Au mot de sensation a succédé celui de sensibilité, qui est maintenant généralement adopté par les psychologues et par les physiologistes. Dans la langue du XVIIe siècle, comme aujourd'hui encore, dans l'usage ordinaire, sensibilité ne signifiait que la vivacité, la délicatesse des attachements et des impressions du cœur. C'est seulement vers la fin du XVIIIe moins enclins au matérialisme, que ce mot entre dans la langue philosophique pour marquer, non plus seulement une qualité du cœur, un certain degré d'émotion, mais une faculté fondamentale de l'esprit humain.
Avec les vérités morales il n’y a rien en nous de plus intime et de plus profond, rien qui pénètre davantage l’âme et la conscience, que les croyances religieuses. Telle est la raison pour laquelle le langage ordinaire a donné le nom si expressif de liberté de conscience, cette première de toutes les libertés, au droit de chacun de professer librement ses croyances religieuses. Aussi la conscience est-elle partout invoquée en faveur de la liberté religieuse, comme en faveur de la justice.
De nos jours même il y a eu des psychologues qui ont été jusqu'à dire que la vie, notre propre vie, était tout aussi étrangère à la conscience que la vie d'un chien ou d'un poisson1. Nous voulons chercher à combattre cette erreur et à combler cette lacune. Ce n'est pas seulement l'anthropologie, ou la science de l'homme, mais la psychologie, la science de l'âme qui, sans la vie, est une science incomplète. L'âme sans la vie, l'âme, avec la pensée toute seule, est une âme profondément et dangereusement mutilée; ce n'est plus une réalité, ce n'est qu'une abstraction.
Buffon, sous une forme ingénieuse et dans son plus magnifique langage, a essayé de décrire les sensations, les sentiments et les idées d’un homme qui tout à coup, en face de toutes les beautés de la nature, prendrait pleine et entière conscience de lui-même. * J’imagine, dit-il, un homme tel qu’on peut croire qu’était le premier homme au moment de la création, c’est-à-dire un homme dont le corps et les organes seraient parfaitement formés mais qui s’éveillerait tout neuf pour lui-même et pour tout ce qui l’environne... Si cet homme voulait nous faire l’histoire de ses premières années qu’aurait-il à nous dire ? » Pour rendre les faits plus sensibles, il veut le mettre lui-même en scène et le faire parler. « Je me souviens, raconte ce premier homme imaginé par Buffon , de cet instant plein de joie et de trouble où je sentis pour la première fois ma singulière existence ; je ne savais ce que j’étais, où j’étais, d’où je venais. J’ouvris les yeux, quel surcroît de sensation! La lumière, la voûte céleste, la verdure de la terre, le cristal des eaux, tout m’occupait, m’animait et me donnait un sentiment d’inexprimable plaisir. »
D'où viennent le plaisir et la douleur? Quels caractères les distinguent des autres phénomènes de conscience? Quel est le principe, quelle est la règle et la mesure de leurs diverses manifestations? Quels rapports unissent entre eux ces deux états, si opposés, et cependant si étroitement liés ensemble? L'un pourrait-il exister sans l'autre ? Quel est celui des deux qui est le fait primitif de notre nature, qui est la condition sans laquelle l'autre ne pourrait exister ?Enfin, d'après quelle méthode le psychologue doit-il classer cette multitude si variée de plaisirs et de peines, dont la trame continue s'étend à travers toute la vie humaine? Telles sont les principales questions que je me propose d'examiner dans cette étude sur le plaisir et sur la douleur.
Un examen de conscience, dans le langage des moralistes, comme des théologiens, ne signifie pas l'observation intérieure, la réflexion appliquée à tous les phénomènes de conscience, une recherche scientifique de la vérité interne, mais l'examen, au point de vue du bien et du mal, de notre conduite et de nos actions. Une affaire de conscience, c'est une affaire où l'honneur, l'honnêteté, le devoir sont engagés.