forcés de s'expatrier, ils allèrent à Viadana, dans les États de Mantoue, où François peignit deux tableaux à détrempe, le Mariage de sainte Catherine et les Stygmates de saint François. Cependant la tranquillité revint dans la ville de Parme, et notre jeune peintre, y étant retourné, y donna des preuves d'une capacité consommée. Il n'avait que vingt ans, et se sentant alors attiré à Rome par la haute réputation de Michel-Ange et de Raphaël , il s'y rendit accompagné d'un de ses oncles, et y porta trois tableaux de sa composition, une Vierge avec l'Enfant Jésus recevant des fruits de la main d'un ange, une tête de vieillard d'un très-beau fini , et son propre portrait. Clément VII , à qui il présenta ces ouvrages, n'en fut pas moins surpris que toute sa cour, et ils lui méritèrent l'affection de ce pontife, qui voulut avoir un tableau de sa main. Le Parmesan peignit une Circoncision; ce morceau fut regardé comme un chef-d'œuvre.
Lorsque ses modèles ne lui offraient que des formes communes, il sut rarement les ennoblir; mais il a pris sans effort un plus grand style lorsque la nature s'est présentée à ses yeux sous un plus noble aspect. Son fameux tableau de Saint Pierre le martyr, qui dans l'origine ornait l'église de St.-Pierre et St.-Paul à Ferrare, et que l'on a vu quelque temps au Musée du Louvre, suffirait pour démontrer que le Titien joignit quelquefois à un dessin fier et savant la force et la grandeur de l'expression.
En annonçant l'Oeuvre complète des Peintres du premier rang, je me suis engagé à donner le trait, non - seulement des Estampes que l'on peut se procurer à la Bibliothèque nationale et dans les Collections particulieres, mais encore des Tableaux ou Dessins inédits qui parviendraient dans la suite à ma connaissance. Mes recherches n'ont pas été infructueuses; j'ai trouvé dans quelques portefeuilles d'Amateurs et d'Artistes un grand nombre d'objets qui manquent à la Bibliothèque nationale; et ces porte-feuilles, quoique très-incomplets pour la plupart, m'ont fourni des pièces rares et peu connues. En les publiant, j'aurai donc l'avantage d'offrir la Collection la plus complète qui ait paru jusqu'à ce jour.
Mais si, de l’absence du coloris et de l’effet du clair-obscur dont nous faisons ici une abstraction rigoureuse, quelques critiques allaient conclure que notre opération est défectueuse ; que son succès est illusoire ; nous, au contraire, nous nous applaudirions d’avoir choisi ce genre de gravure, puisqu’il nous oblige de nous renfermer dans les nobles li¬ mites de l’Art, l’invention, le caractère, le mouvement, l’expression ; et j’atteste, sur ce point , non-seulement les Artistes pénétrés de la dignité de leur Art, mais encore tous les hommes instruits ou élevés dans des idées libérales.
Michel-Ange seul résista aux qualités aimables de son émule. Non-seulement il ne rechercha point sa société, mais encore il lui témoignait dans toutes les occasions un éloignement invincible. Cette rivalité, loin de nuire à Raphaël, doit être regardée comme un nouvel avantage, puisqu'elle l'engagea à se surpasser pour mériter les éloges d'un si redoutable adversaire.
S'IL est vrai que la vie des artistes, comme la vie des hommes de lettres, soit toute entière dans leurs ouvrages, nul ne l'a mieux prouvé que le peintre célèbre dont nous nous proposons de réunir dans ce recueil les compositions ingénieuses. Laborieux, modeste, désintéressé, plus occupé
de la dignité de son art que du soin d'acquérir des honneurs et de la fortune, Eustache Le Sueur travailla en quelque sorte dans le silence, vécut dans la médiocrité, mourut dans la retraite : heureux si du moins il eût touché le terme marqué par la nature pour la durée commune de la vie de l'homme ! mais la mort, en l'arrêtant au milieu de sa carrière, priva l'école française des nombreux chefs-d'oeuvre que lui promettait encore un génie aussi facile et aussi fécond, et l'enleva aux beaux-arts lorsqu'à peine il avait atteint l'âge où tant de peintres fameux ont commencé à obtenir ou à mériter la célébrité.
Quant à moi, tout en admettant pour véritable la pauvreté dans laquelle on suppose que cet artiste a vécu , il me semble que cette même pauvreté serait plus honorable que honteuse; car, malgré son peu de moyens pécuniaires, le Corrége peignit avec un luxe qui n'a point d'exemple. Tous ses tableaux sont ou sur cuivre ou sur bois , ou sur des toiles choisies; il y a prodigué l'outremer, la laque, les beaux verts; il faisait de forts empâtements et des retouches continuelles, n'abandonnant jamais un ouvrage qu'il n'y eût mis la dernière main; en un mot, il n'épargna dans ses travaux ni la dépense ni le temps. Une pareille magnificence, qui ferait honneur à un amateur opulent peignant pour son plaisir, mérite les plus grands éloges lorsqu'elle se rencontre chez un artiste peu riche : il me semble qu'un tel désintéressement est digne d'un Spartiate.
Il est donc certain que la nature et l'étude concourent également à former, non-seulement ces génies supérieurs qu'immortalisent de sublimes découvertes,mais encore ces écrivains purs et féconds, et ces artistes ingénieux, dont les conceptions présentent sans cesse aux gens de goût un charme inexprimable.
Si cette proposition pouvait être mise en doute, le seul exemple de RAPHAËL SANZIO en donnerait la preuve. Aucun homme ne fut plus libéralement comblé des dons de la nature, aucun peintre ne se livra avec plus d'ardeur aux travaux de son art. On pourrait ajouter qu'il ne manqua rien à ses désirs ni à sa gloire. Si Raphaël atteignit, jeune encore, cette perfection, la seule qui puisse être le partage de l'humanité, il avait eu l'avantage de naître sous le ciel le plus propice, et à l'époque la plus favorable à la renaissance des Beaux-Arts.